Le soleil d'avril avait cette merveilleuse couleur des blés, et l'Hiver mourant rendait la naissance du Printemps plus légère et progressive. Le ciel était d'un bleu saphir fantastique. La nature reprenait lentement ses droits sur le froid, après un sommeil de près de six mois, durant lesquels la neige, la pluie et le givre s'étaient disputés le droit de rendre la vie morne et insipide. La Place du Pape, forte de cette accalmie, était pleine de badauds, allant et venant sur les trottoirs, traversant la rue sans même prêter attention à la circulation, entrant dans les boutiques qui en faisaient le tour, ou se prélassant sur les terrasses, chauffées par l'astre diurne, décidé à être clément, une douceur exceptionnelle régnant sur l'atmosphère, bien qu'il ne fût plus au zénith — il était quinze heures. Souvent, le jeune Empathe tentait d'imaginer à quoi ressemblait le monde, avant... Un monde, dont la marche avait été bouleversée près de cent ans plus tôt, un homme seul ayant décidé de le diriger. Comment y était-il parvenu ? Andy ne le savait pas vraiment, mais il connaissait les conséquences de ce changement, étant venu au monde sous le règne d'Oméga, troisième du nom. Descendant du premier Oméga, à l'origine du plus grand bouleversement de l'Histoire du monde. Il avait fait de la planète entière un royaume unifié et instauré une législation unique, pour conserver la main mise sur la direction de la Nation, comme il aimait l'appeler. En réalité, personne ne devait savoir exactement comment il avait réduit à néant une organisation politique et mondiale vieille de plusieurs siècles, pas plus que l'on ne pouvait imaginer humainement la puissance militaire nécessaire à un tel exploit, poussant les anciens dirigeants des nations réprouvées à plier l’échine. Les frontières avaient été abolies, une monnaie unique créée, à l’instar de la langue, universalisée, éradiquant au passage les religions, cultures et autres spécificités régionales. Si dans les faits, tout un chacun avait perpétué ses croyances dans une semi-clandestinité approuvée, officiellement, la Nation était un monde athée, dépourvu de dogmes, et le seul dirigeant politique, social et religieux était l’Oméga. Sous ce règne tyrannique — ni plus ni moins —, la civilisation avait considérablement régressé, comme en témoignaient les quelques ouvrages encore existants qu'Andy avait reçu de son amie. Au vingt et unième siècle, le monde progressait sans cesse, la science se développant, l'industrie facilitant la vie des populations. Le milieu du vingt-troisième, marqué par l’avènement de l’Oméga, avait sonné le glas de son essor, et le vingt-quatrième en voyait déjà les premières conséquences s'ancrer dans la vie des citoyens de la Nation. Au fil du temps, les grandes mégalopoles s'étaient enfoncées dans la déchéance, les bâtiments se dégradaient, tout comme les routes et les rues. La technologie, elle, avait simplement subi un arrêt net d'évolution. L'Oméga en avait probablement peur, interdisant toute recherche visant à améliorer la vie des hommes et des femmes. De même, les sciences et la médecine étaient fortement réglementées et seules les avancées permettant d'aider les gens atteints des maladies les plus communes étaient autorisées. À l’exception des avancées nécessaires dans le domaine de l’ingénierie architecturale, la science était devenue une lointaine idéologie, aux allures de mythes. Tous les progrès faits dans ce domaine ne profitaient à personne, sinon au dirigeant suprême de la Nation, directement ou indirectement. Pour s'assurer du bon fonctionnement de ses administrations, et garder le contrôle sur le monde, l'Oméga Premier avait décidé de centraliser toutes les institutions du pouvoir. Sur les terres de ce qui autrefois était la belle Australie, il avait fait établir son Palais. Une ancienne nation, tout entière réquisitionnée pour servir de capitale au monde. Toutes les grandes recherches se faisaient sur ce territoire, dont l'accès était extrêmement réglementé. L’Oméga y vivait et régnait depuis cette île-continent qui, à une époque, n'avait été qu'une colonie. L'ironie du sort, probablement. Enfin, pour que le monde soit ordonné et marche au rythme de la volonté de son vénéré tyran — bien qu'il n'aimât pas être qualifié ainsi, selon Andy, c'en était bel et bien un — il avait à sa solde une milice communément appelée La Garde. Des militaires, en quelque sorte, chargés officiellement de veiller sur le peuple, mais avaient, en réalité, pour mission de limiter toute forme d’insurrection ou de résistance. Ces hommes étaient forts, violents et sanguinaires et tomber entre leurs mains était une condamnation à mort. Pourtant, Andy n’en avait pas vraiment peur, n’ayant jamais attaché une grande importance aux légendes urbaines. S’il n’avait aucun droit de vie ou de mort sur le peuple, subir un interrogatoire de la Garde était rarement une bonne nouvelle. Pour un effet de dissuasion plus efficace, ils étaient équipés des pieds à la tête d’armes complexes, paralysantes pour certaines, plus radicales, pour d’autres. Un profit de la science indirect pour l’Oméga, soucieux de fournir à ses hommes des outils toujours plus performants et évolués. Leur présence semblait justifiée par les nombreux mouvements de protestation, apparus quelques années après l'avènement de l'Oméga Premier, et unifiés récemment sous la même bannière. Andy n’en connaissait pas exactement les raisons. Il s’agissait sans doute de politique, pure question de pouvoir. Cependant, ces révolutionnaires travaillaient au rétablissement de la liberté de chacun et de la vie, de la culture, du progrès... Bref, de tout ce que cette tyrannie avait ôté à l'humanité. Andy avait eu la chance de consulter des ouvrages très anciens normalement prohibés. À cet effet, tout ouvrage, toute chose représentant un rappel explicite aux nations passées avaient été brûles ou détruits par tous les moyens possibles. Le jeune Empathe devait ce privilège à son amie, très proche des mouvements de résistance. Ils étaient parvenus à en conserver un grand nombre, dans des endroits gardés secrets auxquels Athéa avait accès. Parmi eux se trouvaient les descendants d'anciens responsables politiques, religieux ou économiques. Un siècle de totalitarisme n'avait pas suffi à étouffer la flamme de rébellion animant chacun de ces êtres qui, par le biais de la transmission orale, savaient qu'un monde prétendument meilleur était possible. Prétendument, bien sûr, du point de vue d'Andy. Pour lui, le règne de l’Oméga, s’il était discutable sur certains points, n’en était pas moins une source d’amélioration dans d’autres domaines. L'arrêt brutal de la surconsommation et de la pollution avaient par exemple permis à la planète de se remettre de ses blessures, la nature reprenant ses droits dans de nombreux endroits désertés par les populations, alors rassemblées dans de grandes mégalopoles, assurant aux autorités un contrôle optimal. Ainsi, les forêts, la faune et la flore reprenaient progressivement leurs droits, se développaient de nouveau et le climat, soumis à des perturbations majeures depuis le vingtième siècle, se remettait lentement, en l'absence de la folie destructrice de l'humanité, à cette période. Aucune discrimination n'était plus possible et les personnes comme Andy, autrefois mises à l'écart pour leur différence, n'étaient plus que des citoyens normaux, peu importait leur sexualité, leur couleur de peau ou leur façon de vivre. Au moyen d’un réseau vidéo de surveillance biométrique avancé, la population était sous contrôle permanent. S’il était très simple d’obtenir un logement – sur simple demande, à vrai dire, ce n’était pas par hasard. Cela permettait de savoir précisément où trouver une personne en cas de problème. Les cités étaient d’ailleurs organisées à cet effet, les habitants rassemblés en leur centre. Les administrations n’étant pour la plupart plus utiles, les bâtiments auparavant prévus à cet effet avaient été transformés en lieux de résidence. Ceux qui ne le pouvaient pas avaient été laissés à l’abandon. Tout autour des quartiers résidentiels, des usines avaient été installées, chargées de la production d’une grande partie des besoins de la ville. La nourriture était en grande partie produite autour de cette couronne industrielle. Les infrastructures déjà existantes, comme les bus et autres modes de transports, avaient été conservées. Évidemment, le jeune homme avait conscience de vivre dans un système oppressif, en désaccord avec ses principes les plus fondamentaux. Il espérait voir de son vivant la fin du règne de la lignée des Omégas. Athéa et lui évoquaient d'ailleurs souvent cette fin, à la faveur d'un thé ou d'un chocolat chaud. Elle lui avait tout appris sur les révolutionnaires et le passé du monde, au cours de longues nuits de discussions, passées chez elle. Bon sang ! Il savait comment il y était parvenu, mais n'arrivait plus à se le rappeler ! Qu'importe... Il attendait son arrivée avec impatience, désireux d'évoquer sans plus tarder avec elle ces maudits cauchemars. Il espérait seulement la trouver de bonne humeur. Si ce n'était pas le cas, il serait pour elle impossible de se concentrer réellement sur son problème ; c'était sans compter sur la fin du dernier rêve en date, qu'Andy hésitait sincèrement à évoquer. Athéa était une indécrottable pessimiste et le jeune homme craignait qu'elle n'y voie un présage plus ou moins fiable, d'autant plus qu'Andy la soupçonnait d'avoir des dons dont elle ne parlait pas. Elle était en tout cas la seule personne au monde — jusqu'à la nuit dernière, à tout le moins —, qu'il ne parvenait pas à écouter. Quels que soient ses sentiments, il n'en percevait jamais la moindre étincelle et il s'y était habitué, y voyant un soulagement, certes relatif, mais au moins concret, en sa présence. Être assailli sans cesse par les émotions humaines était devenu commun, mais cela n'avait pas toujours été le cas. Pendant son enfance, Andy ne comprenait pas ce don et n'y prêtait pas attention. Arrivé à l'adolescence, le saisir et l'apprivoiser était devenu une nécessité, de plus en plus mal à l'aise avec ce qu'il captait, et l'impression de voyeurisme l'obligeait à se cloîtrer chez lui. Mais avec le temps, il était parvenu à maîtriser ses émotions assez facilement pour ne plus s'arrêter systématiquement sur chaque émotion. Sa rencontre avec Athéa avait été déterminante. Elle l'avait aidé dans ce processus et conseillé, la plupart du temps. À l'époque, il n'avait que douze ans ; elle en avait quinze... Huit ans plus tard, Athéa était toute sa vie, pour une raison sans doute ridicule pour le commun des mortels, mais essentielle à ses yeux : elle devait exprimer ses émotions pour être comprise... Le fondement même de leur amitié. Sa silhouette se profilait enfin à l'horizon, soulageant Andy d'une attente insupportable. Plus encore, en devinant le sourire, fendant son visage d'une oreille à l'autre. Un si beau sourire ! Elle avançait toujours de ce pas décidé. Une détermination sans égale animait cette femme, vivant sans cesse dans la perspective du futur. Le moment présent lui semblait toujours inutile, vain, voire obsolète, et elle se levait chaque jour avec l'envie d'aller plus loin. Non pas de se dépasser ou simplement d'être plus forte, mais seulement de « vivre la suite ». Contrairement au jeune homme, qui — autrefois — avait apprécié chaque minute de sa vie avec la même intensité, elle se tenait dans l'appréhension constante de l'heure, du jour ou de la semaine à venir. Rien n'allait assez vite, à ses yeux, et la douceur de la vie n'avait aucune importance. Seul le moment d'après était excitant, parce qu'il était inconnu, perdant instantanément de son intérêt une fois passé, la renvoyant inlassablement dans l'attente du suivant. Un mode de vie étrange, pour Andy, mais qu’il avait appris à respecter, après des heures de débats avec son amie. Elle se planta devant lui, sa longue chevelure brune cascadant sur ses épaules. Vêtue d’un pantalon noir, d’un petit pull rouge et de son long manteau noir fétiche, un pendentif bleu, tenu par une fine chaîne d’argent, venait habiller la naissance de sa gorge. Athéa aimait la simplicité et la sobriété, en dépit d’un goût prononcé pour certains produits de luxe. Un paradoxe perpétuel, sans lequel elle ne serait pas tout à fait la même. Elle était capable de sonder Andy en un clin d'œil, il le savait, son regard perçant jusqu'au cœur même de son âme. Ses premiers mots ne le surprirent donc pas outre mesure : — Était-il si doué ? — Pardon ? s'écria-t-il, plus amusé qu'étonné. — Ne joue pas à celui qui ne comprend pas avec moi, mon grand ! dit-elle d'un ton sentencieux. Tu sens le sexe à des kilomètres ! Ce genre d'intuition était fréquent chez la jeune femme et même après tant d'années, Andy aurait été bien en peine d'expliquer comment elle parvenait à le cerner ainsi, le jeune homme n’ayant jamais été des plus expansif… — Arrête de fantasmer, ma belle ! Ce n'était qu'un homme de plus, voilà tout, attesta le jeune homme. — C'est d'ailleurs pour cette raison que tu y penses, encore maintenant, n'est-ce pas ? ironisa-t-elle — Athéa, je t'en prie, je ne t'ai pas fait venir pour ça... — Je sais, je sais... Allons nous asseoir, tu m'expliqueras ce qui te tracasse... dit-elle en se retournant. Le Café du Pape te convient ? — Comme d'habitude ! rappela le jeune homme en emboîtant le pas à son amie. Quoi de neuf, pour toi ? — Pas grand-chose, à vrai dire. Je suis allée voir mon père, hier. Il avait un souci à régler, mais je n'ai pas saisi grand-chose, et j'ai été d'une grave inutilité. — N'est-ce pas ton passe-temps favori ? supposa Andy, ponctuant son éclat d'un coup de coude complice. Comme à son habitude, Athéa ne se priva pas de sourire ! Elle savait parfaitement que l'humour du jeune homme n'était pas déplacé, et n'avait pas pour but de la blesser. En réalité, les taquineries étaient communes entre eux, avant d'évoquer des sujets plus sinistres. Une manière bien à eux d’évacuer la pression. Ils arrivèrent devant la terrasse du Café, prise d'assaut par les promeneurs, profitant de cette journée de soleil pour lézarder et se détendre. Décidément, la vie n'était pas si horrible, sous le joug de Son Excellence. — Trouve-nous une table, fit la jeune femme, j'ai un besoin urgent. — Vos désirs sont des ordres, Votre Altesse, affirma le jeune homme, illustrant ses propos d'une révérence des plus comiques, tant elle était exagérée. Il n'eut cependant pas à chercher longtemps pour satisfaire « Son Altesse »... Le Café du Pape était, à la connaissance du jeune homme, le plus grand café de la place du même nom, elle-même plus grande place de la ville. Vita était une de ces mégalopoles dans lesquelles des millions de personnes avaient été réunies, lors de l’instauration de la Nation, située sur ce qui était autrefois appelé le « vieux continent ». Trois cités de cette taille avaient été fondées sur les terres de la France, ancien nom du pays. Le régime de l'Oméga serait un jour réduit à néant, mais l'organisation mondiale avait connu des dommages irréparables et peut être était-ce finalement un bien ! Pour ce qu’Andy en savait, avant l'intervention de Son Excellence, le Monde était en crise constante, politiquement, économiquement ou socialement parlant, et un peu partout, les microconflits minaient les populations et la Paix avait revêtu des airs d'idéal inaccessible. Assis à une table, Andy se demandait encore s'il devait absolument évoquer son rêve dans son intégralité devant Athéa. L'interrogation fut de courte durée. Il sursauta légèrement au contact de la main de son amie, sur son épaule. — Tu étais ailleurs ? le railla-t-elle, un sourire radieux toujours accroché à ses lèvres. — Oui, un peu... marmonna-t-il, prenant l'air sombre qu'il pensait être de rigueur. Athéa était à peine assise qu’un serveur vint prendre la commande. Ils demandèrent chacun un soda, Athéa y allant de son plus beau sourire ! Le charme de cet homme, Andy le savait, ne l'avait jamais laissée indifférente et bien qu'elle demandât souvent confirmation, le jeune homme savait pertinemment que le Café du Pape était un passage obligé, pour son amie. — Ravi de vous voir, Mademoiselle, minauda le serveur. J'espère que vous allez bien, aujourd'hui ? — Très bien, merci, lui répondit la jeune femme, dont les pommettes s'étaient joliment empourprées. À vrai dire, Andy était surpris par cet élan de bavardage. Cet homme était d'ordinaire d'une timidité maladive, presque ridicule, à son âge. Cependant, l'attirance qu'Athéa éprouvait pour lui était réciproque, et le jeune homme avait souvent poussé son amie à faire le premier pas. Malheureusement, elle ne l'entendait pas de cette oreille, arguant qu'en véritable gentleman, ce « benêt devrait un jour ou l'autre prouver qu'il en avait », selon ses propres mots. Voilà qui apparemment venait d'être fait. — Tu crois qu'il s'en est acheté une paire récemment ? murmura le jeune homme, en se penchant vers son amie. — À toi de me le dire, mon grand... (Rougissant de plus belle sous le trait d'humour d'Andy, Athéa finit par murmurer elle aussi :) En tout cas, elles doivent le démanger, pour qu'il se décide enfin ! — Cesse d'être idiote ! Tu lui plais, je te l'ai déjà répété un millier de fois ! À toi de jouer... Il a fait un pas, fais le second ! Dans le cas contraire, je ne veux plus en entendre parler ! — Très bien... Très bien !!! Ne me brusque pas, s'indigna la jeune femme. Si tu me disais plutôt ce qui te pose problème ? Après un bref instant de réflexion, Andy croisa les mains sur la table, puis se mit à parler. Il évoqua son rêve sans omettre le moindre détail, décrivant chaque sensation, chaque sentiment et chaque chose, avec une précision presque chirurgicale. Il n'avait pas besoin de faire d'effort particulier. Bien qu'il se soit « oublié » quelques heures dans les bras de Jas, ce rêve s'était imprimé si profondément dans son esprit qu'il lui suffisait de fermer les yeux pour être de nouveau transporté dans ce monde, finalement détruit par ses soins. Tout en faisant minutieusement le récit de ce songe, il scrutait chaque réaction de la jeune femme. Dans son élan, il s'était décidé à aller jusqu'au bout, au risque de l'effrayer. Son récit terminé, il ne vit ni terreur, ni surprise dans le regard de son amie. D'une sérénité incompréhensible, elle jaugea le jeune homme de son regard noir et eut un soupir, résigné, selon Andy ! Elle devait penser qu'il s'agissait d'un cauchemar isolé, le jeune homme décida de lui faire part d'un détail supplémentaire. — Cela fait près de trois semaines que je me retrouve, chaque nuit, sans exception, dans cette plaine... Le regard soudain plus sombre, Athéa eut enfin l'expression grave attendue par son ami. — Que crois-tu qu'il se passe ? demanda-t-elle, le ton de sa voix étant en parfait accord avec son air noir. Reculant sous la surprise d'une telle question, Andy ne comprit pas le moins du monde le sous-entendu. Se penchant un peu plus vers le jeune homme, ses mèches menaçant de plonger dans son verre de soda, apporté durant le monologue du jeune homme, Athéa reformula sa question : — Tu es un garçon intelligent, non ? Tu dois bien avoir une explication ? — Je ne serais pas là , face à toi, si j'avais la moindre explication à fournir ! avoua le jeune homme. T'aurais-je demandé de l'aide, selon toi, si j'avais déjà compris ce qui se passe ? Me penses-tu assez idiot pour n'avoir pas tenté d'interpréter ces maudits cauchemars ? — Ne t'énerve pas, mon grand ! Je ne faisais que demander ! Je me doute bien que tu as sûrement disséqué tout ceci mille fois dans ta tête. — Alors quel est le sens de ta question ? répliqua sèchement Andy. — Et bien le sens qu'elle avait, ni plus ni moins ! Je ne te demande pas si tu penses avoir interprété ces rêves, mais si tu sais au moins ce qui les a provoqués ! — A ma courte honte, je dois bien dire que je n'en sais franchement rien ! expliqua le jeune homme, baissant tout à la fois le ton et la tête. — Bon ! Nous allons payer nos consommations, puis nous irons chez moi. Nous serons plus au calme. Le ton grave et néanmoins serein de son amie angoissait légèrement Andy qui n’était pas sans savoir qu'Athéa gardait pour elle des secrets très sombres. Le serveur approcha, Athéa lui fit signe, s'enquit du montant de la note, et la régla. — Merci, mais je pouvais régler ! dit Andy, quelque peu embarrassé. — C'est pour moi, rassure-toi... (Attendant que le serveur s'éloigne, Athéa finit par susurrer :) il y a ma carte avec mon numéro à l'intérieur du billet. Il revint vers les deux jeunes gens, et, bien que rouge comme une pivoine, semblait satisfait de sa découverte. Tendant sa monnaie à la jeune femme, il plongea son regard dans le sien. — Merci beaucoup, mademoiselle. Je ne manquerai pas de m'en servir. L'allusion était sans équivoque, et Athéa en rayonna de bonheur. Les deux amis se levèrent, saluèrent le serveur, et se dirigèrent vers le centre de la Place. — Tu connais son nom ? fit Andy, surprit de ne pas l'avoir entendu. — Pour qui me prends-tu ? Tu penses franchement que je t'attends pour venir boire un verre ici ? Il la reconnaissait bien là ! Un bruit très étrange se fit entendre, une déchirure, selon le jeune homme, suivi de sons plus puissants ! On eût dit une explosion... Puis ce fut l'enfer.
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