Aÿcart a été surpris de mon gout pour cette sorte de littérature. Lui, n’a pas de penchant pour tout ce qui a trait à l’imaginaire. Depuis que nous correspondons ensemble, j’ai appris à le connaître ; à discerner sa personnalité. Il est trop sérieux pour trouver du plaisir dans autre chose que ses recherches. Cela ne l’a malgré tout pas empêché de parcourir les titres de certains d’entre eux. Stephen King est un de mes auteurs favoris, je dois bien l’avouer. Le Fléau est pour moi l’un de ses chefs-d’œuvre ; un monument mêlant fantastique, terreur et post-Apocalypse. Un aperçu de ce qui pourrait bien advenir de l’Humanité si elle continue à jouer avec une Nature qui la dépasse. J’aime aussi John Grisham et ses thrillers juridiques. Je les ai tous dévorés les uns après les autres. Dans un autre style, Anne Rice et ses sagas consacrées aux sorcières et aux vampires m’ont enthousiasmé. Notre-Dame de Paris ou les Misérables, pour revenir aux classiques, sont incomparables. Victor Hugo, écrivain prolifique s’il en est, est un conteur né ; de même qu’Alexandre Dumas et ses Trois Mousquetaires ou son Comte de Monte-Cristo. Que dire alors de Robert E. Howard au début du XXème siècle, ou de H.P. Lovecraft qui ont inspiré les plus grands de notre époque. Lovecraft, à lui seul, a forgé un univers incroyable, d’une originalité n’ayant aucun équivalent. Sans négliger le plus important d’entre eux certainement : J.R.R. Tolkien et sa célèbre trilogie du Seigneur des Anneaux. Pour moi, c’est l’un des créateurs les plus inventifs, lorsqu’on sait qu’il a élaboré un monde cohérent, unique, inspiré par les plus importantes mythologies européennes – Celte, Germanique, Slave, etc. – pour donner corps à celui-ci. J’ai une admiration sans bornes pour lui. Douglas Preston et Lincoln Child sont plaisants. Les aventures de Pendergast, leur héros récurent me font penser à celles de Sherlock Holmes. Bien entendu, les péripéties du personnage de Sir Arthur Conan Doyle ne m’ont pas échappées. Comme celles d’Hercule Poirot ou de Miss Marple en ce qui concerne ceux d’Agatha Christie. Ce sont des auteurs comme eux qui donnent leurs lettres de noblesse aux péripéties policières dont leurs ouvrages sont remplis. Il n’y a pas très longtemps, je me suis penché sur les textes d’écrivains dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’alors. Je suis curieux, et toujours à l’affût de nouveautés susceptibles d’enrichir mon Ame ; capables de susciter un bonheur dont je ne suis que très rarement le sujet. Les livres sont pour moi source de joie infinie difficilement descriptible. Je sais jongler avec les mots, je les manie à longueur de journée. Mais les émotions suscitées par ces derniers quand ils m’ouvrent les portes vers des imaginaires fabriqués par d’autres me paralysent. Lorsque je les parcours frénétiquement, je ne peux que m’extasier. Ils me permettent de franchir les murs de mon appartement sans que quiconque ne puisse perturber ce calme et cette sérénité dont j’ai tellement besoin. Ils me conduisent en des lieux auxquels je n’aurai jamais accès. Comment être insensible aux charmes d’enchanteresses telles que Médée ou Circée ? Comment ne pas désirer partager quelques instants aux cotés d’Aragorn ou de Frodon ? Comment ne pas trembler face aux dangers rencontrés par Tanis, Raistlin ou Rivebise, les héros de la Guerre de la Lance ? Car, personnellement, les personnages de Dragonlance et nés sous la plume Margaret Weiss et Tracy Hickman m’ont fait vibrer comme rarement. J’ai relu plusieurs fois les nombreux volumes de ce récit ; ils m’ont toujours captivé. Parmi les auteurs que j’ai récemment découverts, il y a William Lashner, un des auteurs de thrillers juridiques les plus talentueux de ces dernières années. Il y a aussi Donna Tart et son Maître des Illusions. Jean M. Auel et son héroïne Ayla, m’ont surpris, et j’ai suivi leurs passions et leurs tourments avec ferveur. C’était la première fois que j’abordais un roman se déroulant à l’aube de l’ultime Ère Glaciaire que notre planète a connu. J’ai disséqué cette période au cours de mes recherches sur les racines de la Civilisation ; sur la façon dont elle s’est bâtie ; sur les Mythes que ces Temps reculés ont engendrés. Mais je n’avais lu d’ouvrages vulgarisateurs autant documentés, en plus d’être passionnants. Il y a encore Richard North Patterson ou Guillaume Musso, dont les intrigues abordent des thèmes tels que les violences conjugales, la maltraitance d’enfants, ou l’abandon, avec virtuosité. Je n’ai jamais été le témoin de tels comportements de la part de mes proches. Ni mon père, ni ma mère, n’ont été brutaux envers moi. Ni l’un ni l’autre ne m’a battu, ne m’a humilié, ni même crié dessus. Jusqu'à ce qu’il décède au cours de la débâcle de Juin 1940, mon père a été quelqu’un de doux, de tendre, et d’affectueux ; que ce soit envers Sidonie, envers Benjamin, envers Samuel, ou envers moi. Ma mère, de son coté, a toujours été à notre écoute, patiente, volontaire. Je n’ai pas rencontré une personne au cours de mon existence qui m’ait autant aimé. Par contre, ces récits évoquant l’Enfer subi par certains couples m’ont renvoyé à d’autres épisodes de ma vie qui, après les avoir quittés, m’ont traumatisé. J’aurai peut-être l’occasion de revenir sur ces événements… En tout état de cause, ces livres ont parlé à mon cœur, d’une certaine façon. Comme chacun de ceux dont j’ai parcouru les pages. Chacun, à leur manière, m’ont apporté quelque chose que la Réalité quotidienne – de celle que vivent les millions d’individus enchaînés à elle – n’a pas pu m’offrir. Lorsque j’étais jeune adulte, c’est en me plongeant dans les méandres de la finance internationale et des affaires, que j’ai réussi à surmonter mes propres démons. Et au sortir de la Guerre, ils m’ont permis de vaincre ma peur du lendemain. Comme je l’ai déjà spécifié, je ne le regrette pas. C’était une autre époque, j’avais d’autres rêves, d’autres ambitions. Pourtant, ces meurtrissures n’ont jamais complètement disparu. Les tourments qui me hantent depuis, et que je m’apprête à détailler ici en sont la preuve. Je n’entreprendrai pas la rédaction de cette Chronique si je les avais enterrées. Et il arrive parfois, depuis que j’ai été admis au sein de la Fraternité, que des ouvrages me remémorent les souffrances qui ont jalonné mon parcours. Ce n’est pas parce que je suis aujourd’hui un Adepte de l’Art qu’elles se sont effacées. Ce n’est pas parce que je ne suis plus qu’un vieillard que je les aie oubliées.
Aÿcart, qui est également un admirateur de la chose écrite sait, lui, à quel point les livres ont une importance vitale à mes yeux. Il est dans le même cas que moi, mais pour d’autres raisons. Il m’en a expliqué quelques unes au cours de nos longues conversations sur Internet. Nous en avons discuté les rares fois où il m’a rendu visite à l’appartement. Je suis conscient qu’il ne m’a pas tout révélé. Nous avons tous nos Secrets personnels que nous n’avons envie de partager avec personne. J’ai les miens, il a les siens. C’est tout à fait naturel. Malgré tout, il m’a confié une partie de son itinéraire avant de devenir un Frère. Et lui aussi est un mutilé qui n’a pas choisi le Destin auquel il a été confronté. Quand il a examiné les rayonnages accrochés aux murs du corridor, il n’a émis aucun commentaire. Son visage a été empreint de surprise. Durant une seconde, ses traits ont laissé apparaître un soupçon d’indécision. Lui qui n’a pas l’habitude de ce genre de littérature, je l’ai senti un peu perdu. Lui dont les ouvrages de référence sont, chaque jour que Dieu fait, « De la Démonologie des Sorciers », « le Lévikiton », le « Grimorium Verum » etc., il n’y est pas accoutumé. Il ne m’a posé aucune question. Mais, à cet instant précis, j’ai réussi à pénétrer un fragment de son Esprit. En matérialisant les Mots appropriés, j’ai creusé une minuscule porte aux frontières du sien. Et j’ai fugitivement vu que chacun de ces textes, aussi distrayant soient t-ils, étaient pour lui une énigme. Ils représentaient un univers étrange et déconcertant dont il ne comprenait pas la signification. Nous nous en sommes éloignés. Elisandre a jeté un dernier coup d’œil en direction du tableau ; toujours inquiet à l’idée qu’un ectoplasme puisse en surgir subitement. Je l’ai précédé jusqu'à l’entrée de mon bureau. Auparavant, j’ai tendu mon bras en direction de la porte de ma chambre. « C’est ici que je dors, lui ai-je dit. ». Mais il n’a pas paru s’en formaliser. Je lui ai tout de même désigné les symboles taillés au centre de son panneau de bois. Censés me protéger des malveillances de l’extérieur, ils désignent un orbe céleste environné d’un halo bleuté. A gauche, j’y ai tracé un Œil de Râ - l’une des plus anciennes emblèmes conservatoire existant au monde ; mais aussi, l’une des plus puissantes. A droite, j’y ai inscrit une Swastika. Et au dessous, j’y ai dessiné une étoile de David. Elles n’ont pas capté son attention. Ses yeux étaient déjà attirés par le seuil de la plus imposante des pièces de l’appartement. Dépité, je l’ai rejoint. Je lui ai fait franchir l’ouverture. Un instant, j’ai pensé à ma chambre. Je me suis imaginé en train de déverrouiller ses défenses à l’aide de Vocables personnelles. J’ai songé aux auréoles s’en échappant, et indiquant qu’il n’y avait plus aucun danger. Je me suis vu tourner sa poignée ; j’ai perçu les crissements de ses battants, tandis que d’ultimes halos s’en échappaient. Je me suis surpris y pénétrer, observant autour de moi chacun des meubles : ici, un simple lit de aux draps rêches qu’Elisandre ne parvient jamais à assouplir. Recouvert d’un tartan, il est illustré de fleurs de lys ; ses encoignures désignent des rosaces dont le centre argenté se métamorphose en motifs couleur de nuit. Là , c’est une table basse encombrée de volumes de toutes tailles et de toutes sortes. Beaucoup sont cornés, et ont des pages déchirées. Ce sont les livres « tout public » grâce auxquels je m’évade de mon domicile chaque soir. Ils n’ont aucune valeur marchande parce qu’on en trouve des exemplaires par milliers dans n’importe quelle librairie de Paris ou d’ailleurs. Mais pour moi, ils ont une grande valeur sentimentale.
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