30 mai 1914
Aujourd’hui, je fête mes quatorze ans. Maman m’a offert ce petit cahier en me disant que je devais continuer à écrire car, comme mon instituteur, elle trouve que j’ai un certain talent. Je suis donc très fier de noter sur la petite étiquette « Kléber Coussement, Mouscron ». Papa m’a offert une place de cinéma. Je sais qu’il dû épargner plusieurs mois pour me faire ce cadeau. Je suis allé au «Vieux Mouscron » qui a ouvert l’an dernier sur la Grand-Place. Quelle magnifique salle ! C’est une expérience que j’espère pouvoir renouveler à l’avenir. Le film s’intitulait « La tulipe d’or ». Il est drôle de voir des personnes gesticuler sur un grand écran. J’ai vraiment eu l’impression d’être dans l’histoire, à leurs côtés. C’est encore mieux que de lire !
29 juillet 1914
Vers dix heures, toutes les cloches des églises se sont mises à sonner à la volée. Du Mont-à -Leux au Tuquet, les habitants sont sortis dans les rues. J’ai vu de la terreur dans le regard de Maman et lui ai demandé ce qu’il se passait. Elle m’a pris dans ses bras en murmurant : « Nous sommes en guerre, mon enfant ! ». Je n’ai pas bien compris. Une guerre ? Comme celles que j’étudie dans mes cours d’histoire ? Comment est-ce possible ? Qui voudrait attaquer notre petite Belgique ? Papa est rentré plus tôt du travail. Il a dit que l’usine textile qui l’emploie, qui se trouve en France, à Roubaix, a dû stopper ses machines et que la frontière était désormais fermée. Un grand malheur pour les nombreux travailleurs transfrontaliers. Je l’ai accompagné à l’estaminet du coin « Au Moulin ». La mobilisation était sur toutes les lèvres, trempées ou non dans un verre de pils. Tous les hommes valides sont appelés au front pour repousser les troupes allemandes. Ce soir, c’est la première fois que j’ai vu mon père saoul. Il fallait bien faire passer cette pilule bien amère.
30 juillet 1914
J’ai aidé Papa à préparer son baluchon. Maman lui a préparé une gamelle, rempli une gourde de vin et mis un pain entier dans sa besace. Les larmes coulaient le long de nos joues pendant notre étreinte : « C’est toi le chef de la maison en mon absence, fils. Veille sur ta mère. J’espère revenir très vite. Nous, les belges sommes des coriaces. Ne t’en fais pas. » J’espère que ce n’était pas la dernière fois que je voyais mon père. Il a enfilé sa grande capote sombre et nous l’avons accompagné jusqu’à la Grand-Place. Nous étions de nombreuses familles à voir partir un mari, un père, un frère, un oncle. Mon cœur s’est serré lorsque le camion l’a emmené vers son destin de défenseur de la patrie, la nôtre. Même si je ne vais à la messe que pour faire plaisir à Maman, j’ai adressé une prière à Dieu, s’il existe, afin qu’il veille sur lui.
23 août 1914
J’ai vu passer des cavaliers allemands avec un casque à pointe, des grandes bottes et un costume vert. Il paraît que ce sont des Uhlans. Ils ont réquisitionné la gare pour en faire leur quartier général. Ils ont coupé les lignes téléphoniques et télégraphiques. Nous voici isolés du monde extérieur. Cela signifierait-il que nous avons déjà perdu la guerre ? Papa va-t-il revenir ?
à suivre...
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