Au fond du jardin, à deux mètres du mur, le cerisier à l'écorce boursouflée a fait bouger les pierres : ses racines en saillies venues lécher la terre en surface, ont fait éclater le crépis encombré par la mousse. Le mur est à l'agonie. Les pierres découvertes sont depuis longtemps vertes et brunes de lichens parmélie. Une branche, plus grosse que les autres, et surtout plus basse, est tapissée de fruits rouges luisants et fermes, dans tous les tons, de la garance foncée au vermillon vif et orangé. Les oiseaux ont fait de l'arbre leur garde-manger et, pitoyables, beaucoup de cerises encore accrochées n'ont plus que leur noyau baignant dans une pulpe sanguinolente. Des fruits, par terre sur le sentier aux dalles disjointes et sur le potager alentour, dessine un cercle au compas grenat à l'ombre du feuillage.
L'après-midi s'étire dans la moiteur et l'indolence, même le lézard profite des derniers rayons de soleil avant qu'ils ne se cachent : faussement endormi sur la pierre encore chaude du muret, il musarde. Dans les feuilles clairsemées les oiseaux piaillent. L'échelle en bois mainte fois rafistolée, appuyée sur le tronc, disparaît dans les premières branches. Que de souvenirs : les mains avides, les paniers passés à bout de bras, les rires, les fruits dégustés sur l'arbre, les cerises par petites grappes de deux ou de trois passées au-dessus des oreilles, les joyeuses récoltes où l'on évaluait le nombre de pots de confiture que ferait grand-mère. Nous nous régalions à l'avance des tartes et des clafoutis.
Dans le jardin envahi d'une odeur de terre aux senteurs mélangées, au fond, contre le mur, le vieux cerisier qui porte sur son tronc, à mi-hauteur, la cicatrice d'une ancienne corde à linge, sait qu'il a tout donné ou presque en ce milieu d'été. Il s'étire fatigué mais encore resplendissant dans l'ombre du soir. Les dernières rougeurs du soleil transpercent le gris bleu du ciel. Un silence de plomb s'est installé autour de la maison, seulement altéré par les grillons récalcitrants qu'on entend grésiller dans les hautes herbes. Le temps s'est arrêté. Une légère brise fait bruisser le cerisier centenaire dans un dernier murmure. Une tiède torpeur enveloppe le jardin d'une douce fragrance.
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