Mon Cher Raymond,
Que de belles années nous avons partagées ! Plus de soixante-trois ans de mariage. Il n’y en aura plus beaucoup qui auront cette chance à l’avenir, avec tous les divorces ce nos jours. Pourtant, on en a aussi partagé des galères, des périodes où l’on a mangé notre pain noir mais tu as toujours su si bien gérer. Et tous ces voyages que nous avons faits. Dès que nous revenions, tu programmais déjà celui de l’année suivante. Même si je supporte difficilement la chaleur, je t’ai suivi des îles Canaries aux îles grecques avec plaisir. Et notre tour de France en scooter ! Comme tu aimais l’évoquer et voir l’incrédulité dans les yeux de ton interlocuteur. Avec notre petit garçon entre nous pour ne pas qu’il soit mouillé. Tu as connu des opérations, un AVC et tu t’es toujours relevé avec la volonté de te battre. Tu étais mon repère, d’autant plus lorsque ma mémoire a commencé à flancher et mes esprits s’embrouiller. Combien de fois tu m’as enguirlandée quand je te disais « Je suis perdue. ». Tu étais devenu le cerveau et moi les bras et les jambes. Nous étions un être complet à deux.
Et une nuit, sans prévenir, tu es parti, me laissant désemparée. Plusieurs fois, je t’ai cherché dans toute la maison, le jardin, le potager que tu affectionnais particulièrement, maudissant ton goût pour cette farce que je ne trouvais pas drôle. Et chaque fois c’est notre petite-fille qui me rappelait ton départ. Je reprenais alors pied dans la dure réalité, pour quelques temps seulement.
Depuis toute petite, j’ai été bercée par les paroles des prêtres qui nous parlaient de la vie éternelle pour ceux qui avaient eu une vie de chrétien. J’ai été baptisée, communiée et me suis mariée à l’église. Est-ce que je fais partie des élus ? Notre petite-fille croit, quant à elle, à la vie dans l’au-delà et même à la réincarnation. Et si c’était vrai…
Ce soir, je me couche avec une douleur dans la poitrine, qui irradie vers mon bras gauche. Je connais bien ce symptôme car il m’a déjà conduit vers une chambre d’hôpital, le soir de ton décès. Je repense sereinement à notre vie, à toutes ces croyances.
Et si c’est vrai… demain, je me réveillerai dans tes bras, mon amour.
Ta Lily
À mes grands-parents
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