Ce samedi, Lucie et Ludivine décident de visiter Bruxelles. Elles flânent dans la Rue Neuve en évitant d’entrer dans les magasins dont les articles sont hors budget. Elles traversent la Grand-Place, non sans en admirer l’hôtel de ville mitraillé par les flashs des touristes du mode entier. Lucie souhaite trouver le Manneken-Pis, célèbre statuette représentant un enfant nu surplombant une fontaine alimentée par l’eau sortant de son pénis. Il lui suffit de suivre le flux de personnes aux yeux bridés pour découvrir ce symbole de la culture belge. Elle s’étonne de la taille de la statue, proportionnellement inverse à sa renommée. Ludivine pose devant la fontaine. Lucie s’apprête à prendre le cliché lorsque soudain, une main lui arrache l’appareil. Comme elle a chaussé ses talons, elle se retrouve incapable de courser le voleur qui s’éloigne rapidement. Elle a juste le temps d’apercevoir des baskets vert fluo et un survêtement sombre. Dépitée, elle est la proie des regards désolés de la part des touristes qui l’entourent. Ceux-ci ne tardent pas à ranger leur matériel coûteux dans leur sac afin de ne pas passer dans le camp des victimes à leur tour.
Les deux amies se rendent au poste de police le plus proche. Après une interminable attente, elles sont invitées à suivre une femme rachitique jusqu’à un minuscule bureau où un policier à l’allure imposante termine sa conversation téléphonique. Il prend la parole avec un accent bruxellois très prononcé :
« C’est pour quoi ? – Un vol. – Ce n’est pas une agence de voyage ici ! »
Lucie est quelque peu déstabilisée par cette réflexion incongrue, émise sur un ton plutôt cassant.
« On m’a volé mon appareil photo. – Y avait-il des photos compromettantes ? – euh… pour le Manneken-Pis, oui !
Lucie arbore fièrement un sourire, ravie d’avoir pu offrir une parade à la question-piège du policier. Ce dernier éclate d’un rire gras avant de rapprocher son clavier de son ventre proéminent.
« Montrez-moi votre carte d’identité, Madame. – Euh… mademoiselle. Je ne suis pas mariée. – Vous êtes donc libre… mais moi, je ne le suis pas. Je suis désolé de ne pouvoir vous aider. – Et pour mon appareil ? – Pour ça ? Je vais prendre votre déposition. Vous avez la facture ? – Je ne me promène jamais avec ! – Avez-vous souscrit une assurance vol ? – Non. – Alors, la plainte ne sert pas à grand-chose. Avez-vous eu le temps de prendre une photo du voleur ? »
Lucie ouvre de grands yeux en guise de réponse et lance un regard désabusé à Ludivine qui éclate de rire. Lucie ne peut s’empêcher de l’imiter. L’agent prend finalement la déposition de Lucie et lui explique qu’il y a de fortes chances que son bien soit vendu à la sauvette ou dans un magasin d’occasion ou encore exporté vers les pays de l’Est. Bref, notre apprentie touriste doit se résigner à ne plus le revoir et solliciter sa famille ou ses amis pour lui en financer un nouveau pour Noël ou son anniversaire.
Lucie passe la nuit chez Ludivine, dont le mari est parti en week-end avec des potes. Elles passent la soirée à regarder un vieux film romantique qui parvient à leur arracher quelques larmes de crocodiles.
Le lendemain matin, après un copieux petit déjeuner, elles décident d’aller faire un tour au marché aux puces mensuel du quartier. Elles flânent pendant une heure dans les ruelles jonchées de bricoles en tous genres, contemplant les divers étals se réduisant souvent à une couverture posée à même le sol. Soudain, le regard de Lucie s’arrête sur des baskets identiques à celles du voleur de la veille. Elles sont chaussées par un jeune garçon en habits de sport noirs. Sur la vieille nappe à fleurs à ses pieds, Lucie remarque deux appareils photo identiques au sien. Si elle aborde le sujet, il risque de s’enfuir. Elle décide de la jouer plus stratégique et d’aller quérir l’aide d’un des agents qui patrouillent au coin de la rue. Elle lui raconte sa mésaventure de la veille et ses soupçons concernant le vendeur. A la vue de l’uniforme qui s’approche, le jeune garçon devient livide et commence à remballer nerveusement sa marchandise. Il est stoppé à temps et prié de s’expliquer sur la provenance des appareils. Il évoque un vague héritage de la cousine germaine du côté de sa grand-mère. Le policier s’empare des appareils-photos et les présente à Lucie. Rien ne peut les différencier. La jeune femme propose de les allumer. Ainsi, si les photos n’ont pas été effacées, elle trouvera la preuve de la culpabilité du voleur suspect. Le premier contient des images de l’hôtel de ville, du Manneken-Pis mais Ludivine n’y figure pas. Il semble que ce voleur ait une prédilection pour les fans du petit garçon nudiste ! Le second appareil révèle d’autres clichés. Les premiers sont Lucie en tenue légère. Désirant s’inscrire sur un site de rencontre, elle avait utilisé le retardateur pour poser devant l’objectif en nuisette. Elle a rapidement changé d’avis et poster une photo plus traditionnelle. Elle regrette de ne pas les avoir effacées car elle se retrouve bien bête devant le regard concupiscent de l’agent. Histoire de noyer le poisson, elle lance :
« Vous voyez bien que c’est mon appareil ! »
Le policier sort de son trouble passager et attrape le bras du voleur en déclarant :
« Tu viens. On s’expliquera au poste. Suivez-moi, mesdemoiselles. »
Après une courte confrontation, le garçon se confond en excuses, arguant un manque cruel de « flouze » pour acheter sa « beu ». Lucie ressort avec son précieux appareil dans son sac.
« Bon, je n’ai toujours pas de photo correcte de notre ami Manneken. On retourne lui faire un petit coucou ? »
Sur place, Ludivine prend la pose. Lucie observe longuement autour d’elle. Pas de personnes suspectes qui la guettent, baskets dans les starting blocks. Tout semble calme. Elle règle l’objectif et Ludivine se retrouve enfin immortalisée. Sur le petit écran, elles vérifient la photo. C’est drôle, on pourrait presque déceler un petit sourire moqueur au bord des lèvres de la statuette.
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