Mélanie n’a jamais connu la peur. Même dans l’enfance, n’est jamais venue la tarauder la crainte qu’un monstre sorte de sous son lit ou de son armoire pour venir lui chatouiller les pieds, une fois le soir tombé. Elle souhaite malgré tout ardemment pouvoir connaître un jour ce sentiment. Alors, elle visite toutes les maisons hantées des foires ambulantes et des parcs d’attractions, n’hésitant pas à s’y faire embaucher. Tous ces monstres, qu’ils soient des machines ou des humains maquillés, ne parviennent pas à lui procurer ne fût-ce qu’un petit pincement au cœur. Elle se rend aussi dans les salles de cinéma découvrir le dernier Wes Craven, Dario Argento, Joe Dante, Sam Raimi ou John Carpenter. À force de chercher le grand frisson, elle est devenue spécialiste en la matière, comme une sorte de docteur « ès frayeur ».
Dans sa quête, elle parvint à devenir l’assistante du père Karras, un célèbre exorciste qui accepta de l’emmener suivre une séance. La maison où tout devait se passer était légèrement décrépie. En arrivant, Mélanie crut apercevoir une ombre furtive passer à la fenêtre de l’étage. Invités à entrer dans le couloir, le prêtre et son apprentie préparèrent leur matériel. Ils s’aspergèrent d’eau bénite, enfilèrent des crucifix surdimensionnés à leur cou avant de monter au premier étage. Là , ils rejoignirent Regan, la fille sous l’emprise du démon. Ses parents l’avaient menottée aux montants de son lit. Elle avait le teint cadavérique, les yeux rouges et injectés de sang, des cheveux sales et hirsutes finissaient cette vision d’horreur. Son corps famélique était caché dans une chemise de nuit blanche, salie d’une matière visqueuse et verte. Dès leur entrée, elle proféra des injures et des menaces à leur encontre. Sa voix était caverneuse et ne ressemblait en rien à celle d’une jeune fille de seize ans. Le père Karras sortit lentement sa bible et commença ses incantations. Mélanie était chargée de jeter de l’eau bénite sur le corps torturé de Regan. Là où le liquide touchait sa peau, des boursoufflures naissaient instantanément. Au plus le rituel avançait, au plus la possédée se déchaînait. Les menottes pénétraient maintenant dans la chair de ses poignets osseux. Soudain, elle vomit un jet puissant d’un liquide jaunâtre sur Mélanie. L’odeur qui s’en dégageait était putride. Puis un long cri strident emplit la pièce et tout s’arrêta. Le corps de l’adolescente était maintenant inerte. Sa mère entra et se mit à la laver. Son visage reprit peu à peu une apparence humaine. Après un café offert par le père de famille, le prêtre et son assistante sortirent de la maison désormais libre de toute présence maléfique. « Alors ? C’est impressionnant, non ? – Bof, j’ai juste besoin d’une bonne douche. Merci pour tout ! Au plaisir. »
Un soir, alors que Mélanie se préparait à regarder le DVD du dernier SAW qu’elle avait loué au vidéoclub, le téléphone sonna. Juste le temps d’allumer le micro-ondes pour réchauffer sa pizza et elle prit le combiné. « Allo ? – Est-ce que tu aimes les films d’horreur ? – Oui, j’avoue. – Parfait ! Alors il te faudra répondre à mes questions sinon je tue ton petit ami. – Tony ? – Oui. Je commence : quel est le prénom du tueur dans la série des Halloween ? – Euh… je sèche. Bryan ? – Faux ! » À ce moment, un bruit de détonation résonna dans la pièce. « Désolée, je vais vous laisser car ma pizza vient d’exploser dans le four. » Mélanie raccrocha en disant « Tony ! Il m’a juste embrassée lorsqu’on était en terminale. », avant de partir s’installer confortablement devant son écran, une pizza trop cuite dans la main.
Un autre jour, son amie Clara lui apporta une vieille cassette vidéo. « Merci mais tu sais qu’on est passé au DVD maintenant ? – Oui, mais cette cassette est spéciale. Tu la regardes et tu verras. À plus ! – Quoi ? Tu ne la regardes pas avec moi ? – Non, je ne préfère pas. Je suis une trouillarde moi ! – En même temps, le monde entier est plus trouillard que moi ! » Une fois bien installée dans son canapé, un paquet de popcorn entre les cuisses, Mélanie appuya sur le bouton play de sa télécommande. L’écran de télévision fut d’abord envahi de lignes blanches, puis des images affreuses et dérangeantes se mirent à défiler très rapidement. Mélanie ne parvint pas à toutes les distinguer, seule la dernière était plus nette. Il s’agissait d’un vieux puits, recouvert de végétation séchée. Une ombre blanche à forme humaine, avec de longs cheveux sombres apparut une fraction de seconde sur l’écran avant de disparaître. Là , le téléphone se mit à sonner. Une voix d’outre-tombe annonça : « Il te reste sept jours à vivre. – C’est pas drôle Clara. Je sais que c’est toi ! Elle est nulle ta cassette. Même pas cinq minutes. T’as pas la suite ?» Mais l’interlocuteur avait déjà raccroché. Les jours passèrent et Mélanie ne se souciait guère de la prémonition de la voix mystérieuse. À l’expiration du délai annoncé, un avion vint s’écraser sur sa maison, ne laissant que ruine. De retour de ses courses hebdomadaires, la jeune femme ne put que se féliciter d’avoir une bonne compagnie d’assurance.
Dans l’attente de la réparation de son habitation, elle décida de loger à l’hôtel Overlook qui proposait des tarifs défiant toute concurrence depuis la rumeur selon laquelle il était hanté. Arrivée à la réception, Mélanie demanda d’avoir la chambre où les phénomènes paranormaux étaient les plus forts. L’homme à l’allure de fou, lui remit la clé de la 237 avant de partir dans un rire diabolique. Pendant la nuit, Mélanie fut réveillée par de drôles de bruits provenant de la salle de bain. Elle s’approcha lentement et ouvrit la porte. Elle découvrit une ombre derrière le rideau de douche fermé. « Qui êtes-vous ? » Aucune réponse ne lui parvint alors Mélanie décida d’en avoir le cœur net. Elle tira le rideau de plastique d’un coup sec et découvrit une femme, le corps en décomposition occupée de se baigner. Ses globes oculaires étaient posés dans ses orbites creuses, sans paupières. Ses pommettes étaient saillantes et osseuses et sa bouche exempte de lèvres semblait figée dans un rictus effrayant. Des lambeaux de chair stagnaient dans l’eau rougeâtre. La femme ou du moins ce qu’il en restait, jeta un regard sombre à Mélanie. Cette dernière lui dit : « Je ne savais pas qu’il y avait surbooking ici. Je vais demander une réduction supplémentaire au réceptionniste demain. Si vous pouviez juste faire un peu moins de bruit, je voudrais dormir moi ! » Comme la colocataire était du genre à ne pas se laisser faire, elle prit un malin plaisir à venir réveiller Mélanie en pleine nuit à coup de cris strident, à la tirer subitement par les pieds et d’autres choses qui en auraient fait partir plus d’un en courant dès la première apparition.
Lassée, la jeune femme se décida à emménager ailleurs. Elle trouva une location dans un quartier tranquille d’Elm Street. La plupart des maisons étaient désertes. Au moins, il n’y avait aucun risque d’être réveillé par les décibels d’une fête d’adolescents. Pendant son sommeil, Mélanie croisa un personnage hors du commun ; un homme au visage brûlé, vêtu d’un vieux pull rayé et déchiré, sûrement à cause des lames qu’il portait à la place de ses doigts. Il lui dit s’appeler Freddy et vouloir la faire cauchemarder jusqu’à en mourir. La jeune femme se mit à rire aux éclats. « On voit que vous ne me connaissez pas. Je ne fais que de jolis rêves. Vous êtes mal tombé ! – Pourtant je suis du genre effrayant ! – Pas vraiment. Je vous trouve plutôt ridicule. Votre pull est totalement démodé. Je peux vous mettre du vernis… à lame si vous voulez. Du rose ou du rouge ? » Totalement dépité face à l’attitude désinvolte et moqueuse de Mélanie, Freddy décide d’aller hanter d’autres cauchemars.
Un soir, Mélanie était sous la douche, l’eau tiède ruisselait sur son corps, emportant avec elle la fatigue de la journée. Elle en avait plein les oreilles des cris des jeunes filles effrayées rien qu’en les effleurant à la fin du tunnel sombre de la maison hantée de la foire annuelle. Mais elle adorait faire cela. Tout à coup, elle vit apparaître un grand couteau de boucher qui venait de traverser le rideau avant de l’entailler de haut en bas. Mélanie protesta : « Que faites-vous dans ma salle de bains ? Espèce de voyeur pervers ! » Elle ouvrit un pan de rideau et découvrit un homme à la stature impressionnante qui portait un masque blanc dont les orbites sombres lui enlevaient toute humanité. Elle entendait sa respiration rauque. Il brandit son couteau ensanglanté en sa direction. La jeune femme alluma l’eau chaude et dirigea le jet vers le visage de l’intrus menaçant. Ce dernier lâcha son arme. Mélanie en profita pour s’en emparer et lui trancher la gorge d’un geste vif. L’homme s’écroula dans un râle. « Tu t’es trompé de victime ! Renseigne-toi la prochaine fois ! Ben, non, il n’y aura plus de prochaine fois. »
Pour Noël, son amie Clara lui offrit une grosse boîte avec instruction de ne l’ouvrir que le lendemain matin. Après un repas partagé, Clara rentra chez elle. Curieuse de nature, Mélanie ne put aller se coucher sans savoir ce que contenait la boîte mystérieuse. Elle défit le nœud rose et retira le couvercle de carton. À l’intérieur se trouvait une grande poupée habillé d’une salopette en jean et d’un pull aux fines rayures bleu et rouge. Sa chevelure rousse surmontait un visage lacéré de profondes entailles sanguinolentes. « Et elle pense que cela va m’effrayer ? » Et la poupée de répondre d’une voix nasillarde : « Je pense qu’elle n’a pas tort ! » Là , le jouet sauta de la boîte et avança, l’air menaçant, montrant ses dents jaunes et la fixant de ses yeux de verre. Mélanie resta immobile, un petit sourire au coin de la bouche. « Tu penses vraiment me faire peur, rase-moquette ? – Je n’ai pas de cœur et mon plus grand plaisir est de torturer et tuer. Tu veux jouer avec moi ? – Oui, approche donc ! » Lorsque la poupée atteignit Mélanie, celle-ci lui asséna un violent coup de pied qui le projeta dans la cheminée ouverte où un feu de bois dansait joyeusement et dont les flammes dévorèrent rapidement le corps de plastique du jouet maléfique. « Buuuut ! cria la jeune femme. Tu vois, j’aime jouer aussi… mais au foot ! »
Mélanie devait se résoudre à ne jamais connaître la peur. Ce n’était rien. Elle s’en accommoderait. Elle invita donc tous ses amis pour une petite soirée. L’un d’eux apporta un Trivial Poursuit. Mélanie posa la question à Georges : « Quel est le mot le plus long de la langue française ? » Mélanie commença à avoir des sueurs froides, son cœur se mit à battre la chamade et sa respiration s’accéléra. Que se passait-il ? Personne ne remarqua son malaise. Mais lorsque Georges annonça « Anticonstitutionnellement », la jeune femme se mit à hurler, comme elle ne l’avait jamais fait de sa vie. Elle jeta la carte de jeu qui comportait la réponse comme si elle était en feu. Son amie Clara vint la rejoindre dans la cuisine. Après quelques recherches, Mélanie découvrit qu’elle souffrait d’une terrible peur : l’hippopotomonstrosesquippedaliophobie, le mot générant lui-même l’angoisse chez ceux qui en souffrent.
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