C'est cyclique. Chaque année, dès que le printemps arrive, il me vient une envie irraisonnée d'aller à la pêche. Je dis irraisonnée parce que, si je raisonnais, je m'abstiendrais d'y aller. J' aurais toute mon expérience pour le justifier. Mais vous savez ce que c'est, on se dit toujours que, cette fois, ça va surement marcher. ça ne marche jamais mais j' y retourne. Je l'avoue, je suis le plus piètre pêcheur que j' ai jamais connu; et pourtant, j' en ai observé, des pêcheurs ! mais ma honte, c'est que des pêcheurs, eux aussi, m'ont observé. Je garde le souvenir d'une de mes représentations aux ' Pierres Plates', à l'entrée du vieux port de Marseille. C'est certainement un souvenirs partagé. J'avais acheté une boite d'esques du Havre. Au Havre, on appelle ces vers de vase de la ' p'louses '. Je m' étais installé sur une pierre plate, la bien-nommée, et j' ai déballé mon matériel tout neuf pour le monter. Il y avait de nombreux pêcheurs autour de moi et ils se sont vite désintéressés de ma trop longue préparation. J'étais prêt pour mon premier lancer à Marseille ! Je mettais de côté mes échecs, en d'autres lieux. Du passé, faisons table rase... D'un puissant coup de poignée, j'ai lancé mon plomb de 80g vers le large. Je l'ai vu monter sur fond de ciel bleu... ainsi que le scion que j'avais dû mal ajuster sur ma ligne. J' ai de suite intéressé les pêcheurs qui ont marqué une pause. J' ai aussitôt activé le mouliner pour ramener mon matériel . Bah, un petit contretemps. Le fil s'est brusquement tendu. Zut...le plomb avait probablement accroché quelque chose. J' ai donc posé ma ligne sur le rocher et j' ai pris le fil nylon à deux mains pour en terminer au plus vite. Quand j' ai vu ma canne à pêche qui glissait sur la pierre en pente, j' ai vite lâché le fil pour la rattraper. Trop tard. Elle venait de tomber entre deux pierres. Le bilan était vite fait : je n' avais ni la canne, ni le fil et un scion flottait à quelques mètres de moi. Les pêcheurs, autour de moi, ricanaient sans vergogne en s’interpellant pour commenter mon show. Je devenais fébrile. A la hâte, le montais ma canne de six mètres que je n'avais pas prévu d'utiliser ce jour-là . Grâce à elle, j' ai réussi à repêcher mon lancer, ma seule pêche de la journée. Le fil récupéré, ne voulut pas revenir et en définitif, cassa.Je le ramenais, mais le scion lui, ne suivit pas. Je ferai le bilan à la maison. Je regroupais mon matériel et je m’apprêtais à partir quand je m'aperçus que j'avais laissé ma p'louse sur le rocher. d' un grand coup de pied, j'opérais un lancer parfaitement réussi et mes esques du Havre se sont retrouvés dans leur élément. je leur souhaitais bonne chance, et chacun pour soi !
Bien. Je vous épargnerai la narration d'autres expériences du même type qui, sans être aussi cocasses, ne s'en terminaient pas moins par des échecs. Mais les échecs doivent me doper puisque :
Me revoici paré pour de nouvelles aventures en bord de mer. Durant mes promenades sur le port d'Ajaccio, j'avais remarqué un endroit idéal pour tenter l'aventure : très exactement à l'endroit où les ferries accostent, à côté de la pente de débarquement des véhicules. Bien équipé, riche de mon expérience, je me retrouvais donc assis, de bon matin, sur le bord du quai, les jambes pendantes. Cette fois-ci, j' avais fait l'emplette d'un gros sachet de crevettes 'spécial-pêche' qui devraient faire le bonheur des poissons et, par là même, le mien. Conformément à mes habitudes, j'avais opté pour une nouvelle pêche au lancer. Là , il faut quand même que je vous donne la raison de mon obstination. J' avais essayé la pêche au bouchon un jour, avec mon père, sur le bord de la Saône,à Mâcon. Mon père, connaissant ma maladresse à m'équiper, avait monté deux cannes de six mètres, avait accroché les appâts et m'avait laissé choisir ma canne. Assis côte à côte, nous avions les mêmes chances, me direz-vous.Oh la la non ! Mon père, il m'a de suite fait penser à De Funés, dans un vieux film dans lequel il pêchait , dans un endroit interdit ! Mon père ne tapait pas du pied, mais presque. Il avait une façon de bouger le menton, de se figer brusquement et de donner un coup de poignet à sa canne qu'il ramenait aussitôt avec un poisson au bout du fil. - ' Et toi, ça mord pas ? ' me disait-il l' air un peu étonné mais franchement moqueur. - ' Tiens ! prend ma ligne, je vais regarder la tienne.' Il reprenait sa pêche avec ma ligne, donnait un petit coup de poignet et ramenait un poisson. J' ai passé l' après-midi à changer de ligne et les seuls poissons que j'ai vu, c'était ceux qu'il sortait. Et souvent. Vous comprenez pourquoi je ne pêche qu'au lancer ? j'ai pas le coup de poignet, quoi... Donc, je m’apprêtais à lancer, sur le port d'Ajaccio, quand j' ai aperçu ' la boiteuse' . Comme tous les habitants de la région, je la connaissais de vue, la boiteuse: une vieille mouette hargneuse, sale, méchante et voleuse, qui devait probablement devoir sa claudication à un grand coup de pompe d'un intolérant. Justement, elle se trouvait à quelques mètres de moi et faisait des effets d'ailes en poussant de vilains cris. Elle avait vu mon sac de crevettes et devait probablement saliver d'avance, pour autant que ça salive, une mouette. Moi aussi, je pouvais gueuler ! Elle a marqué sa stupeur en faisant quelques claudications en arrière. Je changeais mes crevettes de côté et lançait enfin mon plomb. Si les meilleures choses se font rares, les vacheries de l'existences sont répétitives. J' ai vite réalisé que le fond marin, à l'endroit où je me trouvais, devait ressembler plus à une décharge publique qu'à un fond de lagon bleu. Z'avez tout compris. J' étais encore accroché. Cette fois-ci, fort de mon expérience en la matière, je pris grand soin à assurer le blocage de ma canne avant de faire autre chose.Je la calais, bourgeois, dans un anneau d'amarrage, puis m'occupais de mon fil. Il venait un peu, par petits bonds.Je déroulais un peu de fil de mon moulinet pour avoir un peu de liberté dans mes mouvements. Je me suis levé pour avoir plus d'aise mais me pris les pieds dans le fil . Je me suis de nouveau assis pour me sortir les pieds du fil. La boiteuse savait apprécier la situation. En quelques bonds, elle se retrouva à portée de bec de mes crevettes. Les ailes écartées, en poussant des cris, elle était plutôt menaçante. Sur le flanc, j' ai pivoté en orientant mes jambes vers elle et l'issue du combat me parut incertaine. C'est à cet instant que j'ai entendu une cascade de rires, derrière moi. Un groupe du troisième âge venait de débarquer d' un bateau en escale et se dirigeait vers la place des Palmiers. Ces braves gens ont-ils pensé que le syndicat d'initiatives d'Ajaccio leur avait organisé ce petit spectacle ? toujours est-il qu'ils l'ont beaucoup apprécié. Je sais reconnaître les bons moments et j' ai ri avec eux, tout en me dépêtrant de mon fil nylon et en chassant la boiteuse. Une fois encore, j' ai repris mon matériel. Pas de coup de pied dans mes crevettes ! la boiteuse en aurait profité. Je les ai emportées avec moi. Je l'ai regretté huit jours plus tard, d'ailleurs. En les retrouvant dans mon frigo. J' ai eu du remord...J'aurais dû les abandonner à la boiteuse..
|