Johnny est grand, costaud, et très en colère contre sa femme.
- Regarde-toi ! Toujours en train de lire ! Est-ce que je lis moi ? Je rentre du gratin, et t’es toujours là assise sur le canapé ou à ton bureau. Parce que madame a un bureau maintenant !
Sa femme le regarde à peine. Tous les jours c’est la même sérénade, Johnny ne supporte pas qu’elle étudie pour avoir une meilleure situation. Ils se sont mariés jeunes, très jeunes, il était beau Jojo, c’était le plus baraqué de la bande, mais il est resté un peu brut. Angélique, elle, a évolué, elle ne voulait pas rester standardiste toute sa vie, elle a passé des diplômes, et, maintenant elle va suivre des cours à l’université.
- Qu’est-ce qu’on en a à foutre des diplômes, tu peux m’le dire ? Est-ce que j’en ai moi ? Et j’gagne plus de maille que toi, pauvre pomme !
C’est toujours le même refrain, Johnny ne voit pas plus loin que le bout de son nez. C’est sûr qu’il gagne plus qu’elle, mais c’est surtout grâce à son job de sosie du chanteur. Tous les soirs il s’habille avec des paillettes, il prend sa fausse guitare et il va chanter « Que je t’aime » en play-back au « Pirate », la boîte de nuit à la mode. Ses parents l’ont appelé Johnny comme Hallyday, il a écouté ses chansons pendant toute son enfance, et maintenant il se prend pour lui, c’est pathétique… Heureusement que sa femme n’a pas suivi le même chemin, ses parents étaient fans d’ « Angélique Marquise des anges ».
Angie prend bien soin de l’appartement, elle fait la cuisine, les courses, le ménage, tout ça en plus de son travail. Elle ne veut pas que son mari lui reproche de négliger leur foyer, mais ça ne suffit pas, il veut qu’elle arrête d’étudier.
- J’arrive même pas à lire les titres de tes bouquins ! Comment qu’tu peux t’intéresser à des conneries pareilles ! Y’a même pas d’images !
Mais la jeune femme a trouvé un article intéressant :
- Tiens regarde, il y a des mines d’or au Sénégal. Il paraît qu’on peut gagner plein d’argent en allant là -bas.
- Des mines d’or ! Ma pauv’ fille tu délires !
- Non, je t’assure, regarde, tu peux acheter des concessions, les gens du coin travaillent pour toi et tu les payes trois fois rien, après tu empoches les bénéfices.
Chercheur d’or ! Voilà un métier qui a toujours fait rêver Jojo. Il se voit déjà avec une grande écuelle, au bord d’une rivière, avec son chapeau de cowboy et ses santiags, le visage buriné par le soleil.
- Ce sont des mines, rien à voir avec l’or qu’on trouve dans les cours d’eau. C’est beaucoup mieux, quand tu trouves un filon, ta fortune est faite !
- Oui mais c’est dégueulasse, tu veux qu’j’aille exploiter des pauv’z’ Africains ?
- Mais non, mon Johnny, tu les payes assez pour qu’ils aient une bonne vie dans leur pays, mais par rapport à nos salaires c’est peanuts !
- Ouais, ben j’ai du taf moi ici, j’ai même deux boulots, alors quand est-ce qu’c’est-y que j’vais aller dans les mines ?
- Pendant tes vacances mon amour !
Angélique pousse ses livres et fait une place à Johnny. Elle le prend par le cou.
- Tu sais qu’il faut que je travaille pour mes examens. Tu pars te dorer la pilule au soleil pendant cinq semaines, et tu reviens plein aux as.
- Tes examens ! On croirait qu’tu vas à l’hosto.
L’image d’Indiana Jones se superpose à celle du cowboy près de la rivière.
- Remarque, pourquoi pas, après tout. J’aime l’aventure.
Il se met à fredonner « l’Aventure c’est l’aventure »
- Elle est pareille à l’amur, elle est à moi pur tujurs… T’as raison mon Ange, j’vais partir, tu restes dans tes bouquins, et je reviendrai te couvrir d’or, comme ça, tu m’foutras la paix avec tes conneries d’études. https://www.youtube.com/watch?v=ct0j44qZs4s
Angélique a acheté le billet d’avion de son mari, elle a trouvé un contact au Sénégal, par un biais pas vraiment légal, et bye bye Johnny !
Quelques temps plus tard, l’ambassade de France l’appelle pour lui annoncer le décès de son mari. Il a été attaqué par des voleurs qui avaient appris qu’il avait trouvé un super filon.
La jeune femme repose le combiné, elle se rassoit sur le canapé au milieu de ses lectures, et soupire en pensant à ce qu’elle va bien pouvoir faire de tout cet or que Johnny a eu le temps de lui faire parvenir avant de mourir. Elle se rappelle du film un taxi pour Tobrouk où l’un des personnages dit : « un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche », et elle marmonne avec un petit sourire :
- C’est pas faux…
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