Détective Trask – Épisode 3 – « R »
Le détective Trask était par terre, complètement déboussolé. Il venait de sortir d’une vision la plus intense qu’il ait jamais vécue. Il avait vécu la mort d’un homme forcé à se suicider par le pouvoir de l’esprit. Ce à quoi il venait d’assister lui fit comprendre qu’il n’était plus le seul à posséder des dons extra-sensoriels. Il aurait dû être excité. Ce fut le contraire. Avoir vu le mal que l’on pouvait faire avec de tels dons, fit que cela le dégoutèrent même qu’ils puissent exister. Et puis, il se ressaisissait et comprenait qu’il devait aider cette femme qui était vraisemblablement menacée elle aussi.
En revenant à la réalité, il se rappela que Mme Castonguay et son domestique étaient entrés en trombe dans la pièce, car il sembla qu’il ait crié pendant la vision. Il fallait leur donner une explication, mais laquelle? En voyant que Trask était sain et sauf, Mme Castonguay demanda au domestique d’aller chercher un verre d’eau, ce que fit le domestique. Elle aida Trask à se rassoir. Une fois bien assis, elle lui parla d’une voix basse : « Avez-vous eu une vision? » Cela fit un effet d’électro-choc à Trask. « Comment a-t-elle su? » se disait-il. Il dut se rabattre à dire la vérité : « Oui, la plus puissante que je n’ai jamais vécu. » Guettant la réaction de sa cliente, il vit le visage de Mme Castonguay sourire de satisfaction. Trask ne put s’empêcher de demander :
— Vous saviez? — Oui, en fait, j’osais croire que c’était vrai. — Que voulez-vous dire? — Voilà , je ne vous ai pas choisi au hasard, quelqu’un m’a mis sur votre route. — Qui?
Avant qu’elle ne puisse répondre, le domestique revenait avec une bouteille d’eau. Trask la but en grande gorgée. Mme Castonguay disait alors au domestique : « Gustave, restez avec lui le temps que je m’absente. Je dois aller chercher quelque chose que je dois montrer au détective. » « Bien madame. » - répondit-il. La vieille dame quittait la pièce. Et le domestique , que Trask remarqua très pâle, lui disa : « Ce cri…. C’était le même cri que le fameux soir, la même voix… » Trask pouvait lire le désarroi dans les yeux du majordome. Avant que Trask put lui dire quoi que ce soit, Mme Castonguay revint dans la pièce avec une lettre dans la main. Elle demanda au domestique de les quitter. Le domestique quitta la pièce sans se faire prier. Mme Castonguay reprit la parole :
— Voilà , le jour où j’étais au plus profond désespoir, j’ai reçu cette lettre.
Trask prit la lettre et la lisa :
« Bonjour Madame Castonguay, Vous ne me connaissez pas, mais je vous crois. Je connais quelqu’un qui pourrait vous aider. C’est un détective. Il possède les dons qui sont les seuls possibles pour résoudre une telle affaire. Ne soyez pas surprise qu’il ne vous en parle pas. Il ne les a jamais ouvertement révélés, mais croyez-moi, il les a! Il s’agit du Détective Allan Trask, vous pourrez le trouver à son bureau à Laval, au 35 boul. Du Corbusier, chambre 202. Amicalement, R. »
Le détective Trask allait de surprise en surprise. Non seulement il y en avait d’autres comme lui, mais quelqu’un savait qu’il en était un. Qui cela pouvait-il être? Trask tenta d’ausculter avec son don la feuille de papier et évidemment, elle ne lui disait rien. Encore de la mémoire effacée. Il en déduisit que ce fameux « R » était un extra-sensoriel lui aussi. Trask demanda à Mme Castonguay :
— Est-ce la seule lettre que vous avez reçue de lui? — Oui, c’est la seule. — Je me demande bien qui ça peut être… — J’aimerais le savoir aussi. En attendant d’avoir cette réponse, pouvez-vous me dire ce que vous avez vu? — Oui, et bien, vous aviez raison. Il ne s’est pas suicidé. — Je le savais, qui est le coupable? — Voilà où cela se complique. Même s’il ne s’est pas suicidé, c’est bel et bien lui qui a appuyé sur la gâchette. — J’avoue ne plus vous suivre. — J’y arrive. Il semble que l’on est forcé mentalement l’homme à tirer. « R » a raison. Même si la police avait fait leur travail convenablement, ils n’auraient rien trouvé. L’homme qui a forcé votre mari à se tuer est inévitablement un homme comme moi. — Mon dieu! Et vous savez qui c’est? — Malheureusement, j’aimerais dire que oui, mais ce n’est pas le cas. La personne qui a fait cela a un pouvoir dont j’ignorais l’existence. Il est capable d’effacer la mémoire imprégnée dans les objets…
En disant ces mots, Trask en vint à une réflexion. Si le meurtrier avait effacé ses traces mémorielles, c’est qu’il savait qu’un extra-sensoriel viendrait enquêter. Trask ne perdit pas de temps et s’exclama :
— Madame, pardonnez mon ton alarmiste, mais vous allez devoir vous cacher pour un certain temps. — Vraiment? Mais pourquoi? — L’homme qui a tué votre mari. Il est revenu, fort probablement peu de temps après que vous soyez venu à mon bureau. Il est revenu pour enlever les preuves que j’aurais pu détecter grâce à mon pouvoir. — Mais comment a-t-il pu entrer sans se faire voir? — Dans l’escalier, j’ai eu une vision. Un homme montait l’escalier en catimini, et personne ne semblait le voir. Il a le pouvoir de se rendre invisible, ou quelque chose d’équivalent. — Vous avez vu de quoi il avait l’air. — En effet, de la même carrure que moi, mais des cheveux blonds dorés, des lunettes fumées et habillés d’un veston cravate noir. Avez-vous déjà vu un tel homme? — Je connais la plupart des contacts de mon mari, et je n’ai jamais vu un tel homme. — Dommage. — En effet. Mais j’ai bel et bien un endroit où je peux me cacher. Même mes enfants ne savent pas où c’est. — Excellent. Il faudrait trouver une façon de garder contact… — Justement, j’ai pris un nouveau cellulaire. Je ne faisais plus confiance à celui que j’avais. — Que de prévoyance. Excellent, donnez-moi le numéro. Trask enregistra le nouveau numéro dans la boite à adresse de son cellulaire. — Il se fait tard. Je crois que nous nous arrêterons pour ce soir. Mais avant j’aimerais visiter votre collection de statues à l’extérieur. — Ah oui? Bien sûr. J’imagine que vous avez vos raisons. Je ne les ai jamais beaucoup aimées. — Pourquoi? — Elles me font peur. Je ne pourrais vous dire pourquoi.
La dame l’escorta à l’extérieur vers les fameuses statues. Il pouvait comprendre sa peur, les statues étaient beaucoup plus imposantes qu’il ne l’avait cru. Si on mélangeait cela avec leur étrangeté, n’importe quelle personne les aurait craints. Il alla voir d’abord la gigantesque statue représentant le génome. Il y avait une phrase gravée sur une plaque : « La génétique est la langue des Dieux. » En appuyant sa main dessus, un symbole qu’il avait déjà vu lui revint. Le fameux « E » gothique bleu. Il demanda à la dame s’il avait déjà vu un tel symbole. Elle lui fit signe que non. Il fit le tour des statues plus petites. Comme il l’avait vu, c’était bien des statues représentant des êtres mi-hommes mi-animaux. Leurs auscultions ne lui dirent pas davantage si ce n’était que la construction des fameuses statues. Une statue par contre sorta du lot. C’était une femme qui regardait vers le ciel et qui semblait être à genou devant le génome. Il la toucha. Le nom « Mona Lisa » lui vint dans son esprit. Il ne vit pas le rapport entre la fameuse Joconde et la science génétique. L’inspection de ce lieu lui laissa donc plus de questions que de réponses.
— Bon, j’ai bien peur que je n’en tire pas plus pour le moment. — J’avais effectivement des doutes que vous trouveriez quoique ce soit avec ces babioles. — Avant que je ne l’oublie, j’ai eu une autre vision. Votre mari parlait avec un homme dont je n’ai pas pu voir le visage d’un certain Projet Verseau. Vous en a-t-il parlé? — Hmmm, non, mais il m’avait parlé d’un projet qui changerait la face du monde. Je n’en avais pas fait de cas à ce moment-là , car mon mari a beaucoup tendance à s’emballer facilement avec ses projets. — Je crois que le meurtre est relié à celui-ci. J’ai l’impression qu’il a fait un marché avec quelqu’un de très puissant et que cette personne aurait peut-être voulu le voir disparaitre. — Hmmm, je crois que vous devriez aller à son bureau. Ils en sauraient plus que moi. — Je crois moi aussi. Mais il me faudrait l’accord d’un dirigeant pour inspecter les lieux et questionner les employés. En tant qu’héritière… — Considerez cela comme fait. Dès demain vous pourrez vous présenter. — Excellent. Je peux maintenant vous laisser. Faites bien attention à vous. Je vous recontacte sur le nouveau cellulaire.
Trask entra dans sa voiture et retourna chez lui. En prenant l’autoroute 15 en direction de Laval, la vision de Monsieur Castonguay qui était forcé de se tuer lui revenait en tête. Il pensa à l’homme qui était dans la pièce avec lui. Il se disait : « Il faut que je voie qui c’est. » Et puis, une idée envahissait son esprit. Une idée qu’il ne pouvait envisager. Il se dit : « Non, je ne peux pas faire cela. C’est contre mes principes! » Mais il avait de la difficulté à s’enlever cette fameuse idée de la tête.
Il ouvrit la porte de son condo, puis il vit une lettre qui était presque passée inaperçue, vu sa distraction. Il l’ouvrit et il était écrit : « On se verra bientôt, amicalement R. »
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