| A + A -
Connexion     
 + Créer un compte ?
Rejoignez notre cercle de poetes et d'auteurs anonymes. Lisez ou publiez en ligne
Afficher/Cacher la colonne
Accueil >> xnews >> Merci (texte écrit dans le cadre du défi de couscous) - Nouvelles confirmées - Textes
Nouvelles confirmées : Merci (texte écrit dans le cadre du défi de couscous)
Publié par Titi le 02-08-2014 10:20:00 ( 947 lectures ) Articles du même auteur



-D’abord il faut que tu saches que dans cette profession, c’est comme dans la vie: rien n’est jamais acquis, les choses que tu désires il te faudra te battre pour les obtenir, et si tu le mérites, alors, mais alors seulement, tu les apprécieras à leurs justes valeurs !!!
Ouf !!!, pour un gamin de 14 ans, ce discours me semblait totalement hermétique, mais il avait été prononcé avec une telle force de conviction, qu’aujourd’hui encore il résonne en ma mémoire.

C’est ainsi, qu’après des études secondaires, voir très secondaires à mes yeux, je me retrouvais dans cette boucherie ancienne, fermée uniquement par des grilles, et ouverte totalement sur la rue, permettant ainsi à l’hiver de pénétrer dans le magasin pour convaincre ses occupants que la température extérieure n’était en rien jalouse de celle de la boutique: -5° dehors, -5° dedans !!!

Ainsi, en janvier 1963, on enregistre -12° à Tours et …….-12° dans le magasin ou, dés lors, pour éviter que la lame d’acier du couteau né gèle sur la viande, il fallait tremper celui ci dans l’eau chaude, avant de trancher le morceau, que nous laissions d’ailleurs au frigo pour lui éviter de se transformer en glaçon !!!

Février de la même année, tempête de neige sur l’ensemble du pays. Dans la rue Colbert à Tours, rue ou était située la boucherie René, on mesure jusqu'à 15 cm de neige, et cela ne doit en rien m’empêcher de livrer le beefsteak de la clientèle située à 15 km à la ronde, malgré le froid et le verglas qui lui avait succédé.
‘’Mais pourquoi, je n’ai pas bossé au collège’’ combien de fois ai je prononcé cette phrase, alors que, dans l’impossibilité de prendre le vélo de livraison sur les rues enneigées et verglacées, il me fallait aller livrer les clients avec le triporteur à pédales, soit environ 50 km par jour.

Pourtant, chaque jour qui s’égrenait, mes regrets s’estompaient, je finissais par trouver de l’intérêt à ce métier ou mon maitre d’apprentissage, en très bon pédagogue, me faisait toucher du doigt l’importance d’une découpe efficace du morceau, de la qualité de sa présentation, de l’accueil de la clientèle qui, me rappelait-il, n’étant pas dans l’obligation de venir faire ses achats dans notre échoppe, se devait, de fait, d’être remerciée, et accueillie avec un bonjour souriant, un merci plaisant, un au revoir aimable, bien des choses oubliées aujourd’hui dans bon nombre de nos commerces traditionnels ou l’on a bien souvent l’impression d’ emm…le commerçant , en faisant ses emplettes chez lui!!!!
En embauchant chaque matin à 6 H, j’appréciais ce moment matinal, ou la mise en place de la vitrine s’effectuait. Une grande partie de celle ci était déjà réalisée par le patron boucher qui, lui, était déjà présent depuis 5 h, et comme nous n’étions à cette heure que tous les deux, il prenait le temps de m’apprendre, de comprendre et de m’expliquer que c’était un privilège d’avoir une activité dans laquelle le plaisir était, au quotidien, présent. (J’ai pu vérifier, dans d’autres activités qui ont jalonné ma vie professionnelle, combien ce précepte était déterminant pour notre équilibre).
Il m’accueillait à l’embauche par ces mots : il te faut apprécier cet instant ou la ville se réveille en silence, c’est le meilleur moment de la journée !!’’
Le meilleur moment, le meilleur moment, il est ‘’lonbéme le louchébéme ‘’(il est bon le boucher, en argot du boucher), à quinze ans, à cette heure là on roupille !!!, mais pourtant, oui, c’était vrai qu’il était bon cet instant de promiscuité et d’échange qui se prolongeait, à 7 h, au zinc d’à coté par le casse croute.
J’avais alors droit à ses confidences, il se laissait aller à évoquer le plaisir de ce métier qu’il adorait plus que tout, mais aussi de sa vie: la guerre, le maquis, les copains disparus, le retour difficile à une vie normale après 5 années de fureur, sa rencontre avec celle qui lui avait donné 8 enfants, et l’admiration qu’il lui portait toujours, après 23 ans de vie conjugale.
En 3 ans d’apprentissage, j’ai grandi de 10 ans !!!
C’est également, dans un de ces moments là que j’ai compris son obsession absolue, impérieuse, presqu’obsessionnelle de ne jamais gaspiller le moindre petit morceau de viande, quand il m’expliqua les 110 grammes par semaine et par personne, qu’il se devait, pendant ces années de guerre, de distribuer à chaque client et ceci, quand il y avait de la viande à distribuer !!!
C’était, j’imagine, le besoin d’exorciser une époque qu’il ne souhaitait pas connaitre à nouveau, et dont il espérait que les générations suivantes ne verront jamais……..

Formidable moment de confidence, dont j’appréciais chaque mot, ayant malgré mon jeune âge, l’impression que ces instants resteraient à jamais marqué dans ma mémoire. Un de ces instants magiques ou le temps s’arrête, en allongeant les minutes pour le faire durer encore un peu plus longtemps !!!

L’ado que j’étais, pensait : certains hommes doivent être immortels et celui-ci est un des leurs, pour être passé entre les gouttes de toutes ces épreuves, en ayant gardé cette foi en l’existence.
C’est sans doute au cours de ces discutions matinales, et roboratives, que j’ai appris à adorer mon métier, et plus encore, à apprécier cet homme dur au mal, bossant plus de 80 heures la semaine, du lundi au dimanche inclus, 12 mois par an, sans jamais émettre une plainte. Une école de vie, qui aujourd’hui encore, me sert de référence.

J’ai intégré bien plus tard, que pour cette génération d’hommes, la souffrance qui justifie la plainte, il l’avait connu quelques années plus tôt, et qu’à ce jour les difficultés rencontrées n’étaient en rien comparables avec celles connues pendant cette terrible époque…..
Aujourd’hui, à plus de 60 balais, j’ai depuis longtemps cessé le métier, et toutes mes autres activités qui ont suivi, mais je ne remercierai jamais assez cet homme, aujourd’hui âgé de 94 ans, de m’avoir permis de donner : une véritable valeur aux choses, le respect du travail bien fait, l’écoute de l’autre, la nécessité de transmettre, et le merveilleux et gratifiant gout de l’effort.

Merci Papa.

Article précédent Article suivant Imprimer Transmettre cet article à un(e) ami(e) Générer un PDF à partir de cet article
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
couscous
Posté le: 02-08-2014 15:04  Mis à jour: 02-08-2014 15:04
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Merci (texte écrit dans le cadre du défi de couscous)
cher Kjtiti,

Ton texte n'est pas une simple nouvelle mais une leçon de vie. Nos nouvelles générations ont boen souvent perdu cette optique du travail bien fait. Seul l'appât du gain prime et au moins on peut en faire, au mieux c'est !

On sent toute l'admiration que tu portes à ton papa. Il me rappelle tout ce que me racontait mon cher grand-père disparu.

Merci mon ami

PS : ce n'est pas mon défi mais bien le tien.

Bises

Couscous
Alanna
Posté le: 02-08-2014 18:22  Mis à jour: 02-08-2014 18:22
Régulier
Inscrit le: 26-07-2014
De: Melun
Contributions: 66
 Re: Merci (texte écrit dans le cadre du défi de couscous)
Un très beau texte sur une très belle personne.
Merci
Marie.
Loriane
Posté le: 03-08-2014 09:48  Mis à jour: 03-08-2014 09:48
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9505
 Re: Merci (texte écrit dans le cadre du défi de couscous)
Oui merci à cette société, à cette culture qui avait plus de sagesse que l'on ne pense et qui savait que le bénéfice n'est pas que pécuniaire mais que le goût de l'effort est aussi garant de plaisir, garant de résistance, et qu'il donne un sens au travail et donc à la vie tout entière. J'ai comme toi, était nourrie du refus du laisser-aller, et je sais maintenant que derrière ces efforts il y a aussi le goût de la lutte, de la lutte qui construit et non pas celle qui détruit. Un combat contre soi, qui rend plus fort, plus résistant et donc plus serein.
Mettre ses pas dans celui de son père, combien cela est rassurant ! Pour les filles c'était une autre affaire, femme de ménage sans considération, sans liberté et sans salaire c'était beaucoup moins excitant.
Oui même si cela fut souvent difficile, " merci "
Très belle lecture
Merci
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

Connexion
Identifiant :

Mot de passe :

Se souvenir de moi



Mot de passe perdu ?

Inscrivez-vous !
Partenaires
Sont en ligne
84 Personne(s) en ligne (33 Personne(s) connectée(s) sur Textes)

Utilisateur(s): 0
Invité(s): 84

Plus ...