L’amour n’a pas de frontières et ne se soumet à aucune loi. L’histoire de Cécile et Véranov nous le prouve. Ils se sont croisés la première fois lors d’une importante conférence qui s’est tenue à Bruxelles. Lui, il est ambassadeur et, elle, interprète de renom. Véranov ne craignait pas les longs voyages et avait été désigné par les siens à ce poste en raison de son bagou. Ils étaient persuadés qu’il saurait défendre les intérêts de son peuple, si lointain de la civilisation humaine. Cécile était née avec un vrai don pour les langues. Elle pouvait se rendre dans n’importe quelle contrée, rencontrer n’importe quel être vivant doué de parole et converser avec lui comme tout autochtone.
Pendant ses missions, Véranov aimait retrouver secrètement Cécile. Un simple échange de regards suffisait. Mais il leur fallait rester très discrets. En effet, des lois interdisaient toute relation intime entre les membres de leurs différents peuples respectifs. Pourquoi ? Sûrement par peur, par méconnaissance. Il faut dire que les relations entre la Terre et Venus ne dataient que de quelques mois. Il ne fallait pas précipiter les choses. En effet, que se passerait-il si des couples se formaient et que, tout à coup, les liens diplomatiques se rompent ? Où habiteraient-ils ? Que deviendrait leur progéniture, et ce, pour autant que la nature les aient rendus compatibles génétiquement ? Trop de question sans réponse pour le moment alors la prudence a été privilégiée d’un commun accord entre tous.
Mais les amoureux n’en avaient cure. Un sentiment pur les animait, une attirance profonde. Que Cécile aimait se plonger dans le regard aux trois yeux de Véranov, recevoir les caresses dont il avait le secret, très habile qu’il était de ses quatre mains et surtout sentir son corps chaud, au teint bleuté contre elle. Ils se retrouvaient dans de petits hôtels perdus dans la campagne belge. Véranov masquait sa singularité derrière de grandes lunettes sombres et un pardessus très large.
En ce mardi pluvieux, Cécile est inquiète. Elle a le cœur au bord des lèvres et une angoisse monte en elle. Elle attend son amant dans une des chambres de « La muette de Portici ». Quand celui-ci passe la porte, il la prend fougueusement dans ses bras multiples. La sentant réticente, il pose son regard dans le sien, qui devient fuyant.
« Que se passe-t-il, balobachi ("mon amour" en vénusien) ? »
Cécile ne dit mot et lui montre un objet étrange qui a la forme d’un gros stylo avant de se mettre à pleurer.
« Je ne comprends pas. Qu’est-ce que c’est ? Tu oublies que nous sommes de planètes différentes. – Je suis enceinte Véranov ! »
Le vénusien reste planté, complètement incapable de réfléchir, partagé entre l’émotion de la nouvelle et le cataclysme interplanétaire que cela va forcément engendrer. Il finit par enlacer Cécile tendrement en lui disant :
« Ça ira ! Ne t’en fais pas. Je m’occupe de tout. »
Pendant les mois qui suivirent, Véranov usa de toute son influence afin d’assouplir les accords interplanétaires. Il parvint à faire abolir la peine de mort initialement prévue pour les contrevenants, et ce, grâce au commerce de plus en plus dense entre la Terre et Vénus. Les humains appréciaient particulièrement les mistys, sortes de gâteaux, et d’autres mets assez raffinés, et les vénusiens étaient devenus accros aux diverses boissons alcoolisées provenant de France et de Belgique entre autres.
Cécile accoucha à dix mois et demi. Comme toutes les femmes de Vénus ont une gestation de douze mois, il faut croire que la nature avait décidé de couper la poire en deux. C’était le lendemain de l’entérinement des nouvelles lois. Le gynécologue, qui avait gardé le secret sur le caractère particulier de la grossesse de sa patiente, fut le premier à découvrir l’enfant. Ce dernier avait la peau légèrement violette, deux yeux, bleus comme ceux de sa mère, et quatre bras, comme son père. Il fut baptisé Lilatche, signifiant « pont » en vénusien.
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