15 février 1915
Maman était très fatiguée ce matin et c’est moi qui suis allé faire la queue à la soupe populaire. J’ai attendu près de deux heures entre un vieillard en guenilles et une dame qui sentait vraiment mauvais. Tout ça pour me voir remettre un pain « cacac » comme on l’appelle ici. Lorsqu’on le mange, il se transforme en une matière très pâteuse et collante dans la bouche. Et moi, il me donne des maux de ventre. J’ai aussi reçu quelques patates, deux œufs et un peu de saindoux. Cela améliore le quotidien. On n’a plus d’argent maintenant mais des bons de monnaie. Ce sont des morceaux de papier rectangulaires et des pièces en carton. Cela me rappelle ceux que je fabriquais pour jouer quand j’étais petit. Maman m’a expliqué que nos bons n’étaient valables que dans les commerces de Mouscron. Les villages de Dottignies, Herseaux et Luingne possèdent leurs propres bons de monnaie. De toute façon, si on veut sortir de Mouscron, il faut un laissez-passer. J’ai l’impression de vivre comme au moyen âge, dans une ville fortifiée, sauf que l’ennemi est déjà à l’intérieur, sans avoir eu recours à un cheval, comme à la guerre de Troie.
7 mai 1915
Notre instituteur s’appelle Monsieur Martin. Il n’a pas été mobilisé car il a un pied bot. Il nous a expliqué que les allemands avaient instauré deux états autonomes dans notre pays : la Flandre avec Bruxelles comme capitale et la Wallonie avec Namur. Les deux états font partie du grand « Reich », comme ils disent. En plus, on est censés parler flamand maintenant car le français ne sera plus toléré comme langue officielle à Mouscron. Et personne n’a demandé l’avis des habitants ! Il nous a également dit que notre pays possédait des espions, des services secrets. D’ailleurs, une espionne, connue sous le nom de Louise de Bettignies, aurait une cache dans la Rue de la Station. Notre village sera peut-être célèbre après la guerre. Quels secrets pouvait-elle transmettre ? Elle n’a pas froid aux yeux. Si elle se fait arrêter et identifier, elle risque d’aller croupir dans une prison et d’y être torturée. J’admire son courage. Si j’étais plus âgé, je me ferais engager par les services secrets pour devenir espion. Je serais peut-être décoré par notre Roi Albert. Quelle fierté ce serait pour Papa ! Je rencontrerais aussi notre chère reine Astrid. Papa m’a raconté dans sa dernière lettre qu’il l’avait rencontrée dans l’infirmerie. Il avait été légèrement blessé au bras et elle venait encourager les troupes et leur offrir un peu de réconfort. Il parle aussi des gaz asphyxiants que les « boches », comme il appelle les envahisseurs, utilisent contre nos soldats.
A suivre...
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