Les arbres du parc communal arborent de magnifiques fleurs blanches et roses qui se balancent au gré du vent printanier. Delphine se balade dans les allées jonchées de pétales. En s’approchant d’un banc d’un vert passé en raison des nombreuses pluies imposées par le climat belge, elle remarque un livre oublié sur le bord. Elle s’en empare en jetant un regard aux alentours : personne en vue. Le propriétaire doit déjà être loin et une averse s’annonce. Elle ne peut le laisser se mouiller, ce serait un gâchis, surtout pour une dévoreuse de livres comme elle !
De grosses gouttes commencent à tomber. Delphine le cache dans sa veste et rejoint prestement ses pénates. Elle a alors tout le loisir de détailler sa trouvaille. Le livre possède une taille assez réduite, presque comme les livres destinés aux enfants. La couverture, ne portant aucun titre, est d’une couleur mordorée, avec d’étranges reflets polychromes qui se révèlent sous la lumière de la lampe de bureau. La jeune femme l’ouvre à la première page et découvre une unique phrase : « Lisez-moi.… », sans aucun nom d’auteur. Sa curiosité est piquée au vif. Elle entame alors la lecture d’une histoire merveilleuse, enchanteresse, comme elle n’en a jamais lue auparavant. C’est comme si elle pouvait voir tout ce qui lui est décrit. Les mots sont si précis, explicites, les phrases imagées. L’intrigue amoureuse la prend aux tripes et réchauffe son cœur, la fait rougir et ressentir des papillons dans l’estomac comme lorsqu’elle est tombée amoureuse. Elle ne peut décoller son attention des pages avant d’être parvenue à la fin, qui lui arrache quelques larmes de joie. Un « Oh mon Dieu ! » sort de sa bouche avant qu’elle n’embrasse la couverture.
« il faut que je fasse lire ça à Arielle ! »
L’averse est maintenant terminée et Delphine peut se rendre chez son amie quelques rues plus loin. Celle-ci lui ouvre et la fait entrer, curieuse de découvrir pourquoi sa copine est si guillerette. Cette dernière lui tend le livre en disant :
« Il fait absolument que tu le lises ! C’est magnifique ! – De quoi ça parle ? – Je ne te dis rien. À toi de découvrir. »
Arielle ouvre la première page.
– Lisez-moi… L’auteur ne s’est pas foulé. C’est qui d’ailleurs ? – Aucune idée. Il n’y a pas de nom. – Etrange tout de même. Où l’as-tu acheté ? Sur un marché aux puces, vu son état ? – Non, je l’ai trouvé sur un banc, dans le parc. »
Après avoir partagé une tasse de thé et une part d’un gâteau maison dont seule Arielle a le secret, Delphine retourne chez elle, laissant son amie à sa lecture. Arielle, assez sceptique, s’installe confortablement dans son canapé, le dos calé par deux gros coussins, avant d’ouvrir le livre. Elle entame la lecture et est tout de suite happée par l’histoire, elle en frissonne, tremble, halète à certains passages où la tension est presque tangible. Ce n’est qu’arrivée à la dernière page qu’elle parvient à le refermer. Il lui faut quelques secondes pour reprendre pied dans la réalité.
Le lendemain, Arielle se rend chez son amie pour lui rendre son bien.
« Je n’ai jamais lu de si bon thriller ! – Euh… on n’a pas lu le même livre alors ! – Si. Ton bouquin parle de ce tueur en série qui a une méthode infaillible pour ne pas se faire pincer par la police et…. – Non ! S’insurge Delphine. C’est l’histoire d’Elisa et Paolo qui se croisent… – Attends ! Je ne comprends rien. J’ai lu celui-ci et toi ? – Moi aussi ! »
Les deux amies échangent un regard perplexe et décident d’ouvrir le livre qui fait l’objet de leur discorde à la deuxième page, qui est totalement blanche, comme toutes les suivantes d’ailleurs. Le mystère est total car même le titre a disparu.
« Je ne pige rien du tout, dit Delphine. J’ai pourtant lu ce livre hier. – Comme moi ! Montre-moi où tu l’as trouvé. »
Les deux jeunes femmes se rendent près du banc, dans le parc tout proche.
« Il était là , indique Delphine en reposant le livre sur le bord du siège en bois. »
Un merci résonne soudain. Les amies regardent autour d’elles sans pouvoir déterminer l’origine de la voix. « Je l’avais oublié par mégarde. Je suis un peu tête en l’air, pour le plus grand malheur de ma mère Mnémosyne ! »
En levant la tête, Arielle découvre dans un saule, une jeune fille à la chevelure brune interminable, habillée d’une longue robe d’un vert émeraude assortie à ses yeux, et qui la drape entièrement, masquant jusqu’à ses pieds. Une couronne de lauriers orne sa tête et elle tient une petite trompette dans la main droite. D’un saut, elle rejoint les deux femmes. Sa chute semble amortie pour un coussin invisible.
« Qui êtes-vous ? Demande Delphine – Une des neuf muses. Je m’appelle Clio. Je vous remercie d’avoir ramené mon livre. – Excusez-moi mais nous l’avons lu toutes les deux et les histoires étaient différentes. – C’est normal. Chaque personne y trouvera un récit différent car le livre génère toujours l’histoire qui fera le plus vibrer le lecteur. Voilà pourquoi il ne porte aucun titre. – C’est merveilleux ! s’exclame Arielle. – Il faut que je récupère mon livre sinon je ne saurais plus inspirer les auteurs. C’est moi qui leur souffle discrètement les idées pour écrire toutes sortes d’histoires afin de contenter les divers lecteurs à travers le monde. – Merci de nous avoir fait rêver. – C’est bien malgré moi. Pour vous remercier de m’avoir rendu mon bien, je vous offre un cadeau. »
La muse détache délicatement deux feuilles du précieux ouvrage et les remet à Arielle et Delphine en expliquant : « Lorsque vous désirez écrire, lisez ce qui apparaît sur la page et vous trouverez l’inspiration pour rédiger des textes qui subjugueront vos lecteurs. » Les deux femmes expriment leur gratitude à Clio pour son cadeau hors du commun avant que celle-ci ne disparaisse.
Depuis lors, elles sont toutes deux devenues écrivains et rivalisent d’imagination pour créer des best-sellers qui connaissent un succès mondial. Elles n’oublient évidemment jamais d’avoir toujours une petite pensée pour Clio.
|