Finalement, la conversation s’est brutalement terminée par ces propos. Nous avons compris qu’il valait mieux ne pas aller plus loin. Nous n’étions pas d’accord sur l’interprétation à donner aux faits évoqués, autant en rester là . Le silence revenu, la tension accumulée au fil des paroles échangées s’est donc dissipée. Je ne sais pas pour Aÿcart, mais pour ma part, cet échange m’a paru interminable. Non pas que celui-ci m’ait ennuyé, bien au contraire. Je considère toujours comme un privilège de deviser avec lui, que ce soit physiquement ou virtuellement. Mais cette fois-ci, notre dialogue a été épuisant autant qu’extrêmement enrichissant. J’en ai appris énormément, même si je n’ai pas reçu toutes les réponses que j’attendais. Certes, il ne m’a pas révélé que Bohémond de Terdieu a rencontré Nicolas Flamel. Pourtant, il m’a confirmé que le Templier en cavale s’est séparé de ses compagnons après avoir mis les documents de la Commanderie de Belcaire à l’abri. Où, et que sont devenus ses amis, dans quels lieux se sont t’ils cachés ensuite ? C’est toujours un mystère. Une chose est pourtant sûre, c’est que Bohémond de Terdieu a croisé la route d’Arnaud de Villeneuve au cours de l’année 1308. Il a évoqué avec lui l’existence de ces parchemins. Il a souligné que plusieurs de ces rouleaux ont appartenu aux Cathares avant d’avoir été détenu par les Templiers. Mais il n’a pas voulu m’assurer que le Livre d’Abraham le Mage faisait partie de ces ouvrages. Je me demande d’ailleurs de quelle manière, en quel lieu et auprès de qui les Bogomiles – les ancêtres des Cathares - se les sont procuré ? Et notamment, comment, où et pourquoi celui d’Abraham le Mage est tombé entre leurs mains ? Autre question : Qui l’a écrit ? Alors que ses paroles étaient encore fraîches dans mon Esprit, Aÿcart ma demandé de sortir de la pièce. « N’oubliez pas les termes de notre accord, a-t-il fait. Vous m’avez promis de me laisser seul avec le Baphomet à l’issue de notre entretien. Et autant de temps que je le souhaiterai ! ». J’ai donc quitté les lieux et ai rejoint ma chambre. Arrivé là , je me suis assis dans mon fauteuil. J’ai jeté un coup d’œil circonspect en direction du Reliquaire. Puis, j’ai tenté de réorganiser mes pensées. Aÿcart a eu beau nier, je restais persuadé que Bohémond de Terdieu a été l’inconnu ayant vendu le Livre d’Abraham le Mage à Nicolas Flamel en 1357. Il a eu beau refuser de me croire, mais je suis resté certain qu’il l’a revu une vingtaine d’années plus tard. Il l’a fait dans le but de lui suggérer d’aller rencontrer Maitre Canches en Espagne. Mais pourquoi Maitre Canches ? J’aimerai bien le découvrir. Ce que Bohémond de Terdieu et Arnaud de Villeneuve se sont dit ne m’intéresse pas beaucoup. En fait, leurs deux entretiens m’interpellent uniquement parce que je voudrai savoir si Bohémond de Terdieu a raconté au Kabbaliste ce que ses Frères ont décrypté des rouleaux ramenés de Terre Sainte deux siècles plus tôt. Est-ce qu’il lui avait spécifié la nature exacte du Boaz et de la Vasque ? Je ne le pense pas. Lui a t-il décrit les Rituels dont ils ont entouré le Baphomet afin d’introniser un nouveau membre de leur Ordre, l’énigme demeure ? Lui a t-il parlé du Traité d’Abraham le Mage ? Si c’est le cas, cela voudrait dire qu’il l’a soustrait à la cache dans laquelle lui et ses Frères l’ont dissimulé ? Cela serait en tout cas un indice supplémentaire tendant à prouver qu’il était le fameux Inconnu l’ayant vendu à Flamel. Évidemment, ce ne serait pas un argument irréfutable. Mais il me permettrait d’entreprendre de nouvelles recherches, de suivre de nouvelles pistes allant dans ce sens. Ce qui me préoccupe davantage par contre, c’est, si après avoir effectué ses expérimentations alchimiques le 17 Janvier 1382, Nicolas Flamel a réussi à matérialiser son Grand Œuvre ; et sous quelle forme ? Ce qui m’intrigue, c’est cette interrogation : le Livre d’Abraham le Mage lui a t-il livré des informations par l’intermédiaire de Maitre Canches ? Si non, par quel autre moyen ? Puis, que ce soit avant ou après ses entretiens avec Maitre Canches, savait t-il que le Baphomet et la Vasque étaient indispensables dans la réalisation de son Grand Œuvre ? A mon avis, il a fini par l’apprendre puisque – toujours selon moi – il a fini par l’accomplir. Je reste sûr que les rumeurs faisant foi de ses réapparitions momentanées au fil des siècles ne sont pas que des affabulations. Elles ont peut-être été exagérées. Cagliostro a été un spécialiste dans l’Art de la tromperie et de la démesure. Malgré tout, il n’a pas faussé la vérité à ce point devant les Francs-maçons ayant tenu des réunions dans la crypte jouxtant les caves de cet immeuble ! Autre chose, enfin, qui m’embarrasse : de quelle manière, et par qui, Martinez de Pasqually et Guilhem Van Haguen ont t-ils pu accéder à des représentations de la Vasque associée au Baphomet ? Si ni les parchemins trouvés par Godefroy de Bouillon et les premiers membres de son Ordre, si ni les écrits des Cathares ont été étudiés par eux, comment ont t-ils pu reproduire si fidèlement la Vasque du Temple de Salomon ? Comment ont t-ils découvert que ses pourtours montraient les contours de ce que nous nommons l’Archéopangée ? Comment ont t-ils su que ce Continent Primitif englobait des terres qui porteront au cours des Ages récents des noms aussi divers et variés qu’Atlantide, Mu, Pount, ou Hyperborée ?
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