Je me souviendrai chaque jour de ma vie de l'instant précis où j'ai croisé ton existence. Pour le meilleur et pour le pire, puisque je t'ai aimé passionnément, et que toi, après m'avoir fait croire que j'étais capable de conquérir ton cœur, tu m'a rejeté comme un malotrus.
Tu étais belle comme le jour. Tes yeux verts brillaient, tels deux diamants aux éclats étincelants. Tes cheveux dorés et légèrement bouclés étaient plus lumineux que le Soleil. Ta bouche, douce et sensuelle, était un appel constant à de tendres baisers. Ton visage tout entier était une ode permanente à la beauté et aux déclarations d'amour enfiévrées.
Quant à ton corps ? Que dire d'autre, sinon qu'il était empreint de perfection, que chaque courbe de celui-ci était empreint de dignité, de séduction. Que, lorsque je le contemplais, pauvre ignorant que j'étais, je rêvais de l'honorer, de le déifier, de mille manières différentes à l'aide de ma sensibilité exacerbée. Que le frôler de mes doigts terrifiés et exaltés était déjà , pour moi, un divin supplice pour lequel je me serai damné afin de le renouveler. Que le caresser jusque dans ses aspects les plus précieux, les les plus intimes, les plus sacrés, était mon vœu le plus cher. Que n'aurai-je pas offert au plus terrifiant des Démons, afin de m'y consacrer ? Mon âme, sans hésiter. D'incroyables tortures, souffrances physiques ou mentales, les années qu'il me restait à vivre ? C'était une évidence qu'il m'était impensable de négliger. Je me serai saigné aux quatre veines, j'aurai parcouru les déserts les plus arides de la planète, affronter les orages, les ouragans les plus violents, afin d'avoir le privilège de t'approcher, d’être un jour à tes cotés ; afin d'avoir le droit de t'admirer, de te toucher, de te faire l'amour jusqu’à crier grâce, puis recommencer...
Mais non, après m'avoir brièvement regardé, après avoir partagé quelques paroles anodines avec moi, tu t'es détournée. Tu as sans doute jugé que je n'étais pas assez bien pour toi. Tu as certainement supposé que je ne faisait pas partie au monde auquel ta beauté appartenait. Derrière mon sourire triste de ressentir les certitudes qui t'envahissaient à mon sujet, derrière les blessures qu'en moi tu réveillais, tu supposais que je n'étais qu'un homme sans rien à offrir. Que le fait que je sois continuellement entouré de livres, perdu dans mes pensées et mes songes issus de mes multiples imaginaires, n'avait rien à t'apporter. Au contraire, que tous ces aspects de ma personnalité, que ma timidité quasiment maladive, était contraire à ce que tu incarne en vérité. Que mes mots, mes lettres, mes poèmes énamourés ne sont rien que des paroles d'adolescent attardé qui n'a aucun sens des réalités. Puisque tu déclare à tous tes soupirants - et Dieu sait qu'ils sont nombreux, divers et variés -, que le plus important est ce qu'ils peuvent t'apporter de concret : argent, luxe, gloire. Et qu'il n'y a que ceux qui sont susceptibles de t'accorder leurs bienfaits matériels que tu accueillera dans ton lit volontiers ; et ceci, même si ton cœur n'est pas conquis par ce que tu cherche désespérément dans l'être aimé. Du moment qu'il sont beaux, socialement aisés, tu en es satisfait.
Combien de fois ai-je entendu ces paroles de ta part. Combien de fois as tu ri de mes tentatives d'approches maladroites, de mes vaines attentions à ton égard, tandis que tu te précipitais aussitôt dans les bras d'un Apollon afin de tirer de lui le maximum de cadeaux et de volupté ? Combien de fois ai-je fui ta présence afin de ne pas me mettre à pleurer ; afin de taire - devant toi du moins - ma douleur de ne pas me sentir accepté ? Combien de fois t'ai-je vu te moquer de mes vers devant tes admirateurs, les déchirer ou les brûler ? Combien de fois t'ai-je vu les lâcher ; puis, le vent les entraînant loin de toi, s'abattre dans la boue, avant d’être définitivement oubliés ? Des dizaines, des centaines de fois, je ne puis le dénombrer.
C'est pour cette raison - en plus de toutes les autres que je ne peux te décrire ici - que je me cache au sein de cette crypte poussiéreuse et oubliée. C'est pour cette raison que je me réfugie au sein d'un univers ou nulle femme que j'aime sans être aimé d'elle ne peux me torturer. C'est pour cette raison que je me terre au fins fonds de ces catacombes ou aucun rire, ou aucune moquerie, ne peux me blesser. Et que, en plus de mes livres et de mes écrits, ce qui me permet de poursuivre chaque jour cette quête à la fois impossible et magnifiée sans sombrer dans la folie, c'est le souvenir de ce bref et sublime instant où j'ai pu t'admirer et te parler. Ce qui a suivi, ce que j'ai accompli, ce que j'ai subi, rien ne pourras venir enlaidir cet instant d’Éternité qui m'a à jamais illuminé...
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