« Se cacher est un plaisir, mais ne pas être trouvé est une catastrophe… ». D. Winnicott.
Voilà une citation que je prends plaisir à relire régulièrement. J’ai une certaine propension pour les mystères et j’ai un goût prononcé pour les parties de cache-cache. Seulement, voilà , personne ne me trouve vraiment, et effectivement, j’ai pressenti, il y a peu de temps, une catastrophe advenir. C’est ainsi que je m’apprête à vous livrer (après avoir très longuement douté) un texte très personnel, parce qu’à ce moment de ma vie, cela m’est plus que nécessaire pour espérer avancer encore. En ayant annoncé la couleur dés à présent, j’invite d’ores et déjà ceux qui voudraient fuir une certaine impudeur de ma part à cesser là leur lecture…
Mon enfance a fait de moi un être affectivement carencé. Seul, cet état de fait, ne peut être assimilé à une maladie, mais plutôt à une peine immense qu’il me faudra sans doute encore traîner quelques années. En effet, après une petite enfance très douloureuse, entre maltraitances physiques et violences psychologiques, j’ai été abandonné alors que je n’avais pas encore trois ans. (Pour ceux qui sont restés, rassurez-vous, le plus gros du pathos vient d’être écrit…).
Depuis que j’ai atteins l’âge adulte, je passe ma vie à m’occuper d’enfants ou d’adolescents dont généralement la principale problématique est d’avoir tant de peine à être, à exister… Il semblerait que je sois assez doué pour les comprendre. Pourtant, c’est évident, à toujours vouloir chercher à réparer quelque chose de l’enfance, vous devinez sans doute, qu’au fond, c’est toujours de moi dont il s’agit. Alors, bien sûr, je me rassure comme je le peux en constatant ne pas être le seul dans ce cas, j’en ai croisé bien d’autres des travailleurs sociaux aussi aimants, que démunis. Croit-on ainsi pouvoir échapper à soi-même ? Certains donnent sans compter leur vie aux autres, d’autres consacrent tout leur temps à un travail, et d’autres encore, s’adonnent éperdument à n’importe quelle autre passion ou drogue… J’en vois même qui ne se posent pas la question, et qui ne cherchent pas à savoir ce à quoi ils tentent de vouloir échapper. Je possède au moins cet avantage. Une chose est certaine, chacun bricole un peu ses solutions pour tenir debout comme il le peut, dans ce monde complètement insensé. Mais pour des personnes un peu plus carencées affectivement, l’équilibre reste évidemment bien souvent très fragile, et un rien, à n’importe quel moment, peut d’un coup venir tout ébranler. Je reste persuadé que l’on ne peut fuir indéfiniment, et que fatalement, le temps passant, tout ce que l’on pensait avoir enterré si profondément, un jour, bien malgré nous, refait surface. Personne n’échappe à rien, pas même à sa béance et encore moins à son néant. Le mien est une carence affective, et récemment, j’ai dangereusement vacillé. D’une sensibilité extrême, mon intelligence ne fonctionne principalement que sur un mode émotionnel et à dire vrai, je n’ai jamais vraiment su gérer l’affection que l’on me porte. Toujours les sentiments me débordent, me confondent même parfois. Comment puis-je risquer d’apprécier pleinement quelqu’un, ou de me faire apprécier, sans prendre le risque un jour, inexorablement, de me faire à nouveau abandonner ? Au fond, comment puis-je mettre tout en œuvre constamment pour me faire abandonner de tous, quand les sentiments que l’on me porte me semblent trop beaux ou trop amples pour moi, devenant presque trop pesants, bientôt insupportables ? Comment contrer cette histoire dont la petite voix me rabâche inlassablement ? « On ne peut que t’abandonner, et si cela tarde à arriver, fais toi-même ce qu’il faut pour les décourager, les écœurer de toi ; au final, qui pourrait bien t’aimer ou t’apprécier ? Tu es et restera celui que l’on abandonne. Regarde-toi mon pauvre garçon, si l’on t’apprécie trop, tu étouffes et tu perds pied au point de te dissoudre, de devenir poreux. Quand tu restes seul, tu déprimes et quand on s’éloigne de toi, tu cries à l’abandon… »
C’est vraiment moche la carence affective !
Alors, l’amitié est la fois pour moi l’un des plus beaux sentiments qui soit, mais aussi l’un des plus compliqué à gérer. Pourtant, j’y accède assez souvent, je crois… Mais voilà , quand il est trop grand, il me dépasse totalement. J’apprécie alors sans fin et sans contour. Par amitié, je m’annihile, je renie ce que je suis et perds mon identité. Je donne tout, n’en pouvant rien garder, ni recevoir… Tout simplement, je me supprime et ne peut soudainement plus exister que dans le regard de cet autre. Quand naturellement, le regard se détourne, ou quand je réalise tout à coup que je me suis fourvoyé, je m’effondre. Même si j’ai eu la chance que cela n’arrive jamais, je crois que toute personne malveillante qui aurait pu feindre des sentiments amicaux à mon égard aurait finalement pu me réduire à son ombre, ou même, m’anéantir complètement. L’ambivalence qui naît ici me livre aux mains d’un terrible danger ; j’ai à la fois ce besoin vital d’être entouré et soutenu, tout en restant vigilant à ne pas me confondre à l’autre, pour apprendre enfin à devenir affectivement autonome.
Il y a quelque temps, des amis m’ont généreusement fait partager un petit morceau de leur vie. J’ai vécu avec ces amis quelques semaines en « Terre inconnue ». Une terre de générosité, et de gentillesse. Pensant faire au mieux, ils ont partagé avec moi un monde dont j’ignorais quasiment tout. J’ai cru en oublier le mien, et vomir ma vie. Je me suis très vite laissé subjuguer par cette vie d’actions et de courages, de mouvements, et pire encore, de fraternité… Plus ces amis m’apprenaient de leurs vies, et plus je trouvais la mienne moche, petite, et ennuyeuse. Je ne me disais même plus que c’était ma vie que j’avais ratée, non, le seul raté, c’était moi… Et puis, j’ai réagi, un peu tard sans doute, mais j’ai réagi quand même ! Pour autant, devrais-je totalement en finir avec cette relation que j’apprécie tant pour ne plus en souffrir, où vais-je enfin pouvoir apprendre à trouver la bonne distance qu’impose généralement les relations d’amitié sereine ? Je ne peux vous raconter la suite de cette histoire qui n’est heureusement pas encore terminée ; mais je peux vous assurer d’ores et déjà que j’ai l’intention de me battre comme jamais. Depuis, un menu brin de chemin plus loin, j’ai retrouvé ma petite vie, et je crois bien que je l’aime énormément… Sans doute tout cela ne serait-il jamais arrivé, si j’avais appris à vivre moins caché. Ne trouvez-vous pas ces confidences incroyablement effrayantes ? N’entendez-vous pas cette petite voix qui vous susurre ; « Abandonnez-le ! » ? Pourtant, aujourd’hui, je semble comprendre que je ne peux attendre d’un ami ou d’un proche qu’il puisse un jour m’offrir tout ce que j’aurai dû recevoir il y a bien longtemps, et qui restera à tout jamais perdu, telle une quête désespérée…
Lorsque j’étais enfant, j’ai été séparé d’un plus jeune frère (attention, c’est un peu de pathos qui revient…). Il y a quelques années déjà quand j’ai cru enfin le retrouver, on ne m’a donné qu’une photo de ce gamin. J’ai d’abord cru que c’était moi tant la ressemblance était troublante. J’ai alors appris qu’il s’était suicidé au plein cœur de son adolescence. Les destins liés, sont parfois si mal attachés. Dans un petit coin de ma tête, je crois toujours avoir phantasmé ou idéalisé ce qu’aurait pu être cette relation fraternelle. Secrètement, sans doute à cause de ce deuil impossible, je l’espère ou l’attends encore… Mais plus cruellement parfois, une plus grande lucidité s’impose à moi et me ramène à cette implacable réalité ; Jamais, je ne serai le grand frère de ce petit garçon. Parfois hélas, cette lucidité m’emporte plus loin encore et en profite pour me rappeler tout ce que je n’ai jamais été, ou ne serai jamais… Je n’ai jamais vraiment été un fils Je n’ai jamais été je crois, le meilleur ami de quelqu’un, ne fût-ce que pour un temps… Aussi, je n’ai jamais été un parrain. Sans doute n’ai-je jamais su m’aimer vraiment, et par la même occasion, autorisé quelqu’un à m’aimer pleinement. Voilà donc ce qu’engendre la carence affective ; une profonde solitude.
Et pourtant, même abandonné plusieurs fois, je suis. Même à ce point manquant, je reste vivant. Inconsistant et incomplet, avec toute ma culpabilité de vivre encore, je suis encore là , capable aussi de faire le tour de tout ce que je tente d’incarner.
Aujourd’hui, je suis un mari et un père. J’habite comme je le peux, tant bien que mal, ces deux principaux costumes. Ce n’est jamais facile (mais j’ai cru comprendre que ce ne l’était pour personne), mais je m’y applique. Le reste du temps, je suis ce type qu’apriori tout le monde semble apprécier plutôt bien. Je suis celui qui s’acharne à vouloir plaire à tout le monde, masquant qu’il est assez intelligent, pour laisser croire qu’il ne l’est pas. C’est un travail titanesque, harassant ! C’est anormal, mais voilà , plaire à tout le monde, c’est assurément prendre le parti de ne plaire à personne en particulier. Quelque part, c’est ne laisser personne vous approcher vraiment, vous connaître parfaitement, et finalement, vous apprécier tout simplement… Je crois aujourd’hui vouloir définitivement rompre avec ce fonctionnement, et ne plus vouloir coller à cet autre adage qui dit ; qu’il faudrait pour vivre heureux, vivre caché… J’ai bien l’intention que l’on me trouve enfin pour m’autoriser aussi, à fortement déplaire !
Peut-être certains feront l’effort de me comprendre plus encore ? D’autres peut-être m’apprécieront davantage ? Je crois que d’autres m’abandonneront encore, à moins que cette fois, peut-être… ce ne soit le contraire…
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