Les mille mots
Hier soir, à l'heure du souper, le téléphone a sonné, je me suis levé de table, dirigé vers le guéridon où celui-ci était posé, j'ai décroché le combiné… et à cet instant les secondes se sont figées dans le temps, sans dire un mot je me suis effondré.
Enfermé dans une gangue de silence, depuis la nouvelle de la mort de Paul, mon ami… mon frère, j'ai l'esprit qui vagabonde de souvenir en souvenir ; j'erre sur la pellicule de notre tendre et folle jeunesse. Le regard posé sur l'horloge Comtoise, qu'il m'avait aidé à mettre en place dans le vestibule, j'observe ces aiguilles qui me signifient qu'il est l'heure d'affronter le désespoir, l'heure de cajoler la tendresse, l'heure de chasser les détails d'une vie qui attisent la souffrance ; il est vraiment temps pour moi d'aller retrouver Sophie.
Après avoir roulé 45 minutes, je prends une grande allée de pins, qui mène à la villa, de la ville d'hiver d'Arcachon, la maison de Paul et de Sophie. À peine la voiture arrêtée, la baie vitrée s'entrouvre et j'aperçois la silhouette gracile de Sophie. Respirant profondément, je descends rapidement de mon véhicule.
Elle se dirige vers moi, à grands pas, les bras légèrement levés, de façon à ce que ses mains trouvent les miennes au plus vite, et qu'il s'établisse entre elle et moi un contact, pour ainsi dire intime. Ce sont ses doigts qui s'accrochent aux miens, les premiers. Tout son corps est parcouru par un grand frisson ; ses lèvres et ses paupières tremblent, elle sanglote en hoquetant. Je lui prends les mains et les posent sur ma poitrine, son agitation se calme, elle presse celles-ci contre mon cœur, comme si elle voulait le tenir de l'amour et s'imprégner de sa force. Elle qui venait qui venait de perdre Son Grand Amour.
Mon regard ne la quitte plus. Je la tiens délicatement par les épaules. Ses yeux bleus, d'un bleu adamantin, se noient dans une douleur apaisée. Une esquisse de mon sourire murmure à ses larmes qu'elles seront toujours accompagnées, qu'elles ne s'évanouiront pas dans l'indifférence. En lui effleurant le visage, je récupère une larme sur l'ongle de mon pouce… elle est le miroir de ce que j'attendais ; J'y voyais Sophie rire aux éclats.
Un bruit de portières se fait entendre derrière nous. Il est temps que je parte. Sophie me tenant la main, me fait un signe de la tête accompagné d'un long sourire de remerciements. Avant même que j'essaie de parler elle met son index sur bouche avec un léger mouvement de lèvres… chuut ! Elle venait de me faire comprendre que mille mots ou la formule idoine, liée à cette circonstance, ne pouvaient rivaliser avec le langage corporel. Je monte dans ma voiture l'esprit fatigué, les larmes au cœur mais heureux d'avoir pu donner, un peu, de moi-même.
Marco
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