AVERTISSEMENT : voici un texte commencé il y a une douzaine d'années, au début de mon séjour en Guyane. J'ai longtemps hésité à le publier car il est inachevé à ce jour et il est écrit dans un style que je ne pratique plus guère à présent. Sans donc préjuger de son devenir, je le livre aujourd'hui à votre indulgence et à vos critiques avisées.
Journal de Celine Britten, deuxième du nom
Mardi 8 octobre 1985 :
7 heures 44 : Delaney est mort le premier. L’animal a surgi de l’eau et l’a égorgé. Personne n’a eu le temps de réagir. Delaney était seul dehors, devant le Beaver de tête qu’il conduisait et qu’il venait d’embourber. Le capitaine Singh, furieux, lui avait donné l’ordre de sortir. Pour quoi faire, grands dieux ! Le Beaver avait piqué du nez dans le trou d’eau que Delaney avait vu au dernier moment : il était embourbé plus haut que l’essieu avant et le treuil devait être sous plus d’un mètre de flotte. Qu’est-ce que Delaney pouvait faire ?
Il s’est abattu dans l’eau et nous sommes restés tous les cinq stupides, muets d’horreur, pendant près d’une minute. Ce qui a donné le temps à l’animal, qui a dédaigné de s’acharner sur le corps de Delaney, de nager jusqu’à l’autre extrémité du trou d’eau, de remonter sur la piste et de nous regarder tranquillement. Nous ne le savions pas sur le moment, mais nous étions en train de contempler un ocelot des marais, félin rare mais dangereux et traître car il nage à la perfection et sait se rendre invisible et inaudible dès qu’il pénètre dans l’eau.
Lutchman s’est ressaisi le premier :
- Mais il nous nargue, ce fils de pute ! Je vais le buter !
Il a empoigné son calibre 16 et a sauté dehors. Singh a voulu le retenir :
- Lutchman, restez ici, nom de Dieu !
Lutchman l’a foudroyé du regard :
- Fallait dire ça à Delaney !
A ce moment, les trois autres Beaver nous ont rejoints. Déodat, Totthill et Boisnotte se sont amenés en courant, arme au poing. Le félin n’avait toujours pas esquissé le moindre geste de peur ou de fuite. Lutchman a tiré le premier, aussitôt imité par les trois autres. Quand la fumée s’est dissipée, l’animal avait disparu.
Rameau, Ngwete et Polledri se sont portés volontaires pour enterrer le sous-lieutenant Delaney. Dos Santos a relevé la position précise de la sépulture. Pendant ce temps, les officiers et sous-officiers s’étaient enfermés dans le Beaver de queue pour conférer. La grosse voix du commandant Blonhoff retentissait : sans aucun doute il était en train d’engueuler proprement le capitaine Singh.
A suivre...
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