Nostalgie d' une jeunesse, à l' époque où la vie avait un autre rythme, d' autres saveurs
Lorsqu’ on ouvrait le journal, du temps de ma jeunesse, la première chose que les gens lisaient, c’ était les horaires des marées. Je crois qu’ il y avait une connaissance de la nature qui tournait autour des mouvements de la mer. Celui qui lisait le journal énonçait avec sérieux son interprétation du temps selon la marée montante ou descendante du matin. Les marée descendantes très matinales, prévues pour le lendemain, pouvaient faire prendre des décisions rapides pour l’ exercice d’ une passion très répandue, et la sentence tombait de la bouche paternelle : - ‘ Demain, on part à la rocaille ! ‘ Dans cette attente, il n’ y avait pas de grandes préparations à faire, mais un programme allégé de la journée: pas trop se fatiguer et se coucher très bonne heure: demain, on se lève très bonne heure ! Les bottes, les cageots, les gros tricots. Et les crochets, car on en profitera pour aller ‘à la tâte’. On vérifiait l’ état des vélos on mettait le tout devant la porte, et couchés à 18h30... 03h30 du matin. L’ expédition se prépare. Un fort café suffira, on envisage un autre petit déjeuner pour plus tard, et nous partons dans la nuit noire, à vélo, en file indienne. La campagne Normande manque singulièrement de relief, au clair de lune. Nous traversons Montivilliers endormi et, par les petites routes qui coupent les champs de blé qui s’ étendent à l’ infini, nous pédalons lentement vers la falaise du pays de Caux. Inutile d’ arriver avant une heure parfaitement définie , il suffit d’ être à pied d’ œuvre au moment exact ou la marée haute commence à se retirer. Des bouffées d’ air fortement iodées nous font savoir que nous approchons de la valleuse et, peu après, nous nous retrouvons au bord de la falaise. Le spectacle un peu effrayant de cette haute muraille que nous dominons est impressionnant . D’ une centaine de mètres de hauteur, nous avons une vue panoramique de la Manche, immense et noire sous les étoiles et de ce mur abrupt qui s’ estompe dans le lointain . Une valleuse est une dépression de la falaise, par où l’ accès à la mer est possible, grâce à un petit chemin tortueux et dangereux qui serpente jusqu’ au rivage de galets. Nous allions , de préférence, à la valleuse de Cauville. D’ autre préféraient celle d’ Octeville ou de St Jouin de Bruneval, chacun ayant les raisons de son choix. Le notre avait un côté pratique non négligeable. Nous laissons les vélos au bord du chemin et, nos paniers accrochés au dos, nous abordons la descente, sous les recommandations inquiètes de mon père . Parfois, un morceau de cordage aide aux passages les plus difficiles. Le ciel commence déjà à s’ éclaircir un peu et les premières mouettes’ rieuses’, que nous avons perturbées, nous survolent en criant de colère. Je regardais la mer et mon angoisse habituelle me reprenais ; je n’ y pouvais rien, elle me mordait le ventre dès que j’ apercevais la Manche. C’ est une mer qui m’ a toujours fait peur, depuis l’ instant ou je me suis retrouvé brusquement face à elle,la toute première fois que je l’ ai vu. J’ arrivais de ma Corrèze natale , à l’ âge de cinq ans. C’ était l’ hiver, et je me suis retrouvé, à Ste Adresse, devant cette chose monstrueuse , un jour de forte tempête. Depuis ce jour, rien n’ a changer pour moi: j’ ai gardé ces visions de monstre marins qui se meuvent dans des eaux sombres, aux milieux de rochers en dents de scie, mystérieux et dangereux. Mais ’la rocaille’, j’ aimais bien: elle se fait quand la mer se retire ! Si tout a été bien calculé ( et ça l’ est toujours ), nous arrivons sur la plage de galets à l’ heure exacte ou la mer entame son mouvement descendant. C’ est l’ opportunité de surprendre tout ce que nous venons ramasser. Les adultes irons ‘ à la tâte’ , c’ est à dire que, à l’ aide de leurs crochets, ils glisseront leur bras dans les trous d’ eau pour aller débusquer, dans les creux de rochers, les tourteaux et les étrilles qui y sont cachés. Nous méprisions les crabes verts que nous prétendions inconsommables En fait, les Marseillais en font leur régal à l’ apéritif, préparés en sauce très pimentée . C’ est la favouille. La tâte peut être risquée : les pinces d’ énormes tourteaux, voire même la gueule d’ un congre qui n’ a pas suivi la marée et qui est resté coincé dans le trou d’ eau. Mais on apprend à être prudent. Pour les autres, ‘la rocaille’ est plus amusante: il suffit de marcher lentement de rocher en rocher et de cueillir les vignots et les moules qui, à cette époque ,se trouvaient en abondance. Les bulots étant bien moins savoureux que les vignots, nous en prenions juste assez pour une petite dégustation . Les berniques ( ou arapèdes ) nous laissaient totalement indifférents. Il nous arrivait de prendre quelques poissons emprisonnés dans un trou d’ eau. Nous ne voyons pas le temps passé et, en relevant les yeux que nous gardions fixés vers nos pieds, nous nous apercevions que la mer s’ était retirée déjà loin. Nous pouvions voir aussi d’ autres’ péqueux ‘ comme nous, avec leurs paniers et leurs crochets. La cueillette à été bonne ( toujours ). Nous nous rapprochons les uns des autres et retournons vers le pied de la falaise pour amorcer la dure remontée de la valleuse, cette fois lestés de nos paniers pleins.. Je disais que nous préférions aller à Cauville ? Il y avait une bonne raison . Nous repartons sur nos vélos mais, au lieu de reprendre le chemin du retour, nous prenons un petit chemin parallèle à la falaise pour rejoindre, perdue dans la campagne , une petite auberge, bien connue des péqueux. ‘Le café Blanc’… Là , une gentille patronne nous accueille avec un grand sourire, nous installe et nous fait parler de notre matinée. Pour un grand pichet de cidre, elle veut bien nous faire cuire quelques étrilles et tourteaux. Nous passons là un bon moment, rejoins par d’ autres péqueux qui ont le droit au même accueil. Au moment de notre départ, il était habituel de laisser quelques étrilles et moules à notre hôte. D’ autres clients de passage en profiteront gracieusement .. Nous rentrons à la maison en fin de matinée. Le plus dur est pour l’ après-midi : Après que maman ait fait cuire les vignots ( la valeur d’ un grand seau ), la préparation commence. Tous assis en rond devant la montagne de vignots cuits, il faut alors les’ éplucher ‘, c’ est à dire les sortir de leurs coquilles, comme les escargots. Mais c’est bien plus petit que les escargots ! Alors, munis d’ une épingle, nous faisons d’ abord sauter l’ opercule du vignot et tortillons habilement l’ épingle pour extraire, sans en perdre la moitié, la chair de la coquille . C’ est long..c’ est TRES long..et, par habitude, chacun veille à ce que personne ne se déguste ce qu’ il vient de sortir . Le résultat final est le contenu d’un demi saladier qui, préparé à la vinaigrette-moutarde sera un mets délicieux, très nourrissant, qui, accompagné de quelques étrilles, fera un repas inoubliable. Jusqu’ à la prochaine fois. Les tourteaux feront le régal du lendemain.
Les produits de la mer étant fort prisés et , à cette époque, très bon marché, nous achetions fréquemment à des marchands ambulants des crevettes grises ou des god fishs ( coquilles st Jacques ) Les marchands passaient, avec leurs paniers à l’ avant de leur vélo, et vendaient les crevettes au litre, c’ est à dire la mesure d’ une boite de conserve, remplie à ras bord avec la main par-dessus, ostensiblement pour contenir le trop plein. Ah, les coquilles st Jacques panées.! Seul mon père avait le droit de les préparer…….Mais toujours trop poivrées…
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