Nostalgie
Les yeux s’embuent en regardant ces DVD retrouvés dans votre armoire. Je peux y voir comment mes trois enfants ont grandi, évolué, appris, en partie grâce à vous. Vous leur avez inculqué la valeur de la solidarité dans une famille, de l’amour et du respect entre générations, de la nécessité d’être curieux et de découvrir du pays et de nouvelles choses.
Vous avez toujours été présents dans les bons comme les mauvais moments. De même, vous pouviez toujours compter sur nous, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, pour une main tendue afin de remettre Papy debout ou de rassurer Mamie perdue.
Comme j’aime entendre ta grosse voix Papy, toi qui aimais taquiner tout un chacun et adresser des petits surnoms à tes petits et arrière-petits. Mamie, tu étais toujours aux petits soins et aimais bercer mes bébés, toi qui n’en avais eu qu’un, en raison d’un accouchement qui avait failli te coûter la vie. Tu as tenu la main de mes bouts de chou lors de leurs premiers pas et connu plus tard tous leurs résultats scolaires, récompensés par un « dimanche » plus conséquent.
Vous avez participé à tous les gâteaux d’anniversaires et soufflé les bougies qui se rallument à l’infini et enfument toute la pièce, pour le plus grand plaisir du roi de la fête. Les cadeaux étaient toujours ceux qui avaient fait l’objet d’une demande en bonne et due forme, peu en importait le prix, du moment que des étincelles brillaient dans les yeux des enfants à leur ouverture. Faire plaisir était le maître mot !
Et tous ces périples que nous avons partagés, à travers la Belgique, la France, L’Allemagne et les Pays-Bas. Partant à deux voitures très tôt le matin, nous passions de magnifiques journées de partage, de rires, de découvertes avec parfois quelques frayeurs. Comme la fois où le petit Jolil a lâché la main de son papa pour me rejoindre de l’autre côté de la route et qu’un camion a pilé devant lui. Puis il y a eu tes opérations, Papy ; celles du cœur, du genou. Tu t’en es toujours remis, malgré ton âge pourtant déjà avancé. Mais en 2008, c’est une attaque cérébrale qui frappe sans prévenir pendant tes vacances en Grèce. Mamie en panique face à des médecins qui ne parlent pas français, la seule langue qu’elle connaisse, pour avoir quitté l’école très tôt afin d’aller travailler à l’usine. Heureusement, vous avez toujours été prévoyants et l’assurance s’est chargée de tout pour le rapatriement. La convalescence fut plus longue et difficile cette fois, et il a fallu que tu renonces à conduire après avoir amoché quelques piétons innocents. Tu m’as offert ta voiture, représentant ton dernier moyen de quitter les murs de ta maison, avec un pincement au cœur. Cette auto, tu l’avais choisie avec goût, cherchant l’innovation pour rester « dans le coup ». Tu as toujours fait ainsi avec ton matériel électronique, même si la technologie évoluait rapidement et qu’il te devenait difficile de l’utiliser.
Papy, tu nous as quittés une nuit, sans prévenir. C’est un policier qui est venu me chercher pour m’annoncer ce drame, qui venait de faire flancher le cœur de Mamie. Il m’a fallu prendre les rênes et tout organiser car votre fils m’a délégué cette tâche, comme il avait abandonné son rôle depuis plusieurs années.
Ce fut une vie différente qui dut s’organiser car tu étais le cerveau et Mamie les jambes et les bras. Seule, elle se perdait souvent, m’appelant en pleurs car elle ne te trouvait plus nulle part dans la maison. Je devais alors assumer la lourde tâche de lui rappeler ta disparition.
Une année est passée ainsi jusqu’à une hospitalisation nécessaire car son cœur fatigué lui faisait gonfler les jambes, qui ne la portaient plus. Quelques semaines à hésiter entre l’entrée au home et un retour encadré à la maison. On tente la seconde option et un lit est installé au rez-de-chaussée. Mais, comme toi et pour te rejoindre, Mamie est partie une nuit, sur la pointe des pieds, sans bruit, sans cri ni douleur.
J’ai endossé à nouveau le rôle d’enfant qui organise, téléphone, apporte la dernière tenue, commande le cercueil, les fleurs, voit le prêtre. J’avais l’habitude maintenant, comme le disait si bien mon paternel, trop heureux de se débarrasser de ses obligations. Le jour de la mise en bière, j’ai fini, en pleurs, dans les bras d’une cousine très éloignée qui habite de l’autre côté de la frontière et que je vouvoie, puis dans ceux de la femme de ton filleul venu de Nantes, à plus de huit kilomètres, pendant que ton fils, résidant pourtant dans notre belle ville commune, a préféré rester chez lui.
Maintenant, je viens encore souvent dans votre maison pour l’entretenir, le temps de connaître son sort. C’est Pâques aujourd’hui et les enfants veulent leur chasse aux œufs traditionnelle. Nous nous rendons, comme à l’accoutumée vers votre grand jardin fleuri. J’espère secrètement que l’un de vous viendra sur le seuil nous accueillir avec un grand sourire. Vous laissez derrière vous de merveilleux souvenirs d’enfance pour moi et mes petits, vos « cocos » chéris. Vous avez assumé un rôle de grands-parents, qui ne vous était normalement pas dévolu mais la place était vacante en raison d’une démission d’un côté et d’un trop grand éloignement de l’autre.
Je voulais vous rendre hommage par ce texte que je termine par un point et quelques larmes qui s’échappent de mes yeux bleus hérités de toi, Mamie.
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