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Nouvelles : Tout droit tombés d'un chêne
Publié par Donaldo75 le 13-09-2014 10:47:55 ( 1292 lectures ) Articles du même auteur



Tout droit tombés d'un chêne


Deux gros blaireaux rentrèrent dans le café ; ils affichaient le genre garçon boucher, avec un leader quadragénaire bien dégarni et un suiveur gros plein de soupe. « Encore des cons venus se faire mousser auprès des serveuses ! » se dit Richard, assis au fond de la salle, en recherche d’inspiration pour son prochain article sur les puissants de ce monde et leurs petits défauts.

Richard décida d’accorder un peu de son temps au spectacle en cours sous ses yeux. Les deux serveuses devaient vraiment s’emmerder pour accepter de taper la causette avec leurs soupirants ; la plus âgée d’entre elles, une jolie blonde à lunettes plutôt bien roulée malgré son format miniature, semblait diriger le service et paraissait rompue aux clients collants et aux crocodiles de la drague matinale. La plus jeune, une petite brune à fortes hanches et au style espagnol, s’amusait également de la situation. Nul doute que les deux lourdauds n’en étaient pas à leur première danse avec elles.
Richard, en bon journaliste français, prit quelques libertés avec la vérité et attribua des prénoms à chacun des protagonistes du petit théâtre de la vie en représentation devant lui.
La blondinette, d’anonyme devint Kim en hommage à la célèbre artiste américaine du film ‘Vertigo’ à qui elle faisait vaguement penser, de loin, avec beaucoup d’imagination. La brunette récupéra le prénom de Carmen, juste pour rire. Lourdingue numéro un avait une tête à s’appeler Robert, pas tendance Redford bien au contraire ; son comparse se vit prénommer Albert, parce qu’un duo Robert et Albert ça sonnait bien dans l’imaginaire de Richard. Il trouva même un patronyme au cuisinier, le grand quinquagénaire à gros nez dont la voix grave venait de temps à autre égayer la scène : avec sa tronche de cul et son corps d’armoire normande, il ne pouvait que rejoindre la longue tradition des gars prénommés Alphonse.

Robert était accoudé au zinc, en pleine mastication bruyante de son sandwich jambon-beurre, à dix heures du matin. Richard en déduit que les deux séducteurs amateurs travaillaient dans la construction et avaient démarré très tôt leur journée. Robert parlait la bouche pleine, rappelant à Richard le caniche nain de sa tante Olga, un animal plus occupé à péter dans le salon qu’à défendre sa maîtresse. Albert faisait preuve de retenue ; l’instinct de conservation du dominé lui commandait de ne pas diminuer l’aura de son dominant adoré, aussi respirait-il à peine.
Robert tenta de connaitre la situation maritale et l’âge de Carmen ; son approche balourde reçut la contre-mesure habituelle, déguisée en formule toute faite. « On ne demande pas son âge à une dame quand on est bien élevé, monsieur » lui lança Carmen avec une moue à moitié offusquée. Kim éclata de rire, achevant ainsi la parade de défense des serveuses contre la première salve des dragueurs. Robert ne se démonta pas mais préféra opérer un semblant de repli, pour la forme, en changeant de sujet. Grand connaisseur du monde devant l’Eternel, polyglotte averti et capable de commander un Picon-bière en au moins quatre langues dont le ch’ti, il commença une instructive discussion sur les voyages et l’avantage de tel tour-opérateur en regard de ses concurrents. Albert ponctuait chacune des phrases de son maître par un hochement de tête, comparable à celui des chiens en peluche que les chauffeurs routiers accrochent à leur rétroviseur intérieur.
Kim lâcha l’exposé à la deuxième affirmation péremptoire, prétextant un client à servir de toute urgence ; Carmen joua son rôle de commerçante et alimenta le moulin à paroles par des interjections approbatives en forme de « Ah ? Oh ! Eh Bien ! » destinées à valoriser le sachant. En cela, elle confirmait l’importance du cafetier dans la cohésion sociale française, surtout dans cette bonne vieille ville de Paris où l’individu était atomisé et en recherche perpétuelle de chaleur humaine. Psychologue avisée, elle utilisa ses beaux yeux noirs et son regard de braise, Andalouse en diable, pour donner à Robert un sentiment d’importance, de grandeur mythique. Le roi du bâtiment, le spécialiste de la truelle devenait torero, l’idole de tout un peuple de chasseurs de tigresses et de dragueurs patentés, le temps d’un sandwich jambon-beurre.

« Un petit pas pour la séduction, un grand pas pour la bonne humeur » résuma Richard en regardant les deux serveuses rire aux éclats au départ de Robert et Albert, leur premier duo de comiques de la journée.
Le jeune journaliste se félicita d’avoir choisi ce bar pour écrire son premier article ; il disposait de matière vivante pour se changer les idées entre deux coups de téléphone de son rédacteur en chef et la composition d’une fable montée de toutes pièces et traitant d’un homme politique de droite et de sa liaison supposée avec une chanteuse populaire marquée à gauche.
Richard ne se trompait pas : déjà un trio d’amuseurs entra dans le café et se dirigea, bille en tête, vers le zinc et la blonde Kim. Richard commanda un autre soda à Carmen et se replongea dans sa prose.

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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
Marco
Posté le: 13-09-2014 18:22  Mis à jour: 13-09-2014 18:22
Plume d'Or
Inscrit le: 17-05-2014
De: 24
Contributions: 725
 Re: Tout droit tombés d'un chêne

Donald,

On sent bien, là, le journaliste qui avec peu d'informations mais avec un sens de l'observation aiguisé distribue les rôles, aidé en cela par le comportement, de l'instant, des personnes de ce bar.

Une scène de bar comme il en existe des milliers par jour.
Donald, je suis frustré. Ton histoire je la lisais comme on déguste un verre de lait (là, je mens ! Un verre de Sauterrnes), la fin est arrivé comme un cheveu sur mon verre. Je pensais que l'histoire allait continuer. Avec ta facilité d'écriture, tes personnages avaient la "vie" devant eux.

C'est vrai qu'un bar c'est la porte ouverte sur un nombre de synopsis illimités.

Alors peut-être qu'il y avait message que je n'ai pas compris.
J'aime bien te lire, fort Donald, tu es fort !
Biz

Marco
Donaldo75
Posté le: 13-09-2014 19:05  Mis à jour: 13-09-2014 19:05
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
 Re: Tout droit tombés d'un chêne
Merci Marco,

Je me sentais d'humeur à écrire cette petite histoire sans prétention, si proche des scènes de bar à Paris.
Il n'y a pas de message, juste de l'observation.

Merci,

Donald.
couscous
Posté le: 14-09-2014 14:28  Mis à jour: 14-09-2014 14:28
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Tout droit tombés d'un chêne
Des personnages croqués avec malice, si vrais qu'on les voit en te lisant. Une scène qui pourrait paraître banale mais décrite pour nous faire sourire. Voilà un texte qui devrait plaire à notre ami Bachhus.

Merci pour ce chouette partage.

Couscous
Donaldo75
Posté le: 15-09-2014 04:44  Mis à jour: 15-09-2014 04:44
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
 Re: Tout droit tombés d'un chêne
Merci Couscous,
J'étais plus, au niveau écriture, dans un trip 'sur le vif' sans me préoccuper de l'usage de mots plus oraux que littéraires pour élaborer un semblant d'authenticité.
J'en referai certainement d'autres, peut-être même en direct de ce bar.
Qui sait ?
Bises
Donald
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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