Une fille pleine de piquants (dédiée au "berger Corse" de Bacchus)
J'étais depuis une semaine au paradis, j'avais rompu mes amarres et pour la première fois de ma courte vie j'étais sortie de l’hexagone pour des lieux exotiques. J'avais 17 ans, étudiante travailleuse mais pas très résignée et surtout déjà mangée par une irrésistible curiosité. J'avais consacré les mois de Juin et Juillet à travailler au galeries Lafayette pour payer en partie mes études quand le diable tentateur m'avait fait croiser une affiche dans le couloir du métro : "La Corse vous attend au Corsaire dans le golfe de Propriano" Non ! je n'étais déjà pas raisonnable, j'avais faim d'ailleurs et je n'ai pas résisté, ai-je même essayé, je n'en ai pas le souvenir. J'avais entraîné mon jeune frère, mon cadet de seize mois, dans ce "grand voyage" L'aventure était fabuleuse, nous avons découvert les émotions du premier vol en avion. Nous avons changé de planète en une heure de vol. Tout était nouveau, excitant et plus fabuleux que tous les contes, tous les romans que j'avais dévorés : Ajaccio, et ses couleurs vives, le ciel si profondément bleu, la chaleur, l'air parfumé et nos narines tremblantes pour mieux aspirer les effluves de miel des allées de lauriers roses qui longeaient la route, nos premiers palmiers pliés sous le souffle du mistral, la route étroite et sinueuse qui s'accrochait à la montagne, puis au bout de la peur du ravin et de la conduite de notre conducteur corse, après le village de Colomba, le choc devant le golfe bleu ou somnolait le petit port et le camp avec ses paillotes de palmes. Au bar de la marine, sur la plage, au camp, j'eu très vite beaucoup d'amis. J'inaugurais avec un mélange de naïveté et de conscience mon jeune corps de femme, je découvris très vite que les hommes m'entouraient de leurs regards. Avec angoisse et aplomb j'inaugurais mon premier bikini et j'accueillais les flirts. Il s'appelait Andréi, il avait juste quelques années de plus que moi, il était grand, il était séduisant et surtout très attentionné. Il avait l'accent corse, la chevelure brune et les yeux bleus. Il aimait jouer au poker, au chemin de fer, les réunions étaient secrètes parce que interdites, j'étais son porte chance, j'étais devenu porte-bonheur. je devais juste rester là , silencieuse et patiente. J'apprenais ce monde masculin auquel j'étais conviée, j'observais ses croyances, ses curieuses superstitions et surtout ses susceptibilités que j'accueillais avec un sourire narquois Dans sa voiture je suivais partout, dans sa famille, chez ses amis, dans les villages alentour, de Bonifacio à Corte, j'apprenais la charcuterie Corse avec des dents pleines d'allant, je tolérais sous les regards moqueurs l'épreuve du fromage grouillant de minuscules vers blancs qui sautaient sur la table, je réfrénais mon dégoût par défi. J'engrangeais toutes ses nouveautés, toutes ses étrangetés avec appétit. Ce jour,la voiture filait à grande vitesse pour sortir de Propriano "Tu as déjà mangé des figues de Barbarie ? " "des quoi ? " La réponse ne vint qu'après le signe de croix rituel en passant devant le cimetière à la sortie du village. La voiture avait ralentie, mon ami était agacé : "pourquoi tu ne fais pas le signe de croix devant les morts ?" "parce que je ne crois pas en Dieu et que je ne VEUX pas !" "Un jour tu feras ce que je veux ? " "non, jamais ! " Le regard souvent si doux et tendre, était devenu dur et dominateur. En silence je le fixais droit dans les yeux, quatre yeux qui ferraillaient en silence, le duel des regards fit rage un moment puis cessa brutalement par l'arrêt de la voiture au bord de la route et un baiser fougueux de mon ami Corse. "Viens je vais te faire découvrir les figues de Barbarie, tu vas aimer ça" Je pensais que si ça se mange et si c'est nouveau ça ne peut que m’intéresser. Après quelques Kilomètres vifs et des virages étroits, nous dominions le golfe, la route était bordée d'énormes "cactus", d'énormes plantes grasses rondes comme de oreilles, qui portaient de jolis fruits rouges. Je ne savais rien de ces plantes et Andréi, arrêta très vite mon geste. "N'y touche pas comme ça, c'est couvert d'épines invisibles" Il s'était éloigné et revenait avec une branchette couverte de feuilles. "brosse bien les figues et après tu pourras les cueillir, moi je vais en face de l'autre côté de la route, en cueillir pour ma mère ." Le mistral soufflait plus fort ici qu'en bas dans le port et ses bourrasques emportait parfois nos paroles. Sur cette hauteur, nous dominions le golfe, le ciel sous l'effet du vent était d'une étonnante pureté, d'un parfait bleu profond, plus bas les vagues s'agitaient et battaient les bateaux, les palmiers étaient tous décoiffés, l'odeur du maquis nous entourait. La beauté du lieu me saisit, et je ne le savais pas encore mais cet instant entrait dans ma mémoire, s'inscrivait dans ma vie pour toujours. Le bonheur passe toujours sans prévenir, sans se faire remarquer, il s'inscrit pour faire partie de nous sans qu'on en ait conscience, sans qu'on l'ait choisi. Je me félicitais de n'être pas en jupe, et d'avoir mis ce superbe ensemble pantalon de toile blanche si fine qui mettait en valeur mes jeunes formes et ma fragile peau claire. Ma chevelure rousse emmêlée m'aveuglait par moment, J'étais plus gourmande du panorama et de l'instant que de figues et ma cueillette fut vite finie. Malgré tout je consacrais tout mon temps à un balayage très soigneux, puis je cueillais mes fruits avec plaisir, "Tu as fait attention aux épines ?" Andréi avait été plus efficace que moi et son panier en osier était plein. "Oui, oui, j'ai bien tout brossé et il n'y avait plus aucunes épines sur les figues, elles ne m'ont pas du tout piquée". Le retour fut câlin sous le ciel corse qui s'assombrissait, j'étais silencieuse, fatiguée et en paix. Mon frère était déjà rentré au bungalow lorsque mon ami corse me déposa au camp. Je m'apprêtais à dormir paisiblement. Mais un léger malaise m'indisposait, j'avais chaud et ne trouvais pas le sommeil, malgré le vent du soir et une petite balade sur la plage ma peau s'enflammait de plus en plus. Malgré ma volonté d'ignorer quelques démangeaisons, je dû finir par me rendre à l'évidence, je souffrais de plus en plus et voici que seulement une heure plus tard j'étais prise d'une forte fièvre. La nuit fut infernale, la brûlure insupportable de ma peau n'était pas l'oeuvre maléfique du soleil et je dus déranger un médecin en pleine nuit. Il ne me posa aucune question, à la vue de ma peau il constata que je n'étais qu'un incendie et il conclut : vous avez cueilli des figues de barbarie ! En effet, mon corps était couvert de milliers d'épines qui avaient traversé mon joli vêtement si fin. Quand le jour revenu, Andréi me rendit visite, je n'osais lui avouer mon incommensurable bêtise. J'étais rouge d'irritation dehors, et rouge de honte dedans. Car, en fait, j'avais tout simplement longuement, précautionneusement et soigneusement balayé les cactus bien sûr, mais je l'avais fait en étant placée bien face au mistral ! Juste face au mistral qui avait planté dans ma peau et mes vêtements des nuages légers de flèches enflammées. Mon amoureux Corse m'avait mise en garde, il était si désolé. Il n'avait juste pas prévu qu'une jeune "Pinzutu" puisse se montrer aussi stupide.
Lydia Maleville
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