Je relève à mon tour le défi d'Exem, manière de le remercier de tous les écrits qu'il nous propose et que je savoure. J'ai fait le choix de poursuivre le texte, dans une version très personnelle :
Tout en continuant sur la route sinueuse, Federico se parle à lui-même : - « Mon cœur prend le pas sur ma raison, ma raison d’être, ma raison de vivre. Je veux dire à mon Isabella que mon espérance nouvelle me conduit sur la voie de choix cornéliens que je dois assumer sans souffrances. Si j’ai accepté le pacte d’amour qui, je l’espère, nous liera éternellement, je dois encore résoudre les contrastes de mes élans amoureux et de ma tradition familiale. Cette tradition, verrouillée à mon corps, d’où s’exhale une puissance de vouloir briller dans l’arène, face au taureau, puissance qui se sent frôlée par des ondées de bonheurs olympiens. Je me vois tout autant proposer au public rassemblé la grâce d’El Diablo, et voir alors, sous le soleil pâle, au milieu des lueurs du soir, le visage éblouissant de mon aimée, assise au plus haut des gradins, qui s’est faite lune désirante d’amour ».
La lune est pleine ce soir et éclaire la route de Federico alors qu’il se rend à Séville, où doit avoir lieu sa rencontre avec El Diablo, dans les célèbres arènes de cette ville au destin majestueux.
Il roule à vive allure pour être sûr d’arriver à temps. La beauté des paysages sous la lune répond avec mimétisme aux contrastes de ses pensées. D’une route escarpée comparable à un sentier de montagne, il est passé à l’exubérance des végétations méditerranéennes. Les chênes verts tapissent le sol comme les notes posées d’une symphonie sur une portée musicale. Cette musique végétale s’efface enfin devant les plaines aux douces collines, au milieu desquelles apparaissaient les ombres des taureaux qui se tiennent en grands seigneurs des lieux.
Alors qu’il croit voir dans ce lointain collinaire le visage d’El Diablo, Federico se convainc qu’il lui faut structurer les actions à mener pour respecter le pacte d’engagement qu’il a pris à l’égard de sa douce Isabella.
Pendant quelques secondes, il croit entendre la voix d’El Diablo : - « N’as-tu jamais entendu un taureau t’avouer qu’il aimait la corrida ? »
El Rico croit devenir fou. A nouveau, il croit entendre sa voix : - « C’est bien moi El Diablo. Je te propose de t’aider dans ta recherche des actions à mener pour concilier la tradition, la beauté de l’événement et les espérances de mon amie Isabella. » Federico arrête quelques minutes sa porche pour se frapper les joues.Rêvai-je, dit-il. - « Non, tu ne rêves pas. Alors, au lieu de douter, trouvons ensemble un arrangement. » - « Que me proposes tu ? » - « Ne penses tu pas que les plus belles corridas sont celles où la grâce du taureau est demandée ? Ne penses tu pas que les plus belles corridas sont celles qui offrent de belles danses entre le torero, sa cape et le taureau avec sa puissance et sa force ? Nous offrons ainsi au public la communion de l’homme et de l’animal sans la mort, la grâce et la poésie de belles danses entre deux corps aux lignes gracieuses, sous la lumière. Andalouse, aux mille éclats d’histoire. » - « Je te donne raison El Diablo. Je comprends mieux ce qui te lie à Isabella, l’amour de la vie, de la beauté et de l’esthétique."
Le visage d’El Rico s’illumine soudainement. Avait-il entendu la voix d’El Diablo, celle de la raison ou de son cœur. Ou les trois à la fois !
A nouveau, il entend la voix d’El Diablo : - « On a jamais entendu un taureau affirmer le contraire de ce que tu viens de penser ». Il lui semble alors être mis à nu par Isabella, par le taureau. Etaient-ils si proches l’un et l’autre au point de ne faire qu’un ? Il prend donc les décisions suivantes. Lors de la corrida avec El Diablo, dans les arènes de Séville, Il n’y aura pas de picadors, de même qu’il n’y aura pas le tercio des banderilles. Il ne demeurera que la faena de muleta, sans mise à mort du taureau. El Rico avait toujours pensé que la gloire du taureau et du torero n’était acquise qu’à ce moment-là , en ces minutes de communion entre l’animal et l’homme. Le déploiement de la cape du torero joue avec le souffle doux des cornes du taureau. De passe en passe, l’harmonie entre l’homme et l’animal les installe en une communion fusionnelle et amicale. Une relation esthétique s’installe entre ces deux êtres. El Rico intercèdera également auprès d’Alejandro de la Peña, son futur beau père - il en est maintenant convaincu- afin que ce dernier dépose une proposition de loi aux Cortès à Madrid allant dans le sens de ses propositions.
Il reprend sa route. Les douces collines lui semblent être maintenant des amies qui, les unes après les autres, lui livrent au secret de son âme qu’il a fait le bon choix : le choix de l’amour de toutes les espèces, de la beauté et de l’esthétique. Pris par un désir ardent, il veut annoncer ses choix à la dame de ses pensées. Au lieu de gagner son hôtel, Federico se présente à la porte du palais d’Alejandro de la Pena. La voix d’Isabella se fait entendre. Elle accourt. Elle découvre son Federico serein, souriant, bienveillant, au regard lumineux et amoureux. Elle comprend son langage silencieux et se donne à lui en des baisers fougueux.
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