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On ne devrait jamais quitter Montauban
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Publié par
Donaldo75
le
24-05-2014 08:39:52
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On ne devrait jamais quitter Montauban
Fernand quitta le commissariat une main devant, une main derrière. Il regrettait amèrement d’avoir quitté sa fabrique de tracteurs à Montauban. Qu’était il venu faire à la capitale ? Il se le demandait encore. Pour ce que cela lui avait apporté. Que des ennuis. Et pas des moindres. Il avait même frôlé la correctionnelle.
Il se souvint alors le début de cette histoire épique. C’était chez André Dugommeau, son fournisseur préféré en matière de transmissions. — Tu sais, Fernand, avait commencé le Dédé, j’ai lu qu’un inventeur a conçu un moteur qui fonctionne sans essence. Uniquement avec des résidus agricoles et des excréments de vache. Il paraît même, selon des sources bien informées, qu’il cherche un industriel pour tester son procédé. Il le dédommagera de ses frais s’il le rejoint à son atelier de Paris pour discuter de leur collaboration scientifique. — Je ne suis pas ingénieur, mon vieil ami, répondit prudemment le rude chef d’entreprise. Et je n’ai pas besoin d’innover alors que mes clients, de Carcassonne à Agen, sont des agriculteurs qui ne connaissent même pas Internet et la technologie moderne. — Tu sais bien que ton activité est concurrencée par les Chinois, qui tirent les prix vers le bas, avec une main d’œuvre bon marché et très mal qualifiée de surcroit, raisonna son compère. Tu es un dinosaure et le temps est venu de rejoindre le vingt et unième siècle. La discussion dura quelques heures mais André l’emporta, entre la poire et le fromage. Il persuada le casanier Fernand de l’accompagner à Paris lors de son prochain séjour dans cette ville, à l’occasion d’un congrès de la confédération générale des petites et moyennes entreprises. Le sieur Dugommeau, connaissant bien son client préféré, prit lui même les billets, contacta l’inventeur et réserva deux chambres dans un hôtel de Bagnolet.
Le lundi vers quatorze heures, les deux entrepreneurs de province arrivèrent en métro sur leur lieu de résidence, un bel établissement deux étoiles. Ils stockèrent leurs effets dans leurs chambres respectives puis chacun partit de son côté. André, obligé par un rendez vous avec les hautes instances patronales où il désirait se faire une place au soleil, partit en taxi du côté de Puteaux. Fernand, plus prudent, prit le soin d’appeler son correspondant, le concepteur du moteur supposé tourner sans hydrocarbures. — Hubert Boulon de la Visse, répondit son interlocuteur. A qui ai je l’honneur de parler ? — Fernand Chochon, se présenta le provincial industriel. Nous avons convenu, par le biais de mon ami et fournisseur André Dugommeau, de nous rencontrer tantôt pour discuter de votre dernière invention. — Diantre, vous avez raison, j’ai failli oublier cet engagement, s’excusa l’inventeur. Je vous attend dans mon atelier du vingtième arrondissement, rue des Pyrénées. Vous avez l’adresse exacte, je suppose ? — Oui, j’ai tout ce qu’il me faut pour vous rejoindre, le rassura Fernand. — Eh bien, à tout à l’heure, conclut Hubert Boulon de la Visse. Ma femme Mathilde nous préparera une de ses collations dont elle a le secret. Vous m’en direz des nouvelles. Je pourrais ainsi vous expliquer l’affaire plus en détail. Ensuite, vous aurez droit à une petite démonstration.
Trente minutes plus tard, Fernand se trouvait à l’adresse indiquée. Il voyait en face de lui une superbe vieille bâtisse, une maison de ville comme il en existe peu dans cet arrondissement populaire. Il sonna. Attendit. Pas de réponse. Sonna de nouveau. Toujours rien. Décidément, ce Hubert Boulon de la Visse semblait un tantinet distrait, pensa le rude Montalbanais. Par pur réflexe paysan, il poussa la porte d’entrée. A sa vive surprise, elle s’ouvrit facilement. Une sorte d’invitation à poursuivre plus loin la visite. Il céda à la curiosité et entra dans la place. — Monsieur Boulon de la Visse, c’est Fernand Chochon, de Montauban, clama t-il à la cantonade. Je suis rentré. Votre sonnette doit être cassée. Il patienta cinq minutes. En vain. Excédé par cette impolitesse chronique, il décida de continuer en direction de ce qui ressemblait à une salle de séjour. Magnifiquement meublé à l’ancienne, cet espace cossu n’en demeurait pas moins déserté de toute présence humaine. Fernand n’abandonna pourtant pas. Il n’était pas monté à la capitale pour finir en queue de poisson, sur un rendez-vous raté. Il rebroussa chemin et obliqua vers la gauche. En face, un hall, plutôt étroit, décoré de machines étranges, sortes d’inventions inachevées, conduisait vers une immense pièce vitrée. Fernand s’introduisit en ce lieu, supposant, à juste titre, qu’il constituait l’atelier d’Hubert Boulon de la Visse. A peine entré, il remarqua des traces brunes sur le sol. Fraiches. On aurait dit du sang. Fernand commença à s’inquiéter. Il se demanda s’il n’était pas arrivé quelque fâcheux accident au propriétaire. Il lui fallait en avoir le cœur net.
Deux corps allongés dans une mare liquide. Des objets cassés dans tous les sens. Il y avait eu de l’agitation récente ici, se dit Fernand, qui usait volontiers de l’euphémisme. Il se pencha sur ce qui semblait être un homme. Son visage portait les stigmates d’une lutte inégale entre un vieux monsieur peu aguerri au combat et une brute épaisse armée d’un instrument contondant. Fernand vérifia son pouls. Faible, se dit il. Il procéda à la même vérification avec la seconde personne étendue sur le plancher. Conclusion identique. C’est à ce moment précis qu’il reçut un violent coup sur le sommet du crane. Ce fut son dernier souvenir.
A son réveil, Fernand se trouvait attaché sur une chaise dans le salon. Il faisait nuit. Des silhouettes confuses lui faisaient face. — Enfin, notre invité surprise daigne se réveiller, déclara un homme au physique peu avenant. D’après vos papiers d’identité, vous vous nommez Fernand Chochon et venez du Tarn et Garonne. Que faisiez vous ici et pourquoi ? — J’avais rendez-vous avec monsieur Hubert Boulon de la Visse pour des raisons professionnelles, répondit l’entrepreneur montalbanais. — Quels sont les véritables motifs de cette visite ? demanda un deuxième personnage. Et ne nous mentez pas, nous avons les moyens de vérifier vos dires. — Nous devions discuter d’une éventuelle collaboration, avoua Fernand. Je suis constructeur de tracteurs et un de mes proches m’a conseillé de m’approcher de monsieur Hubert Boulon de la Visse dans le cadre de ma recherche en moteurs d’engins mécaniques. Il dispose d’une certaine expertise qui pourrait m’intéresser. — Vous évoquez son affaire de moteurs écologiques ? avança le premier inquisiteur. Ce sont des fables que seuls des gogos de province ont eu la faiblesse de croire. Et vous semblez l’archétype même de l’abruti qui tombe dans ce genre de piège. — Mais qui êtes vous donc ? s’enquit le peu diplomate Fernand. Et qu’est il arrivé à monsieur Hubert Boulon de la Visse et sa femme ? — Nous comptions sur vous pour nous le dire, répliqua derechef celui qui semblait être le chef de ce duo. Nous venions signifier à ce pseudo inventeur que nous avions percé à jour son arnaque industrielle. Et nous vous avons trouvé en position compromettante, devant les deux cadavres de ce couple d’escrocs. — Ils respiraient encore quand je les ai découvert, rectifia Fernand. J’en déduis que vous les avez achevé ou au minimum que vous n’avez rien fait pour leur porter secours. Sur ces mots, un brin provocateurs, Fernand fut récompensé d’un direct du droit, lancé sans retenue par le plus grand des deux hommes. Il tomba sur le sol, toujours solidement attaché à sa chaise. La brute le souleva comme un fétu de paille et le remit en position droite, assis sur son trône de fortune. L’interrogatoire pouvait continuer. Fernand en déduit qu’il allait connaitre une fin de soirée mouvementée.
En effet, l’interrogatoire se poursuivit, entre claques et questions, dans une fureur continue. Fernand n’avait jamais les bonnes réponses, ce qui énervait ses deux tortionnaires, convaincus d’une collusion entre le chef d’entreprise provincial et le supposé escroc parisien. L’approche brutale ne donnant aucun résultat probant, le duo décida d’arrêter les frais pour la nuit. Ils avaient besoin d’un peu de repos. A demi inconscient, ce fut à peine si Fernand les entendit s’éloigner vers une destination inconnue. Il avait gagné un répit salutaire, au moins pour ses joues enflammées.
Au petit matin, il perçut un bruit de porte claquée. Puis le son d’une voix haut perchée. Celle d’une jeune femme, probablement, pensa Fernand. — Mon oncle, je vous ramène les outils que vous m’avez prêté la semaine dernière, cria la nouvelle arrivante. Je les dépose dans votre atelier. Puis, un cri. Visiblement, cette impromptue visiteuse venait de découvrir les cadavres dans la pièce de travail. Et ce spectacle sanglant ne l’avait pas enchantée. Cinq minutes plus tard, il vit apparaitre une toute frêle adolescente blonde, les yeux rougis par les pleurs et complètement effrayée. Elle se tenait en face de lui, interloquée, hagarde. — Qui êtes vous et que faites vous chez mon tonton ? demanda t-elle, d’un ton peu amène. — Détachez moi d’abord, nous devons quitter cette maison au plus vite, ordonna Fernand qui commençait sérieusement à entrevoir la fin de ses problèmes. — Que se passe t-il ? continua la nièce d’Hubert Boulon de la Visse. — Je n’en sais fichtre rien et je ne compte surtout pas attendre le retour des méchants de service pour entendre leur version, répondit Fernand. Faites moi confiance, nous sommes en danger et il nous faut rejoindre le commissariat de police du quartier. Coupez mes liens, tout de suite ! La jeune fille s’exécuta, à l’aide d’un couteau de cuisine. Fernand la prit fermement par la main et la traina de force avec lui, en dehors de la demeure. Il lui enjoint vivement de se réfugier, en sa compagnie, dans le commerce le plus proche. Ce fut à la première boulangerie du quartier qu’ils trouvèrent du secours. Coralie, c’était le prénom de la nièce du défunt inventeur, connaissait plutôt bien le propriétaire des lieux et lui demanda si elle et son compagnon d’infortune pouvaient se cacher dans l’arrière boutique, à l’abri des regards indiscrets. A une heure aussi matinale, il n’y avait pas foule. Le commerçant accepta, sans poser de question embarrassante. Ils appelèrent ensuite la police, invoquant un double homicide. Le boulanger, refroidi par cette information, décida de fermer son local, en attendant l’arrivée des autorités compétentes. Il soigna Fernand de son mieux et lui servit un copieux petit déjeuner. Coralie, pour sa part, resta silencieuse dans son coin, encore sous le choc de la funeste découverte.
Une heure plus tard, les deux protagonistes se trouvaient dans le bureau du commissaire Cruchot, en train de lui raconter, chacun à sa façon, les évènements récents. L’officier de police avait fait dépêcher son meilleur inspecteur pour constater les faits sur la scène de crime. L’unité scientifique était en route pour sécuriser les éventuelles preuves du forfait et relever les éventuels indices. La procédure criminelle était lancée. Le temps de l’interrogatoire et des dépositions venait. — Mademoiselle Coralie Boulon de la Visse, vous affirmez être rentrée au domicile de votre oncle et votre tante, ce matin à sept heures, pour leur rapporter des outils qu’ils vous avaient prêté, récapitula le policier. — Oui, monsieur le commissaire, répondit, en tremblant, l’adolescente. La porte n’était pas verrouillée, ce qui changeait de leurs habitudes. Je suis rentré sans sonner et me suis dirigé vers l’atelier de tonton Hubert. C’est là que j’ai découvert les deux corps allongés sur le sol, ceux de mon oncle et de ma tante. C’était atroce. N’en tenant plus, Coralie se mit à pleurer à chaudes larmes. La pression retombait et se remémorer cet insupportable moment avait eu raison de ses nerfs. Père de trois enfants, l’expérimenté Cruchot savait qu’il ne devait pas insister, pour l’instant. Il fit venir une de ses adjointes, pour qu’elle recueille la déposition de ce témoin traumatisé. Une fois Coralie hors de son bureau, il focalisa son attention sur cet obscur entrepreneur de province. Suspect ou victime, il va falloir trancher, pensa le commissaire, soupçonneux de nature. — Monsieur Fernand Chochon, vous affirmez être arrivé chez Hubert Boulon de la Visse, pour un rendez-vous d’affaires convenu de longue date, déclara pompeusement Cruchot. Selon vos dires, qu’aucun témoin ne peut confirmer à cette heure, le couple de propriétaires était toujours vivant mais fort mal en point, quand vous êtes entrés dans l’atelier. — Puis vous avez été assommé par derrière, par une main inconnue, avec un instrument contondant, continua l’officier. Ce n’est qu’à votre réveil, solidement ligoté sur une chaise du salon, que vous avez pu enfin voir vos deux agresseurs. Et ces mystérieux personnages vous ont soumis à un interrogatoire viril, ce pendant le reste de la journée, avant de vous abandonner, pour une raison qui vous échappe et à moi aussi, d’ailleurs. — C’est un bon résumé des faits, répondit laconiquement l’entrepreneur, qui n’appréciait que très moyennement les allusions soupçonneuses de l’inquisiteur galonné. — Nos experts sont sur place, précisa le commissaire. Ils nous fourniront des informations concordantes, ou pas, avec vos affirmations. Je ne vous cache pas que votre récit ne m’a pas complètement convaincu. En particulier, je reste sceptique sur la raison réelle de votre présence en ces lieux. Il va falloir m’expliquer tout ça, avant le retour de mon second.
Fernand sut qu’il n’était pas arrivé au bout de ses peines, avec ce type de fonctionnaire qui tirait sa puissance dans la peur du gendarme, tradition purement française. Mais il en avait vu d’autres dans sa chienne de vie, des vertes et des pas mûres, pensa aussitôt le robuste entrepreneur. Et ce n’était pas un gradé parisien, pompeux et imbu de sa fonction, qui lui ferait perdre son calme. Il n’aurait cependant jamais dû quitter Montauban. C’était, depuis le début, son intuition. La suite des évènements confirma ses dires. Les indices récoltés sur la scène du crime disculpaient, de façon évidente, le chef d’entreprise. Cette affaire de moteurs écologiques, escroquerie ou pas, constituait un mobile véritable pour un tel forfait. Et Fernand n’aurait été, dans tous les cas de figure, qu’un futur client pour Hubert Boulon de la Visse. Enfin, son fournisseur et ami, André Dugommeau, un ponte du patronat local, dûment contacté par les enquêteurs, témoigna très favorablement pour Fernand. Sa déposition, assortie de preuves irréfutables telles que les messages électroniques, les réservations d’hôtel et les billets de train, plaidait complètement pour la thèse de l’innocence de l’entrepreneur montalbanais. Nul ne saurait jamais qui étaient ces deux brutes épaisses, arrivées, on ne savait comment, dans la maison des victimes, puis parties, on ne savait où et pourquoi. Quant à l’identité des réels coupables de ce sanglant double meurtre, il fallait désormais s’en remettre aux relevés d’empreintes digitales, si toutefois il y en avait, ainsi qu’à d’éventuelles traces dont la police scientifique rechercherait l’origine. Autant dire, se mit à penser Fernand, que les chances de résoudre ce mystérieux crime semblaient minimes. Le commissaire Cruchot, à bout d’arguments plausibles pour garder le chef d’entreprise dans ses locaux, relâcha celui qui, de suspect devenait, de façon évidente, le grain de sable incongru dans une affaire insoluble. Il lui signifia donc formellement sa condition de témoin principal, avec une possibilité de devoir revenir à Paris, afin d’être entendu par un juge d’instruction. Encore de la paperasse inutile et des frais injustifiés, ronchonna le bougon Fernand, fort dégouté des soupçons du policier en chef à son encontre.
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Commentaire en débat |
couscous |
Posté le: 24-05-2014 15:58 Mis à jour: 24-05-2014 15:58 |
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
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Re: On ne devrait jamais quitter Montauban
Une histoire à suspense comme tu sais nous les conter. Ce Hubert endosse pas mal de rôles différents. Il est passe-partout ! Zut, on ne connaît pas les meurtriers. Le pauvre Fernand ! Va y regarder à deux fois avant de sortir de son patelin.
Merci Donald
COuscous
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Donaldo75 |
Posté le: 24-05-2014 20:22 Mis à jour: 24-05-2014 20:22 |
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
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Re: On ne devrait jamais quitter Montauban
Merci Couscous, Quelle idée de quitter une aussi belle ville que Montauban pour aller se perdre dans Paris. Franchement ! Bises Donald
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