Un chagrin crépusculaire nait. Se saisit de moi, comme tous les chagrins de cette heure transitoire. Qui se saisissent de vous. Vous piquent dans les entrailles. Et remuent. Remuent. Remuent, sans vraiment, se soucier des dégâts occasionnés sur leur passage de chagrins crépusculaires. Les dernières lueurs de soleil se débattent pour finir, mortes, ou même. Juste une hibernation temporaire en vue d'un retour de vigueur. C'est un moment de pensées de toutes races, toutes humeurs. Pensées, qui se bousculent, en moi. Et en moi, de long en large, sur et dans l'infime territoire que je suis, tentent de graver leurs certitudes. Leurs petites vérités. Viens. Viens. Ici. Assieds-toi, me disait ma mère, enfant d'alors, que je récite sur toi les incantations protectrices, contre les djinns et autres esprits maléfiques, qui pullulent dans l'univers en cette heure critique.
Après ses incantations, je me sentais, toujours, délivré. Délivré d'une journée de soleil ardent, de course vers des contrées improbables. Improbables pour mon univers réduit d'enfant innocent dans un village innocent. Où les menaces les plus redoutables se résumaient en une vache rétive, aux longues cornes. Où dès son retour, au soir, elle serait bien encline à attaquer l'humanité tout entière, tant que son rejeton n'aurait encore pris posture sous ses mamelles. Le chagrin faisait ses va-et-vient. En moi. Et moi, je ne faisais strictement rien du tout. Je le laissais faire. Je ne le laissais pas faire, ce chagrin crépusculaire. Il se faisait, lui, sans demander mon avis. Faire. C'est un petit dictateur de l'instant crépusculaire, qui abuse de son pouvoir. Ils culminent, les chagrins crépusculaires. Ils culminent, je veux dire dans l'agitation. A l'apogée, ils meurent. Le soleil est déjà très loin. Quelques fraicheurs, qui irriguent mon âme après cette redoutable tempête, me réaniment et m'amènent une certaine vigueur. Vigueur de la pensée et des résolutions à n'en pas finir. Les résolutions pour des lendemains meilleurs. Des lendemains sans chagrins crépusculaires. Sans ce rendez-vous, qui s'impose à moi, sans que je ne puisse lui poser un quelconque lapin. Armé, surarmé, dirais-je, des résolutions et stratagèmes les plus réfléchis, pour demain. Et pour que demain et le demain d'après ces chagrins crépusculaires aillent dans territoires lointains du mien.
Je dors. Je m'endors sur l'oreiller des plus rêveuses des résolutions du monde. Au matin, je me réveille avec ferme volonté de me surpasser. Le soleil se lève. Monte d'un cran, puis d'un autre. Sa lumière chasse tous les soupçons d'ombres qui nourrissent le rêve. Aucune ombre salvatrice où me réfugier. Où mes rêves de la veille puissent continuer d'espérer le rêve. De pousser. Fleurir et nourrir les âmes assoiffées et affamées de leurs sèves. Je regarde partout. Elle a investi l'univers cette redoutable clarté du jour. Je suis seul. Seul, face à la lumière. A la réalité. Cruelle réalité. Je renonce. Non. Je ne renonce pas. Mais, c'est la lumière qui dénonce mon rêve. Je me souviens encore de mon enfance. De ma mère. De ses mots si puissants. Si dissuasifs, que je me suis promis de retourner. Retourner dans mon enfance.
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