Tout a commencé à l’ouverture d’une enveloppe luxueuse contenant une lettre à l’entête d’un notaire Dufaux, un patronyme peu engageant pour un homme de cette profession. J’y appris que j’étais conviée à la lecture d’un testament. Le nom du décédé était le même que celui de ma défunte mère, Vanhoutte. Je n’avais malheureusement pas connu celle-ci car elle était morte en me donnant la vie. Parler d’elle était un véritable crève-cœur pour mon père, j’avais décidé de faire taire toutes les interrogations qui naissaient dans ma tête de petite fille. Lorsque je lui ai montré ma lettre, il soupira avant de me confirmer que je venais de perdre mon seul et unique oncle. Il évoqua un personnage fantasque, parti à dix-huit ans vivre en Grande-Bretagne et qui ne donna plus aucune nouvelle à sa famille restée en Belgique. Le notaire était un homme de taille très modeste, portant un bouc sombre et des petites lunettes rondes au-dessus desquelles il me scruta longuement après avoir décrypté ma carte d’identité. Il semblait être hésitant à me demander un peu de salive pour un test ADN. Le testament était relativement laconique. « je lègue à mes éventuels successeurs mon entreprise et ma maison avec tout de ce qu’elle contient ; des livres futuristes de ma bibliothèque en passant par les cale-portes, mes médicaments journaliers et jusqu’aux croûtes dans le grenier. S’il ne devait plus y avoir d personnes de mon sang, je souhaite que tout revienne à la communauté de Lonetown qui saura en faire bon usage. » – Voilà ! C’est tout ! m’annonça le nabot – Et où se trouve la maison de mon oncle ? – En Ecosse. – Je ne veux pas m’installer si loin. – Je vous conseille d’aller là -bas et de vendre les biens. – Était-il fortuné ? – Non, pas vraiment. Son compte est à peine crédité du montant qui permettra de régler les frais de succession. Voici les coordonnées de mon homologue sur place. Il vous remettra les clés et vous informera. » Juste le temps de poser quelques jours de congé, de prendre un billet d’avion low cost et je me retrouvai dans le train qui me déposa à la gare de Lonetown. Sur le quai désert se trouvait un homme moustachu avec un chapeau melon et une redingote. Charlie Chaplin aurait-il eu un frère ? Il se dirigea vers moi, me salua en baissant respectueusement la tête en disant avec un accent anglais prononcé : « Bienvenue Miss Vanhoutte. Je suis Nestor. Suivez-moi s’il-vous-plaît. – Vous parlez français ! – Oui, votre oncle m’a appris. – Je suis soulagée car mon anglais est très basique.» Il prit ma valise et je le suivis jusqu’à une vieille Ford. Il installa ma valise dans le coffre et nous partîmes à travers la nature sauvage des Highland. Au détour d’un coin de forêt, je découvris une grande demeure au style baroque. Mon chauffeur s’arrêta devant l’entrée et m’ouvrit la portière. La façade était légèrement fissurée sur le côté gauche, les châssis des fenêtres n’avaient plus connu la caresse d’un pinceau depuis des lustres mais l’immeuble avait un certain charme. L’intérieur était aussi vieillot que l’extérieur ; le tapis du salon, à l’instar du canapé en cuir, était râpé et le papier peint devait dater de la première guerre mondiale. J’appris que mon chauffeur était aussi cuisinier, valet de chambre, homme de ménage et jardinier. Nestor avait été au service de mon oncle pendant plus de trente ans. Ce dernier lui versait ce que je qualifierais plus d’argent de poche qu’un véritable salaire, considérant qu’il était logé et nourri. Le soleil couchant enflammait le salon lorsque quelqu’un sonna à la porte. C’était le notaire autochtone, une valisette en cuir à la main. Comme il avait suivi ses études en France, il maniait parfaitement la langue de Molière. Il me remit un énorme trousseau de clés en disant : « Vous y trouverez tout ce qui ouvre les portes de cette demeure et de l’usine. – Ecoutez, Maître, je ne pourrai pas m’occuper de tout cela. Pourriez-vous trouver des acheteurs ? – Je vais m’y employer, Madame. Voici l’état des comptes de votre défunt parent et l’estimation des divers frais qu’il faudra régler. » Le notaire belge avait raison. Je ne pouvais compter sur aucune épargne pour faire tourner l’usine et entretenir la maison. Mais comment faisait mon oncle ? Le lendemain matin, Nestor me conduisit jusqu’à l’usine dont j’étais nouvellement propriétaire. En traversant le village, des dizaines d’yeux se sont tournés vers moi. J’y lisais à la fois de la curiosité et de la peur. Le bâtiment était aussi vétuste que je l’avais imaginé. Une trentaine de personnes s’y affairait à fabriquer des cure-dents achetés exclusivement par la France. En allant les saluer, je fis face des expressions de méfiance. Le carnet de commandes faisait présager une fermeture à court terme des activités. Nestor m’expliqua que l’usine était la seule du village et mon oncle le plus gros employeur de la région. Si elle devait fermer, ce serait catastrophique pour la plupart des familles du village qui seraient obligées de le déserter. Je me sentis soudain très mal à l’idée que ma décision risquait de transformer Lonetown en ville fantôme. Mais quel autre choix avais-je ? Dans l’après-midi, le notaire revint m’annoncer qu’il avait déjà un acheteur : un grand entrepreneur chinois qui projetait de raser l’usine pour en faire un parc d’attractions, la maison devenant, quant à elle, le lieu de résidence des employés du parc, importés directement de Chine. Je demandai à l’homme de loi de continuer ses investigations afin de trouver un véritable repreneur qui assurerait aux employés de garder leur place. Après le souper, je décidai de déambuler dans la bibliothèque. « Quel était le style préféré de mon oncle, Nestor ? – Il aimait particulièrement la science-fiction. » Il m’indiqua une rangés avec des reliures en cuir. Je jetai mon dévolu sur « Le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley. Arrivée à la page dix, je découvris avec surprise que le bouquin avait été découpé pour le transformer en boîte à secrets dont le contenu était un liasse de billets. Je me mis à ouvrir les autres livres du rayon. Chacun contenait un joli paquet de livres Sterling. Le plus étrange était que les œuvres d’un autre genre ne contenaient rien de la sorte. Je me rappelai soudain les mots du testament qui évoquaient « …les livres futuristes de ma bibliothèque. » et d’autres choses que j’avais oubliées. Le lendemain, je sollicitai le notaire belge afin de me faxer une copie du testament. C’est ainsi que je découvris que les cale-portes étaient des lingots d’or peints en noir et que des diamants se cachaient dans les boîtes d’aspirine de la salle de bain. Quant aux croûtes cachées au grenier, il s’agissait de tableaux portant la signature de grands maîtres de la peinture, apparemment gagnés au cours de parties de poker. Mon oncle avait appliqué malicieusement le concept de « sans signe extérieur de richesse ». Ma première action fut d’envoyer ma démission à mon patron. Je m’imaginai avec malice sa tête en voyant le cachet de la poste. Grâce à ces fonds, je pus conserver l’usine et la moderniser. Dorénavant, elle fabrique également des bâtons d’esquimaux, des fourchettes en bois et des piques à brochettes. J’avais perdu un oncle que je ne connaissais pas et j’ai gagné une famille de la taille d’un village. Les habitants de Lonetown m’appellent amicalement « The Belgian Lady ».
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