J’arrive devant la grande bâtisse flanquée d’un verger à gauche et d’un jardin japonais à droite. C’est qu’elle en impose cette demeure à la façade aux multiples fenêtres et aux gargouilles qui vous saluent de leurs gueules ouvertes.
Je parque ma Maserati dans l’allée de graviers blancs et me dirige vers la porte en chêne. Mélanie m’ouvre et m’adresse un petit sourire. Elle est vêtue d’une longue robe mauve sombre relevée par de minuscules papillons dont la silhouette est dessinée au moyen de fines paillettes dorées. Elle a opté pour un maquillage sobre, tout à fait de circonstance pour une jeune veuve.
Mes pas emboîtent les siens jusqu’au petit salon orné d’un canapé en cuir de buffle canadien dans lequel je m’installe, avant d’entamer la conversation :
« C’est très étrange de se dire qu’il est parti. On se connaissait depuis l’enfance. Sacré François ! Il aimait créer la surprise. – Oui, il était formidable. Il m’a toujours comblée… jusqu’à la fin. Peut-être tentait-il d’effacer la différence d’âge qui nous séparait. – C’est possible. Mais qu’est-ce que trente années lorsqu’on s’aime ? J’avoue avoir été surpris lorsqu’il t’a présentée à moi la première fois. C’était il y a un an. – Le temps file ! Nous étions mariés depuis trois mois. – Un mariage dont on se souviendra ! L’adjoint au maire a cru qu’il était ton père ! Vous vous êtes croisés à l’hôpital ? – En effet, j’étais secrétaire médicale et il venait se faire suivre par le cardiologue. – Heureusement que tu étais là après son opération. Un triple pontage, ce n’est pas une mince affaire. – J’ai arrêté de travailler pour être avec lui. – Comment vas-tu faire pour continuer à payer tous les frais, la maison et tout ? – François avait souscrit une bonne assurance-vie. Je suis à l’abri du besoin. – C’est vraiment une mort subite. Une crise cardiaque ! Que s’est-il passé ? »
Là , Mélanie devient rouge pivoine jusqu’au bout des oreilles, s’assortissant ainsi au tapis d’orient du salon.
« Et bien… tu sais que malgré son âge… – 61 ans, comme moi ! – Nous étions très amoureux. Il a toujours mis un point d’honneur à me rendre heureuse et me combler. – Pour ça, il te gâtait ! – Oui, pas uniquement par des présents. Il restait assez actif… dans l’intimité. – Oh, je vois. – Le médecin lui avait conseillé de ralentir le rythme. Il n’a pas voulu écouter et me laisser insatisfaite. Je lui avais pourtant dit que ce n’était pas grave. – Il me confiait qu’il avait peur que tu pâtisses de votre écart d’âge. – Vendredi soir, j’ai bien vu qu’il était fatigué. – Nous sommes sur un gros contrat au bureau. – Et moi, je n’avais pas le moral. Il a voulu me consoler. Enfin, tu comprends…. – Précise ? Je suis un vieux célibataire, tu sais ! – Et bien… de caresses, en baisers, nous avons oublié les conseils du cardiologue. Je me souviendrai toujours de son visage crispé lorsqu’il s’est effondré sur moi. – Oh, ma pauvre !! – Enfin… la vie continue. J’ai cette belle maison qui me rappelle la générosité de François. »
Il me semble apercevoir un éclair traverser son regard bleu lorsqu’elle me demande :
« Et toi ? Tu as souscrit une assurance-vie ? »
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