- I -
Dans la grande avenue le silence gouverne. Étranges dans ces rues qui ne sont point les nôtres, Nous mourrons dans l'oubli les uns après les autres, Par l'air indifférent : la misère moderne.
J'ignore si j'étais aux coins d'un cimetière : L'Art qui fait les élans est un rêve éphémère Dans les pâles regards, fades, tristes, bizarres, Et la vie est la scène où l'infernal hasard A eu les âmes par cet ennui scandaleux, Comme la nuit a eu la bonté du ciel bleu ;
Aucune âme n'aspire à quelques amours vives, Une foule perdue dans les yeux d'un poète Qui se plaint de cette misère collective ; De ces gens maigres et éternellement tristes Fumant dans les cafés les pauvres cigarettes, Ceux qui d'un seul accord se croient des guitaristes, Et ceux qui créent des maux pour en faire une histoire Pour nous la raconter, fausse mais vraisemblable Donnant l'illusion qu'elle nous est semblable ;
- II -
Et comme le soleil qui se décline au soir, Quelques uns disent qu'ils aiment bien la nature : Ceux qui peuvent prétendre un don pour la peinture Iront certainement s'isoler aux maisons, Sans pudeur, ils mêlent ceci à la raison : L'artiste est l'être libre et tout le justifie ! Le peintre ; c'est l'homme qui de soi se méfie.
Et puis le vrai problème est tous ces faux chanteurs, Le son est incongru dans l'expression qui meurt. Et de ceux, comme moi, aux habits bien usés Qui se veulent rêveurs, penseurs dignes, amants, Entre les plis affreux du gilet non-chalent, J'ai caché le malheur de mon âme abusée.
Les aveugles désirent un Tunis intime, Ces aveugles ont vu l'injuste et la victime, Ceux qui ont tout perdu pour que l'humble jeunesse
Jouit de l'art.
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