1er juillet 1915
Me voilà intégré dans un groupe de « fonceux ». Le soir, on se rassemble dans un immeuble détruit par une bombe et on part par deux ou trois vers les fermes de Dottignies. Là -bas, le chef négocie des patates, du pain, du blé et des haricots pour les revendre au marché noir. Des gamins de huit à dix ans nous accompagnent. Ils sont chargés de faire le guet et de nous prévenir s’ils voient une patrouille allemande ou des gendarmes. Qu’il est bon le pain fabriqué avec de la vraie farine ! Rien à voir avec celui qu’on achète avec les bons. À mon retour, Maman m’en prépare une tranche généreuse avec un peu de saindoux. Rien que d’y penser, j’en salive.
21 juillet 1915
Aujourd’hui a été décrété « jour de deuil des fêtes nationales ». Tous les magasins sont fermés et les maisons gardent leurs volets fermés. Comme toute tentative patriotique nous expose aux foudres de l’occupant, c’est notre façon de signifier l’attachement à notre pays et le soutien à nos soldats. J’aime bien ressortir ma boîte à biscuits vide qui contient des cartes postales, envoyées par mon grand-père lors de ses vacances à la mer ou dans les Ardennes. Elles me permettent de m’évader un peu de cette réalité.
30 octobre 1915
On a reçu une lettre de Papa. Cela faisait si longtemps que Maman et moi étions sans nouvelles. On craint toujours le pire. Il dit qu’il a les pieds constamment mouillés car les tranchées sont inondées. Elles sont aussi infestées de rats. Il raconte qu’il a vu mourir Gaston, son ami d’enfance, déchiqueté par un obus. Il évoque les odeurs horribles car ils ne peuvent pas se laver. La nourriture manque souvent. Oh, mon Papa, comme j’aimerais pouvoir t’amener un peu de ce que je ramène de mes nuits de « fonçage ». Un journal circule parmi les soldats mouscronnois, un certain « Echo de Mouscron ». Il aime lire la liste des disparus, les petites nouvelles de la ville et surtout la rubrique patoisante qui lui redonne un peu le sourire, comme les lettres que je lui adresse.
à suivre...
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