Accueil >> xnews >> Léo (Extrait n°2) - Nouvelles confirmées - Textes
Nouvelles confirmées
:
Léo (Extrait n°2)
|
Publié par
malhaire
le
03-01-2015 12:10:00
(
1378
lectures
)
Articles du même auteur
|
"...Ce jour-là , la forêt n’avait pas l’odeur que je lui connaissais habituellement. Ce souvenir me revient comme une émanation chaude et humide, imprégnée dans l’humus d’une pinède plutôt clairsemée. Sans doute l’avais-je imaginé à des milliers de kilomètres de ma Basse-Normandie alors qu’en fait, ce souvenir s’était enraciné près du Mans, à l’ombre des conifères d’une forêt Sarthoise. Avec mon grand frère Kamel (adopté lui aussi, avant moi, à l’âge de trois ans également) et mes récents parents, nous venions chercher Flora, ma nouvelle petite sœur. Elle avait trois ans. Mes parents, Kamel et moi-même étions très apprêtés pour l’occasion. Maman sentait le parfum et portait une jolie robe. Flora, elle, n’était pas jolie. Elle portait une affreuse paire de lunettes, et même quand son visage me faisait face, ses yeux ne me regardaient pas. De plus, je ne comprenais rien quand elle parlait. Et comme si cela ne suffisait pas, elle était un peu marron, comme Kamel. Moi, maman disait toujours que j’étais blanc comme un cachet d’aspirine. Depuis de ce jour, Flora est devenue ma petite sœur.
••• Mes parents adoptifs sont issus d’un milieu social assez pauvre, où la culture n’existe pas. Hélène est la femme qui aujourd’hui encore tient auprès de moi le rôle d’une mère. Cette femme qui mesure peut-être un peu moins d’un mètre cinquante-cinq est à la fois forte et blessée. Elle est tout simplement versatile. Cyclothymique, elle peut aussi tour à tour incarner toute la fragilité d’une femme meurtrie, mais aussi parfois l’insensibilité aiguisée d’une autre, endurcie.
Tout au long de sa vie, j’ai le sentiment qu’elle s’est peu à peu affublée d’une épaisse carapace, dont les écailles seraient en quelque sorte un mélange détonnant, élaboré à base d’émotivités et de rancœurs. A l’école, à cause de ses larmes incessantes, elle aime encore raconter parfois que les autres enfants la surnommaient « la fontaine ». Au fond, je ne sais pas grand-chose d’Hélène. Je connais si peu de sa famille, de son histoire.
Son père, dont le métier consistait à fabriquer des matelas, est décédé juste avant qu’elle ne devienne complètement adulte. Je crois qu’il est mort d’une leucémie, mais je n’en suis pas certain. Le peu de fois où j’ai pu entendre Hélène évoquer son père, il y avait des larmes forcément, un reste d’amour je crois, mais toujours, un masque de dégoût.
Lorsqu’Hélène évoque sa mère, elle pleure encore. Elle dit la détester sans vraiment pouvoir en donner les raisons. Hélène est l’aînée de trois enfants. Lorsqu’elle parle de sa sœur, la petite dernière, elle pleure avec peine et tendresse. Elle semble s’être beaucoup occupée de cette enfant. Elle dit toujours qu’elle était trop petite, et que les autres (sa mère et son frère) lui ont monté la tête contre elle. Quant à son frère, Hélène en parle en ces termes. -« C’est une saloperie ! ». Comme il était courant à l’époque, Hélène a dû commencer à travailler très tôt. Elle devait reverser l’intégralité de l’argent durement gagné à ses parents. Lorsqu’elle parle de cette époque, elle dit souvent qu’elle faisait la boniche chez des patrons parfois malintentionnés et vicieux. Jeune, Hélène était une très jolie fille. C’est ainsi qu’elle a dû renoncer à son certificat d’études et à son rêve de devenir une couturière de renommée.
J’ai toujours su que ma mère protégeait comme elle le pouvait un terrible secret de famille. L’année de mes trente-neuf ans, j’ai traversé un sévère épisode dépressif. Alors que j’étais au plus mal, ne trouvant pas les mots pour me parler de moi, elle m’a livré au téléphone son histoire infâme et douloureuse. Hélène fut plusieurs fois violée par son père, étouffée par le silence complice de sa mère, et l’indifférence de son plus jeune frère. Ne pouvant pas entendre ma peine, et les rôles s’inversant encore, j’ai dû ce jour-là trouver les mots pour la réconforter. Ma dépression n’avait plus lieu d’être. J’étais soudain redevenu le confident, celui qui apaise, et c’est d’ailleurs bien souvent dans ce rôle que les gens me préfèrent…
Aujourd’hui je pense enfin comprendre comment Hélène s’y est prise pour aimer les enfants qu’elle n’a pu mettre au monde. Au risque de s’y confondre, elle s’est toujours montrée incapable de se saisir avec empathie de la souffrance de ces derniers. Je crois que ma mère n’est capable que d’un amour froid et distant, mais d’un amour tout de même…
Hélène ne m’a jamais vraiment laissé la possibilité de parler avec elle de la maltraitance que j’ai endurée lors de ma petite enfance. Lorsqu’elle l’abordait, elle fondait littéralement en larmes. Ces pleurs prenaient tout l’espace et me laissaient muet. Comment pouvais-je lui parler de mes angoisses d’enfant insécurisé quand les siennes, si manifestes, me blessaient tant ? Tout en pleurant, elle répétait face à mon incrédulité toujours le même monologue. - « Comment une mère peut-elle faire ça à son propre enfant ? Ce n’est qu’une garce ! C’est vrai que tu en as bavé. On devrait tuer ceux qui font du mal aux enfants ! Tu as été martyrisé, mais à présent, c’est terminé, tu nous as, c’est fini ! »
Tous ces mots noyés dans le chagrin et la colère me réduisaient définitivement au silence. C’était fini. Trop insoutenable. Il m’allait falloir grandir normalement, sans m’épancher. Au fond, lorsqu’Hélène évoquait mon histoire, elle ne faisait que la réduire à sa propre douleur. Je crois que c’est là que j’ai puisé l’une de mes qualités les plus évidentes. Je suis devenu celui qui sait réellement écouter les autres sans toujours ramener tout à lui-même, comme le font tant de gens. Je me suis changé en un loyal confident, capable d’écouter l’inentendable, mais aussi, l’insoutenable..."
|
|
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur |
Commentaire en débat |
Iktomi |
Posté le: 03-01-2015 18:07 Mis à jour: 03-01-2015 18:07 |
Modérateur
Inscrit le: 11-01-2012
De: Rivière du mât
Contributions: 682
|
Re: Léo (Extrait n°2)
"un milieu social assez pauvre, où la culture n’existe pas"
Je suis réservé sur cette formulation que je trouve un peu lapidaire et pas très exacte au fond, encore faudrait-il savoir, car tu ne donnes pas beaucoup de précisions, à quelle époque se situe ton récit.
Bien à toi.
|
|
|
malhaire |
Posté le: 03-01-2015 23:34 Mis à jour: 03-01-2015 23:34 |
Plume d'Or
Inscrit le: 20-05-2012
De:
Contributions: 345
|
Re: Léo (Extrait n°2)
Vous avez raison, je vais sans doute développer cette formulation... En revanche, pour situer l'époque, il est encore possible de lire l'extrait n°1 qui aidera sans doute à mieux situer le contexte. Merci beaucoup pour votre commentaire. Je suis réellement en attente de vrais commentaires comme celui-là . Je ne suis qu'un amateur en matière d'écriture et je sais que je fais encore beaucoup de fautes ainsi que des erreurs de formulation. J'apprécie beaucoup que l'on m'aide ainsi. Amicalement.
|
|
|
Iktomi |
Posté le: 04-01-2015 06:51 Mis à jour: 04-01-2015 06:51 |
Modérateur
Inscrit le: 11-01-2012
De: Rivière du mât
Contributions: 682
|
Re: Léo (Extrait n°2)
C'est bien agréable d'avoir affaire à un auteur qui ne prend pas la mouche à la moindre observation - encore que ce soit assez rare sur L'Orée, mais il y a des sites où l'on croirait qu'il n'y a que de ça !
Donc bravo et merci d'avoir compris que, sauf rares exceptions (il faut bien qu'il y en ait !), mes commentaires n'ont pas pour but de décourager les auteurs ni de les allumer gratuitement.
Je suis allé lire l'extrait n°1 qui donne effectivement plus d'indications chronologiques.
Merci.
A bientôt.
|
|
|
couscous |
Posté le: 04-01-2015 17:01 Mis à jour: 04-01-2015 17:01 |
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
|
Re: Léo (Extrait n°2)
On fait un sacré bond dans le temps. ll y avait un petit garçon et maintenant un homme, capable de comprendre le fonctionnement psychologique de celle qui l'a adopté. Tes personnages font froid dans le dos ! Même la petite soeur... Léo devrait devenir psy ou assistant social !
|
|
|
malhaire |
Posté le: 04-01-2015 19:20 Mis à jour: 04-01-2015 19:20 |
Plume d'Or
Inscrit le: 20-05-2012
De:
Contributions: 345
|
Re: Léo (Extrait n°2)
Je brise le suspens, Léo est devenu travailleur social, et s'occupe plus particuièrement des enfants...
|
|
|
malhaire |
Posté le: 04-01-2015 20:54 Mis à jour: 04-01-2015 20:54 |
Plume d'Or
Inscrit le: 20-05-2012
De:
Contributions: 345
|
Re: Léo (Extrait n°2)
Du coup je me demande si ces bonds dans le temps ne sont pas trop perturbateurs pour le lecteur , J'avais dans l'idée de composer ce texte de souvenirs, puis de sentiments ou d'émotions plus actuels. Je trouvais original de me balader entre les mots de Léo petit garçon, et ses reflexions d'homme. Peut-être me faudra-t-il retravailler la forme ? Je vous remercie pour l'attention que vous portez à ces "petites nouvelles", et pour la justesse et la sincérité de vos commentaires. Aussi, rassurez-vous, la petite soeur de Léo sortira finalement de cette chrysalide si peu désirable, pour plus tard devenir, une femme sensible et très jolie. Merci beaucoup.
|
|
|
sb1poesie |
Posté le: 06-01-2015 16:54 Mis à jour: 06-01-2015 16:54 |
Accro
Inscrit le: 14-11-2013
De:
Contributions: 207
|
Re: Léo (Extrait n°2)
Salut malhaire, je voulais juste te dire que je t'avais lu moi aussi,bon j'ai pas de critiques à faire sur ta nouvelle mais je trouve qu'elle est bien rédigée (je ne peux donner des critiques expertes car je suis encore débutante) mais si je compare ta nouvelle à la mienne (La vie de Linda) je me rends compte que ta façon d’écrire est bien meilleure plus détaillée et beaucoup mieux tout simplement, je devrais prendre exemple sur toi pour mes prochains textes et éventuellement si je veux encore améliorer ma nouvelle "La vie de Linda" , pour résumer je te dis juste bravo.
|
|
|
|
Mes préférences
Sont en ligne
65 Personne(s) en ligne ( 43 Personne(s) connectée(s) sur Textes)
Utilisateur(s): 0
Invité(s): 65
Plus ...
|