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Nouvelles : Los-Angeles ou Rueil-Malmaison
Publié par Donaldo75 le 30-07-2014 09:28:36 ( 1243 lectures ) Articles du même auteur



Los-Angeles ou Rueil-Malmaison


Une montagne de céréales jonchait la table au milieu des flaques de jus d’orange et des figurines en plastique ; Thomas en déduisit que son demi-frère avait encore confondu le petit déjeuner et son jeu de guerre favori. « Le chouchou de sa maman doit-être sous la douche, en toute impunité. » se dit-il, dégoûté de constater une fois de plus que sa mère laissait passer beaucoup trop de choses à ce petit monstre. Il savait qu’en discuter était inutile ; elle lui chanterait la sérénade du « heureusement que je me suis remariée » et lui expliquerait que procréer à presque quarante ans était un don de Dieu.

Thomas en avait marre de cette situation ; sa famille le gonflait et il ne pouvait compter ni sur sa grande sœur partie faire le mannequin à New-York, ni sur son aîné occupé à marcher sur les traces de son père dans la prestigieuse université de Princeton. En plus, ils avaient été obligés de s’installer en France, chez les grenouilles savantes, parce que beau-papa avait été promu directeur général de son entreprise de dentifrice ; du coup il se retrouvait, lui l’adolescent américain né dans la Cité des Anges, en terminale au lycée privé de Rueil-Malmaison avec les fils à papa et les boudins coincés de la jeunesse francilienne. Il se sentait James Dean dans ’la fureur de vivre’ mais sans Natalie Wood et même pas un petit Sal Mineo à se mettre sous la dent. Juste des nuls occupés à compter leur joaillerie et raconter leur dernière parade dans le bar branché du coin.

Thomas fit l’impasse sur le petit déjeuner ; il se dit qu’avec un bon soda et la pilule adéquate il tiendrait la matinée sans piquer du nez sur sa table. Il prit ses affaires et décampa aussi sec, sans prendre le temps d’avertir sa mère de son départ ; « de toutes façons, elle doit être en train de préparer le chouchou » se dit-il amèrement.
Une fois dans la rue, il regretta de nouveau sa vie en Californie où il se rendait à l’école en voiture ; ses potes lui manquaient et il avait hâte d’avoir dix-huit ans pour revenir là-bas et quitter ces ploucs de Français. Il se résolut, comme à l’accoutumée, à marcher jusqu’au bus puis à attendre et enfin monter dans le rectangle à quatre roues avec les habituels compagnons de chaîne ; il toisa vite fait ses voisins et constata que le changement n’était pas pour aujourd’hui.

Arrivé au lycée, il entra dans la classe de mathématiques, s’assit au fond et accepta que la grosse Sandrine prenne la chaise à côté de lui ; il était un excellent élève et apprendre lui prenait dix fois moins de temps qu’à ses débiles de condisciples. Sandrine le gratifia de son sourire lumineux et plein de dents ; Thomas lui rendit et se demanda pourquoi il avait accepté la veille qu’elle lui fasse une fellation à la récréation. Depuis, elle le collait comme un toutou et tout le monde croyait qu’ils sortaient ensemble ; il s’en foutait un peu de l’avis des autres et Sandrine ne lui déplaisait pas malgré ses rondeurs. Dans l’esprit de Thomas, elle avait quelque chose d’américain ; son obésité, sa capacité à s’émerveiller de pas grand-chose, son bavardage continu et sa vision positive de la vie lui rappelaient sa Californie natale. Pourtant, Sandrine était née loin des plages du Pacifique, quelque part dans le Massif Central au milieu des volcans et des fabriques de pneumatiques ; d’ailleurs, son surnom de Bonne Dame Michelin lui venait de ses origines auvergnates et les légendes lycéennes lui attribuaient une parenté directe avec le fondateur de l’empire économique du même nom.

Sa journée se déroula selon la routine habituelle ; il avala une amphétamine en milieu de matinée, corrigea un élève trop curieux, goûta à l’amour oral avec Sandrine durant la pause de midi, ridiculisa le fayot de service pendant le cours d’anglais et goba un autre comprimé à la récréation de quatre heures. Thomas ne dépassait jamais les limites imposées par le système scolaire ; en cela il n’était pas un rebelle sans cause comme James Dean dans le film qui l’avait rendu célèbre. Tout ce qu’il désirait c’était avoir son baccalauréat puis intégrer l’université de Californie à Los-Angeles où il étudierait le cinéma avec Steven Spielberg ; grâce à son statut de bachelier majeur, il quitterait le pays des mangeurs de fromage et son vrai père l’hébergerait au sein de sa nouvelle famille. Ils correspondaient souvent et ce dernier lui décrivait sa vie de chirurgien esthétique aux prestigieuses clientes, lui parlait de sa femme productrice de cinéma et de leurs enfants ; Thomas se doutait qu’il magnifiait la réalité et rajoutait des touches de silicone par ci par là pour donner plus de relief mais il s’en fichait. « Tout le monde a le droit de s’inventer une existence idéale » avait-il coutume de dire à Sandrine entre deux battements de cils de son amoureuse.

La cloche sonna la fin des obligations scolaires et libéra des hordes d’adolescents dans les rues de la ville royale ; Thomas regarda ses condisciples et haussa les épaules en pensant que dans quelques mois il n’aurait plus à subir le spectacle affligeant de ces boutonneux au langage artificiel et à la conversation inintéressante. Sandrine l’accompagna jusqu’au bus et tenta un instant de lui prendre la main ; Thomas la regarda et s’aperçut que son obèse fan l’aimait vraiment. Il lui fit une bise sur le front et monta dans l’autobus ; il se promit de clarifier la situation avec Sandrine qu’il ne voulait pas faire souffrir.
Le voyage retour ne connut pas d’excentricité ; nul extra-terrestre à tête grise ou terroriste barbu n’agrémenta le transport de ses délires. Thomas descendit à l’arrêt habituel et marcha jusque chez lui ; il sortit ses clés de sa poche et en profita pour récupérer le courrier.
Une lettre lui était adressée ; elle venait des États-Unis et sentait bon le sable californien. Thomas l’ouvrit frénétiquement, lut les premières phrases et comprit qu’il était parti pour en chier au pays des grenouilles.

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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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