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Nouvelles : Bains
Publié par arielleffe le 01-11-2014 11:15:11 ( 1136 lectures ) Articles du même auteur



Je regarde par la fenêtre, le ciel est couvert mais il ne pleut pas. Le fond de l’air est frais, mais rien d’anormal, nous sommes quand même à la Toussaint. La mer est calme. Comme chaque jour, je vais aller prendre un bain. J’ai la chance d’habiter en face de la plage. Les vagues semblent m’appeler. Je me sens tellement bien après cette immersion dans l’eau verte de la Manche. Une vraie régénération, un renouveau, presque un baptême.

Mes affaires sont dans mon sac orange. On m’en a donné deux avec des produits de beauté dans une pharmacie. Maillot de bain, serviette et lunettes de soleil, me voilà parée ! Je ne m’encombre pas de vêtements, c’est là l’avantage d’habiter en bord de mer. J’enfile mon maillot une pièce noir, je m’enveloppe dans ma serviette bleue Klein, et hop, c’est parti ! Pour éviter de me faire voler mes clefs, j’ai un plan. J’habite dans un appartement qui est tout seul sur son étage. J’ai racheté le couloir à la copropriété et j’ai sécurisé les accès. Je suis avocate, je vis seule et je vois tellement de détraqués que je ne laisse rien au hasard. La porte de mon appartement est blindée. Je cache les clefs dans un endroit connu de moi seule dans le couloir. Personne ne peut accéder à mon étage par l’ascenseur, parce qu’il faut une clef spéciale. Depuis trois ans, quand je vais prendre un bain, je passe par l’escalier, je laisse la porte du couloir déverrouillée, et à moi la grande bleue !

J’ouvre le sac. Problème ! A la place de mon maillot sobre et élégant acheté aux Galeries Lafayette, je sors un bikini à volants rose à pois blancs. Il y a aussi un soutien-gorge à balconnets plus que voyant. Zut ! Mon amie Priscilla s’est trompée de sac. C’est une femme adorable, mais avec des goûts vestimentaires pour le moins originaux. Je travaille pour son association. Nous défendons la veuve et l’orphelin. Prisci est une sorte de sainte qu’on pourrait qualifier d’atypique. Elle ressemble plus à Kim Kardashian qu’à Mère Theresa. Mais elle est tellement généreuse ! Elle a passé quelques jours chez moi, je ne vous cache pas que j’ai été contente de la voir partir. Nous avons des façons de vivre tellement différentes ! Elle se sera trompée de sac en partant. Ce n’est pas grave. J’ai vraiment envie d’aller me baigner. J’enfile le maillot Barbie, je sors la serviette…elle est rose avec écrit en lettres pailletées « LOVE ». Formidable ! Un rayon de soleil traverse la baie vitrée, je m’imagine dans les vagues. Il faut absolument que j’aille nager. Je m’enroule dans la serviette. Je vais prendre l’ascenseur pour une fois. Je dissimule mes clefs et je pars. Personne, c’est mon jour de chance. Je regarde mes pieds dans les tongs de Priscilla. Pas besoin de vous dire de quelle couleur elles sont, vous avez deviné je pense. Deux gros cœurs brillants ornent le dessus.

Je traverse le boulevard maritime d’un air détaché. Personne ne me reconnaitra dans cet accoutrement. Arrivée sur la plage, je fouille dans le sac, il doit y avoir un bonnet de bain. Aïe ! Je vous passe la description, je ne sais pas où elle peut trouver des horreurs pareilles. Oublions ces petits tracas, le principal est de pouvoir se baigner. J’entre assez vite dans l’eau qui est encore à 17 degrés, quelle chance ! Je m’arrange pour que ce soit marée haute, je ne veux pas avoir à marcher trop longtemps et me geler en sortant. Les vagues me portent, je me sens légère. Nous sommes quelques-uns à faire encore trempette en cette saison. Je sens l’eau me masser le corps, c’est une véritable thalassothérapie. Je me suis comme ces jolies dames du début du vingtième siècle qui venaient profiter de la mer sur nos côtes. On disait que la mer guérissait toutes les maladies.

Après quelques mouvements de brasse, je sors de l’eau, vingt minutes sont largement suffisantes. Je suis rose de froid. C’est bon pour la circulation du sang. Je mets la serviette autour de moi, elle est assortie à ma peau. Vite, ne traînons pas ! Je traverse la rue, le feu est vert, tant mieux. J’arrive devant la porte de mon immeuble. Je monte dans l’ascenseur, sauvée ! Je me regarde dans la glace, et là, horreur ! Je vois une créature dégoulinante, avec un bonnet de bain orné de grosses fleurs en plastique. Les énormes lettres du mot « LOVE » scintillent sous les lumières. Un frisson d’effroi me parcourt : je n’ai pas mes clefs ! Je ne pourrai pas accéder à mon étage ! L’idiote ! Comment ai-je pu me faire avoir de la sorte ? Dans mon corps gelé par l’eau froide, mon cerveau entre en ébullition. Pas la peine de monter par l’escalier, j’ai complètement oublié de déverrouiller la porte. Réfléchissons vite. Pierre-Jean ! C’est mon compagnon, il habite à côté, il a mes clefs, je suis sauvée ! Prenant mon courage à deux mains, je remonte ma serviette sur mon soutien-gorge à volants et balconnets, et je sors les lunettes taille XXL de Priscilla. Je pars d’un bon pas en direction du domicile de mon bien-aimé. Les cinq cents mètres qui me séparent de sa maison, me paraissent interminables, mais je garde la tête haute, il faut faire comme si tout était normal, c’est la seule façon de ne pas se faire remarquer. Je sonne enfin à la porte. Il est 11h45, il est forcément chez lui. Pas de réponse… Ne nous affolons pas, il n’a peut-être pas entendu. Je sonne à nouveau. Après cinq minutes passées sur le trottoir en petite tenue, je commence à avoir bien froid. Il faut se rendre à l’évidence, Pierre-Jean n’est pas encore rentré. Il ne va sûrement pas tarder, mais je ne peux pas rester ainsi dans la rue. Je sonne à la porte de la maison d’à côté. Un homme d’une quarantaine d’année ouvre. Il est habillé d’une façon vieillotte, ses cheveux sont lissés à la brillantine sur le côté, et il porte des lunettes cerclées de métal doré. Il a un mouvement de recul devant mon look improbable. Il me fait tout de même entrer, ma détresse doit être palpable.

- Je suis confuse de vous déranger. Je suis allée prendre un bain de mer, et je me retrouve à la porte de mon appartement. La situation est complètement ridicule. Mon ami habite à côté, mais il n’est pas rentré. Puis-je l’appeler de chez vous ?

- Bien sûr, je vous en prie.

Il me montre le téléphone.

- Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur de Pierre-J…

Je raccroche. Ça devient cauchemardesque cette histoire ! Pourquoi ne répond-il pas ? Il n’oublie jamais son portable ! C’est un angoissé qui veut toujours être en lien avec ses amis et sa famille ! J’essaie à nouveau sans plus de succès. Je finis par laisser un message.

- Je suis désolée de vous avoir dérangé. Je vais retourner chez lui, il est sûrement rentré maintenant.

- N’hésitez pas à revenir en cas de besoin.


Je crois deviner un éclat un peu lubrique dans les yeux de mon hôte, mais ce sont peut-être les lunettes de soleil que je n’ai pas quittées qui me jouent des tours.
Je retourne chez Pierre-Jean. Son cours de gym finit à 11h30, il est certainement chez lui. Pourtant, personne ne vient. La mort dans l’âme je retourne chez le voisin qui ouvre sa porte avant même que je ne sonne.

- Entrez, entrez.

Je suis complètement désemparée, heureusement, il me reste la solution d’appeler mes parents.

- Allo Papa ? Oui c’est moi. Pourrais-tu venir me chercher, j’ai un problème. Ah la voiture est en panne ? Je vois.

Mon désarroi est tel, que je lâche ma serviette ? Je me retrouve quasiment nue dans le salon du voisin qui se met à genoux devant moi.

- Ma chère, vous êtes si belle. Mon petit lapin !

Il commence à m’embrasser les jambes cet imbécile libidineux. Je sors en courant. Me revoilà dans la rue, quelle sotte ! Et Pierre-Jean qui ne revient pas, où est-il ? Et Priscilla, si elle était moins tête en l’air, je ne serais pas dans une telle situation ! Tout le monde me laisse tomber. Je me redresse.

- Marie, tu en as vu d’autres, tiens le coup !

Je décide de me rendre chez mes parents. Ils n’habitent pas tout près. Le sel me gratte, j’ai froid, je claque des dents. Je décide de garder le bonnet de bain et les lunettes. Ça ne m’évitera pas le ridicule, mais peut-être la pneumonie. En plus, je préfère qu’on ne me reconnaisse pas. Qui fera le rapprochement avec la célèbre avocate havraise ? Après une vingtaine de mètres, je dois me rendre à l’évidence, aller à pied chez mes parents est mission impossible. Même Tom Cruise dans la même situation (l’image réussit à me faire rire), jetterait l’éponge. Le terminus du tram n’est pas loin, je vais me mettre dans un petit coin, avec un peu de chance, on ne me remarquera pas. Aussitôt pensé, aussitôt fait ! Je me précipite sur un fauteuil, et je me fais toute petite.

Tout se passe pour le mieux jusqu’à la troisième station. Un groupe de jeunes montent :

- Eh les gars, visez la meuf, è s’croit à la plage !

- Ma parole, j’y crois pas, elle est dingue ! Eh les mecs, venez voir !

Je me retrouve avec cinq ados autour de moi en train de rire et de m’interpeller. Le plus déluré du groupe s’assoit à côté de moi.

- Vous êtes charmante, il est où vot’ mari ? Il vous laisse sortir comme ça ? Il est fou !

Je ne réponds rien. Je dois descendre à l’arrêt suivant, je me lève avec un air hautain et je me dirige vers la porte. Sur le quai, des hommes habillés tout en noir attendent. Ce sont des contrôleurs ! Je suis tellement affolée que je fais presque pipi dans mon maillot à pois. Je me retrouve pratiquement dans la même situation que ces émigrés clandestins que je défends : seule, désemparée, vulnérable, physiquement différente, et pas du tout en règle. Le basculement de situation est vraiment rapide, je suis passée de la bourgeoise insérée dans la société, à la marginale montrée du doigt.

- La vie d’ma mère j’la connais, c’est mon avocate !

Je n’ose pas regarder, le jeune qui a prononcé ces mots.

- Ben qu’est-ce qui vous arrive m’dame ? Vous avez des problèmes ?

- Tu la connais d’où cette meuf ? C’est une copine à toi ? Eh les mecs, c’est la meuf à Braillane (note de l’auteur : orthographe approximative qui sert à coller au plus près à la prononciation du prénom du personnage) !

- Ta gueule, j’te dis qu’j’la connais.

Il me glisse une carte de tram dans la main.

- J’crois qu’vous avez pas payé. Les gars, on descend ici.

Ils m’entourent, et nous sortons du wagon en groupe. Les fonctionnaires nous demandent nos titres de transports. Je suis complètement dissimulée par mes cinq gardes du corps improvisés. Nous nous éloignons de la station, et Brian me demande ce que je fais là.

- Faut pas vous promener comme ça Madame Hartman, y’a des gens qui pourraient profiter de la situation.

Je prends le temps de regarder ce grand jeune homme, je l’ai effectivement défendu il y a quelques temps. Il avait volé pour nourrir ses frères et sœurs. Sa mère était à l’hôpital avec un cancer, et son père avait déserté le domicile conjugal depuis longtemps déjà. Il avait aussi des activités annexes de dealer de marijuana, mais j’avais réussi à faire pleurer la juge, et elle avait arrêté les poursuites à son encontre. A l’époque, je me disais qu’il aurait sûrement pu trouver un travail pour aider sa famille. Certaines personnes ont le don de se trouver dans des situations scabreuses. Maintenant, je suis l’une d’entre elles.

- Merci Brian, je suis allée à la plage, et j’ai oublié mes clefs.

Je fonds en larmes, la tension est trop forte.

- Vous inquiétez pas, on va venir avec vous. Vous allez où comme ça ?

- Chez mes parents.



- OK, pas d’problème.

Je continue ma route avec ma nouvelle escorte. Ils sont très pittoresques, couverts de chaînes en or, de casquettes et de baskets très voyantes. Finalement, on forme un ensemble assez homogène. Dans une petite rue, une voiture s’arrête à notre hauteur. La police ! Ils descendent très vite de leur véhicule :

- Vos papiers s’il vous plaît !

Je m’avance vers les deux agents, de manière très digne :

- Bonjour, je me présente, Marie Hartman. Je suis avocate. Je suis allée prendre un bain de mer, et j’ai oublié mes clefs. Ces jeunes gens ont aimablement proposé de m’accompagner chez mes parents. Vous comprendrez que je ne peux pas rester dans cet accoutrement.

Les policiers restent sans réaction.

- Vos papiers !

- Je suis dans l’impossibilité de vous montrer mes papiers.

Ils me regardent comme si je venais de la planète Mars. Un des hommes observe les alentours, l’autre continue d’un air exaspéré:

- Les jeunes-là, vos papiers ! Vous, dit-il en me lançant un regard menaçant. On s’occupera de vous plus tard. Vous croyez que c’est une tenue pour vous balader dans la rue ? Avec des mineurs en plus ! On va vous embarquer, vous nous expliquerez ça à l’hôtel de police.

Mes amis sortent leurs cartes d’identité. Le deuxième policier a l’air de plus en plus étrange.

- C’est la caméra cachée ? Surprise surprise ? Non je sais, c’est « Les Improbables », je les ai vu au Théâtre des Bains douches, je sais qu’ils font ce genre de farces.
http://www.youtube.com/watch?v=BgGHqvH1QBg

Kalidou, le plus petit de mes anges gardien sourit :

- Oui m’sieur, vous avez deviné ! On va continuer. On n’vous la fait pas à vous, vous êtes des malins !

Les policiers sont ravis :

- C’est notre métier, vous savez. On est filmés, ça passe quand à la télé ?

- Ça passera au cinéma avant le film, faut surveiller !

- Bon courage, c’est rigolo votre sketch !


- Merci !

Les deux policiers remontent dans leur voiture, l’un expliquant à l’autre le travail de la petite troupe locale de comédiens.
Notre groupe repart, et j’arrive enfin saine et sauve chez mes parents. Quelques minutes plus tard, Pierre-Jean vient me chercher avec des vêtements secs et une grosse veste polaire. Il avait rencontré une amie et était resté à discuter sur le chemin du retour, en plus il avait oublié son portable chez lui ! Un malheureux concours de circonstances en fait.

Belle expérience finalement ! Un peu angoissant de se retrouver de l’autre côté de la barrière mais enrichissant. L’enchaînement de tous ces événements a fait que j’aurais pu me retrouver en réel danger. Je me suis sentie si impuissante, si démunie, sans aucune défense. Pas de vêtements, pas de logement et pas d’argent. J’ai eu si froid, si peur ! Cet épisode de ma vie n’a duré qu’1h30, mais il m’a semblé très long. Pourtant, je savais que j’avais des solutions, je connaissais du monde, j’étais dans ma ville, dans mon pays, je parlais la même langue que les gens qui m’entouraient.

Dès le lendemain, je me suis dit qu’il fallait que je conjure le sort. Je ne pouvais pas rester sur cet échec. Il faisait beau, la mer me faisait de l’œil, je suis repartie prendre un bain.



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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
couscous
Posté le: 03-11-2014 07:49  Mis à jour: 03-11-2014 07:49
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Bains
Une chouette tranche de vie qui fait sourire. Mais si on était à la place de l'héroïne, on rirait jaune !

Jolie philosophie finale. C'est comme lorsqu'on tombe de cheval, il faut remonter de suite...

Merci

Couscous
arielleffe
Posté le: 04-11-2014 14:27  Mis à jour: 04-11-2014 14:27
Plume d'Or
Inscrit le: 06-08-2013
De: Le Havre
Contributions: 805
 Re: Bains
Tu as raison, il ne faut jamais rester sur un échec !
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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