Georges poussa sur ses bras et son corps se détacha de celui de Colette. Cette dernière avait les yeux dilatés par l'extase qui l'avait éblouie, et la température de ses joues en feu. Les boucles de ses cheveux humides collaient sur son front comme celle d'une poupée bon marché. Elle sourit d'un sourire nouveau qui ne laissait pas seulement découvrir ses dents mais aussi sa félicité. Georges en la prenant, lui avait tout donné, en la possédant, l'avait libérée. Il avait franchi toutes ses frontières, passé par des territoires encore sauvages et, finalement, était entré dans une région où la matière avait disparu pour faire place à une forêt de sentiments inconnus et là , dans une petite clairière, leurs âmes avaient fusionné. Durant leur union, Colette s'était accrochée de toutes ses forces à la chair de Georges et, avec l'anxiété de trop de bonheur, fermant les yeux pour se mieux concentrer, abandonnée, ne craignant plus pour la première fois de perdre le contrôle d'elle-même, elle l'avait perdu ! Dans un cri de jouissance et de réjouissance, elle avait enfin découvert le goût du don de soi. Etendue, les entrailles tremblantes, Colette remerciait le ciel pour la tempête qu'il lui avait envoyée et qui l'avait poussée, allongée sur sa nef, vers le pays ou régnait Georges. Au bout de son voyage, elle reposait, et le lit, sous elle, semblait encore se balancer au rythme des vagues géantes de sa première traversée. Dans ce nouveau royaume, elle ne respirerait plus désormais que l'haleine de son roi, ne se nourrirait plus que de ses caresses et de tout ce dont il était fait. Georges la dévisagea longuement, s'émerveillant de la capacité qu'elle avait à faire, littéralement, l'amour. Colette, usant de toute son adresse, de toutes son énergie, de tout son corps, faisait apparaître un amour palpable et, tel un sorcier qui applique sur le front d'un " possédé " une colombe égorgée, elle lui plaçait cet amour sur le cœur, et miraculeusement, il était heureux. Les bras de Georges se mirent à trembler et Colette lui dit : «Allonge-toi, mon chéri, tu dois être fatigué. » Après qu'il eut obéi, Colette, lui caressant du bout des doigts les cheveux, soupira : « Comment se fait-il que je t'aime tant ? - Parce que je t'aime tant. - Tout s'est passé si vite ! Je n'arrive pas à y croire ! Je ne savais pas que mon corps était capable de réagir avec la même intensité que celle de mes sentiments. Je veux dire que je ne savais pas que… ma sexualité pouvait servir si bien de support à mon amour… - De piédestal. - Georges, je n'ai jamais eu d'amant ! - Pourquoi me dis-tu cela ? - Parce que je tiens à ce que tu saches qu'avant toi, aucun homme ne m'a attirée. Avec toi, tout parait normal et naturel. - Aimes-tu ton mari ? - Non. Crois-tu que je serais ici, si je l'aimais ? - Je ne sais pas. - Si je l'aimais personne au monde n'aurait pu m'arracher à lui. L'amour n'est pas aveugle, ce sont ceux qui aiment qui le sont. Il suffit d'aimer quelqu'un pour ne plus être capable de distinguer les autres. Par exemple, en ce moment, il m'est impossible de penser à quelqu'un d'autre que toi. Tu es tout ce dont j'ai besoin et tout ce que je désire. » Georges était complètement détendu. Il aimait Colette et en était conscient. « Je n'ai jamais aimé mon mari, continua-t-elle. Je n'en eus que la courte illusion. J'étais jeune et mon expérience était si petite que je la croyais grande. Je choisis de l'épouser, pensant que du mariage naîtrait l'amour. Hélas, je me suis trompée. L'hymen n'est pas la source de l'amour, elle n'en est que le temple. J'ai vécu pendant des années, triste et désabusée, rêvant qu'un jour je pourrais sans regret ni remord, rectifier mon erreur. Aujourd'hui, je le suis. Georges, tu as extrait de moi des sentiments dont j'ignorais l'existence. Tu as su atteindre en moi, les zones les plus reculées et les plus sensibles que mon être avait gardées en jachère. En les cultivant, tu m'as appris à mieux me connaître, à mieux m'apprécier, à mieux m'aimer. » Georges écoutait Colette avec orgueil et gratitude. Elle le faisait se sentir un homme véritable. Ses paroles, comme un doux onguent, lui pénétraient la peau y faisant fondre les chagrins qui l'avaient endurcie. « Je n'ai jamais connu de femme comme toi. - Je vais me séparer de mon mari. Je ne peux pas vivre avec un homme et en aimer un autre. » Georges ne put que prononcer : « As-tu bien réfléchi ? - Oui. Etre possédée par l'homme auquel je n'appartiens plus est une torture, et, l'être par celui auquel j'appartiens, une trahison. Vivre avec mon mari m'attriste. Ne pouvant le rendre heureux, je veux lui rendre sa liberté. Me supprimer le droit de le quitter serait lui supprimer la possibilité de rencontrer une femme qui puisse l'aimer mieux que je ne l'aie fait. Je t'aime, mon chéri et je veux pouvoir te regarder, te toucher à n'importe quel moment du jour ou de la nuit, partager mes joies et mes peines, je veux pouvoir prendre soin de toi et en même temps me sentir protégée par toi. Mon chéri je veux te faire l'amour jusqu'à l'âge de cent ans. - Je ne sais pas si à cent ans j'en serai capable - Mais bien sûr que oui. On ne fait pas l'amour avec une seule partie du corps. On fait l'amour avec tout son corps et son esprit. Pour moi, l'amour c'est toi, tout entier. Te faire l'amour, c'est te faire naître, et t'aimer. C'est te bercer. » Georges était comblé. Il lui donna un baiser, et la paya. Lorsqu'il fut parti, Colette, se rendit à la salle de bains. Assise sur le bidet, elle se lava, en criant : « Putain de bordel ! Quel métier de merde ! Ça suffit plus de se faire enculer, il faut maintenant être une artiste de la Comédie Française avec ces impuissants de connards de psychos ! Enfin ! Bof ! Au moins, il m'a laissé un bon pourboire.»
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