Que peut être pour soi la maison de son enfance, la maison familiale, élevée au rang de propriété pour ne pas dire de château, la maison des fêtes de famille, la maison de famille, la maison où ont été fêtés des baptêmes, des anniversaires, des mariages, lieu de vie mais aussi de souffrances? Cette maison-là peut être tout mais également rien. Amie lectrice, ami lecteur, peut être ces lignes vous inspirent déjà quelque chose. Comme le savez, le mot rien vient du mot latin « res » qui veut dire chose. Rien, c’est donc déjà quelque chose.
En fait, non, cette maison, cette chose, c’est la chose, c’est ma chose.
La chose. Lorsque je pense à la chose, j’en éprouve quelque chose. Lorsque la chose saisit par trop mon âme, il me faut passer à autre chose. Lorsque je passe devant la chose, je peux être tout chose. Parfois ne pas vouloir passer devant la chose, me fait me détourner de la chose. Ma chose. Ma chose m’a souvent agacé. Devoir ratisser, tondre sur les espaces de ma chose m’a fait désespérer de la chose. En revanche, partager des moments en famille, pratiquer l’art topiaire entretient mon amour de la chose.
La relation avec la chose est un véritable acte d’amour de la chose. Il ressemble à une autre chose, la chose, la chose d’amour, avec laquelle elle partage bien des choses.
N’es ce qu’un jeu de mots que dire cela, que de dire les mots d’amour à l’égard d’une maison et d’un être humain ont tant de choses en commun.
Comme le disait l’abbé de Lattaignant :
« C'est qu'on peut dire encore le mot Alors qu'on ne fait plus la chose Et pour peu que vaille le mot Mon Dieu c'est toujours quelque chose.
De là je conclus que le mot Doit être mis avant la chose Qu'il ne faut ajouter au mot Qu'autant que l'on peut quelque chose
Et que pour le jour où le mot Viendra seul hélas sans la chose. Il faut se réserver le mot Pour se consoler de la chose. »
De ces deux choses donc, et de celle surtout qui nous lie aujourd’hui, la chose, l’important est l’amour de la chose au-delà même de la chose, qui ne doit pas être qu’un mot. Et la chose n’est rien, si les choses humaines d’amour et de partage n’y sont pas. Sinon il ne s’agit plus que d’une chose sans chose, sans rien. Mais cela reste quelque chose.
La rancœur contre la chose, entendons nous bien, seulement la maison de mon enfance, peut être liée aux émois, aux représentations émotionnelles de la relation avec sa mère, avec son père. La chose n’est en rien responsable des rancœurs possibles dirigées contre l’un ou l’autre de ses parents. Elle peut être belle en soi, dans toutes les dimensions de la chose, de la chose esthétique. Je dois bien reconnaître aujourd’hui que mon père fut la raison de cette maison. Ma mère en fut l’âme. J'ai ainsi le devoir librement consenti d'aimer la chose.
Pour rendre hommage à l'engagement de mes parents dans la chose, racontons une anecdote orientale, en effet l’un et l’autre se rencontrèrent au Maroc et vécurent en Algérie. On demandait à Saladin ce que représentait pour lui Jérusalem. Il répondit une première fois : « pour moi Jérusalem c’est rien ». Et puis, après un temps de réflexion, et avec un air espiègle, il répondit une seconde fois « pour moi, Jérusalem, c’est tout ».
Voilà finalement ce qu’est pour moi la maison de mon enfance, la Jérusalem familiale. Le nom qui lui est donné est tout aussi symbolique : Maison Dieu. Elle est demeurée dans la famille et je me réjouis de cet état de chose.
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