Bonjour, Je dois vous prévenir que ce texte comporte des scènes dures et réservées à un public adulte de par une certaine violence. Voilà , j'espère que cela ne vous rebutera pas et, bonne lecture, j'espère.
Elle déposa le dernier carton près du canapé, puis s’y étala sensuellement, dans ce qui symbolisait désormais notre canapé, notre appartement. La courbure de son dos soulignait ses délicates formes féminines et je ne pus m’empêcher de la saisir violemment, de me jeter sur elle. Elle n’appréciait guère mais elle simula le bonheur dans un gémissement charnel mais aux résonnances faussées. « Dis-moi que tout ira bien, lui soufflais-je à l’oreille. ». Son regard changea alors et elle me fit sèchement non de la tête. J’insistai : j’avais besoin de l’entendre dire ces quelques mots, même s’ils n’étaient qu’un mensonge. « Tout ira bien ».
Ses dents se dévissaient de sa bouche et son rictus crispé dénaturait son visage angélique. Elle essaya de cacher sa souffrance derrière sa longue chevelure, en vain ; j’apercevais cette tristesse sur sa tendre figure encore enfantine. Elle avait à peine vingt-quatre ans mais, depuis bien longtemps, elle connaissait le goût amer du tourment physique et psychologique. Derrière ses charmantes fossettes et son nez si fin, elle cachait de lourds souvenirs ; son esprit avait été précocement corrompu par les hommes et, depuis, elle ne pouvait se résoudre à vivre pleinement. Malgré sa jeunesse, la douleur était ancrée dans ses veines embrumée et son cœur, machine à vapeur désuète, peinait à mouvoir son corps las, harassé par le simple fait de vivre, par le simple fait d’avoir vécu.
Je l’aimais terriblement mais elle était incapable de me rendre cet amour et les cicatrices par centaines sur ses bras étaient comme des frontières entre nos âmes et nos corps. A chaque fois que je la serrais un peu trop fort, un frisson parcourait son corps ; chaque fois que je l’embrassais un peu trop passionnément, elle me repoussait et je lisais du dégout sur son visage ; chaque fois que je l’aimais trop, elle ne pouvait me supporter. J’avais essayé au fil des années d’apprivoiser ses blessures mais jamais elle ne s’était dévoilée à moi. Cependant, je ne pouvais me résoudre à ne plus l’aimer. Jamais ne cesserai de l’aimer et jamais elle ne serait pleinement mienne. Jamais.
Je savais qu’elle se battait contre elle-même, contre son passé, mais elle était si hantée par ses mémoires qu’elle en détruisait son futur. A chaque fois que nous faisions l’amour, je sentais son corps se raidir et, dès que je dormais, elle se précipitait pour se faire vomir, se purifier de son dégout. Je l’aimais à en mourir et elle m’aimait autant qu’elle le pouvait. Je la sentais la nuit qui se grattait les avant-bras ; elle se déchirait la peau jusqu’au sang mais ses cicatrices restaient à jamais gravées sur sa peau de satin, telle une carte froissée sur laquelle elle relisait encore et encore son histoire maudite.
Elle venait d’avoir seize ans et tenait fermement le canif au creux de sa main ; postée devant l’hôpital, elle fixait les néons blafards et, dans un mouvement vif, se déchira le bras en deux. Son sang rougeoyant se déversait sur l’amer béton et elle essayait de rester debout aussi longtemps que possible ; puis, dans un fracas, son corps s’écrasa. La chaussée était trop dure pour ses jeunes épaules et son buste se déforma ; ses jambes convulsaient tandis qu’une infirmière en pause cigarette se précipitait vers elle. « Combien de temps, murmura-t-elle. Combien de temps ai-je tenu ? ». L’infirmière hurlait et elle n’eut jamais sa réponse.
Parfois, lorsqu’elle dormait, j’essayais de compter les cicatrices mais il m’était impossible de toutes les dénombrer ; elles s’entremêlaient, se chevauchaient et se repoussaient dans un ballet d’horreur, de frénésie et de fureur ; elles me hantaient et, presque chaque nuit, elles me narguaient en rêve ; elles représentaient toute sa souffrance enfouie, sa douleur intérieure et, malgré cela, ses maux étaient plus proches d’elle que je ne le serai jamais, moi, son amour.
« Qu’est-ce que tu ressentais, à ce moment-là , quand la lame entaillait tes veines ? ». Elle tourna ses si beaux yeux et plongea son regard bleuté dans le mien. Mais elle ne répondit pas et seul le silence s’instaura entre nous. Je crois qu’elle faisait cela pour se prouver de son existence, se prouver qu’elle n’était pas qu’un morceau de chaire pourrissant ; elle voulait ressentir quelque chose de vrai et, finalement, je crois que la douleur apparaissait comme le sentiment le plus supportable qu’elle ait jamais connu.
Elle marchait aussi lentement que possible, le dos droit, le visage serein tandis qu’au creux de sa main la lame sanglante laissait couler quelques gouttes contre l’amer béton. Elle n’était pas revenue ici depuis un mois, mais, cette fois-ci, la douleur avait été trop forte, trop puissante et elle devait l’évacuer, devait faire couler le sang. Cependant, elle ne s’écrasa pas au sol. Non, elle resta droite tandis que les urgentistes la reconnaissaient depuis l’intérieur de l’hôpital. La douleur était si forte qu’elle aidait son corps à ne pas s’effondrer. Combien de fois s’était-elle pourtant écrasée contre le béton, le couteau ensanglanté à la main ? Mais aujourd’hui, la douleur l’empêchait de tomber.
Je l’arrosais gentiment et, malgré son sourire, elle ne pouvait soutenir mon regard pesant. Depuis quelques mois, son malaise n’avait fait qu’amplifier et elle s’éloignait de plus en plus du présent, de la réalité, de moi. Son corps n’était plus qu’un morceau de chair éthéré et son âme semblait avoir fui vers des contrées ignorées de mon esprit attristé.
La piscine était encore froide en ce mois d’avril et je ne désirais que me lover contre elle, cependant, je savais qu’une fois de plus, elle me repousserait, me haïrait. Mon amour la tuerait, mais, le contenir m’empoisonnait peu à peu et je sentais la vie me quitter. Finalement, je m’approchais au plus près d’elle sans la toucher. Son souffle chaud s’abattait sur ma poitrine frissonnante mais ses yeux divaguaient encore loin des miens.
Je la saisis subitement par les hanches et la déposa sur les dalles bétonnées. Elle me sourit, d’un sourire raide, déposa un tendre baiser sur mon front et, tandis qu’elle m’embrassait, sa douce odeur embauma mes narines. Sa peau, malgré le chlore, exhalait encore des douces effluves de femme et je rêvais de la serrer, de l’étreindre alors qu’elle m’était plus que jamais inaccessible. Je ne savais ce qui avait ravivé ses maux et ses souvenirs, mais elle m’échappait.
Elle s’était assise sur une chaise de jardin et buvait le fond de son verre de vin. J’admirais son corps humide depuis la piscine : les gouttes ruisselaient le long de sa nuque, de ses épaules, de son ventre et sa peau hâlée étincelait, brûlait, me consumait. Je ne désirais lui poser qu’une question : « Que t’ont-ils fait pour te détruire ainsi ? ». Mais, comme à mon habitude, je me murais dans le silence, tout comme elle, afin de préserver le peu d’amour qu’elle me portait.
Elle était recroquevillée dans un coin de sa chambre et essayait de ne pas pleurer, de ne pas crier. Elle sentait la rage monter en elle tandis que des pas par dizaines tonnaient dans les pièces adjacentes. L’on criait et, parmi toutes les voix, elle reconnaissait ceux de ses parents. Après une heure ou deux (elle avait perdu toute notion du temps), une silhouette féminine ouvrit sa porte et se posta sur le seuil. La silhouette portait un vieux tailleur bas de gamme aux couleurs ternes. « Vous… Tu… Je suis assistante sociale, on m’a appelé parce que… Je vais… ». Elle n’écoutait aucunement cette voix aigüe, stridente ; cette femme arrivait trop tard pour la sauver, la délivrer ; elle avait dix-huit ans et la souffrance était trop ancrée dans ses veines pour qu’on puisse la libérer. « Tout ira bien. ». Elle leva la tête et la dévisagea. Qui était-elle pour lui affirmer de telles utopies ? Plutôt que de se confier une fois de plus à quelqu’un qui la trahirait sûrement, elle décida, en ce morne instant, de s’emmurer dans une carapace, un cocon où personne n’entrerait jamais. Même pas moi.
J’étais paisiblement assis à la terrasse d’un café lorsque je l’aperçus pour la première fois depuis plus de deux ans. Après dix ans ensemble, son malaise avait détruit notre « couple » ; ce malaise n’avait en effet cessé de croitre pour une raison qu’elle seule connaissait et elle m’avait quitté. J’étais resté seul dans ce qui avait été notre appartement et essayait de l’oublier, en vain. Chaque fois que je fermais les yeux, sa silhouette me hantait et je sentais ses douces lèvres sur les miennes.
Elle était tendue, crispée et cherchait quelque chose du regard, ou plutôt, essayait de ne pas croiser mon visage. Encore mu par mon amour, je levais le bras et l’agitais jusqu’à ce qu’elle se résolve à me reconnaitre. Elle vint s’asseoir en face de moi, dans le silence le plus complet et je lui commandais à boire. « Est-ce que tu veux m’épouser ? ». Elle fondit en larme et me murmura une réponse inaudible.
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