6 heures Lorsque j’ouvris les yeux, les rayons du soleil et les senteurs du printemps se bousculaient en pénétrant par la fenêtre de l’appartement que j’occupais dans le quartier du Luxembourg. Ce jour-là, je devais me rendre à la faculté y suivre un cours important en vue des examens qui n’étaient pas loin. Si je signale ce détail, c’est que je fus frappé en cet instant par une aversion à me lever atypique, surtout en cette période de l’année universitaire. Je me crus malade ou sur le point de l’être, mais l’absence de fièvre et de tout autre symptôme me rassura momentanément. Je décidai de rester dix minutes au lit pour satisfaire ce qui m’apparaissait n’être qu’une rare flemme passagère. Durant le répit accordé, je réalisai que ce que j’avais pris pour une inhabituelle fainéantise, était une immense fatigue, alourdissant mes membres. Cette intense lassitude ne donnant aucun signe d’amélioration, je finis par m’en inquiéter. Je soulevai le drap, et dans la brillante lumière du matin, mon regard tomba sur le dos de mes mains.Ce que je vis me glaça le sang ! Ma peau était jaunâtre et couverte de taches brunes, semblable à celle d’une banane mouchetée. Mon épiderme était ridé, fin et transparent. Mes veines couraient dessous, noirâtres, et dures au toucher. Ces mains que je fixais comme un fou, les yeux exorbités, étaient celles d’un vieillard. Et je n’avais que vingt ans ! Si mes mains s’étaient transformées durant la nuit, par je ne savais quel diabolique stratagème, en organes décrépits, et mes membres inférieurs avaient perdu leur force, il me fallait savoir si cette transformation s’étendait également à ma physionomie, et jusqu’où dans mon être, la détérioration que j’avais constatée, s’était propagée. Le cœur poignardé par l’appréhension aiguisée par mes craintes, je pénétrai dans la salle de bains pour consulter le miroir. En appuyant sur l’interrupteur, je m’entendis penser : ˝ Si ce n’est que les mains, tant pis ! Je m’arrangerai ! Je m’arrangerai ! ˝ J’avançai d’un pas déséquilibré vers le miroir placé au dessus du lavabo. La terreur me tirait en arrière. Mes jambes étaient raides et d’une grande sensibilité. Enfin debout devant la glace, je me plongeai dans ma réflexion. J’attendis que mon image se reconstituât sur ma rétine ; finalement, j’aperçus un homme qui me regardait, effrayé. Et j'étais cet homme qui n’était plus moi ! J’avais les cheveux blancs et ma face était aussi parcheminée que mes mains. Dans un élan de panique, je tentai désespérément de m’arracher la figure avec mes ongles. Lorsqu’il n’en resta presque plus rien, il y restait toujours l’image de ma mort et de ma vie, peinte de mon sang… Mes égratignures avaient eu, du moins, le mérite de détruire quelques rides… Vint alors, le moment des folles interrogations. Que s’était-il passé durant mon sommeil ? Avais-je été victime d’une mutation ? Avais-je été la proie d’un ennemi invisible et pernicieux, voué à ma perte ? Avais-je subi une métamorphose contre-nature qui m’avait soumis à un vieillissement brutal ? Était-il possible d’avoir vécu jusqu’à cet âge avancé, sans en avoir eu conscience ? Avais-je atteint la fin de ma vie sans que je ne m’en rendisse compte ? Étais-je le premier terrien à franchir les portes de la vieillesse à vingt ans ? Étais-je toujours en train de rêver ? M’étais-je réveillé sur une planète où chaque minute était composée de soixante heures, et chaque heure, de soixante jours ? Mon impuissance à comprendre la déviante réalité m’accablait. Il est difficile de décrire le désespoir. Ce sentiment - ou plutôt, cet anti-sentiment - n’est pas quantifiable ; on peut seulement en mesurer la profondeur à l’angoisse qu’il provoque, et au nombre de larmes qu’il fait verser. Quand il s’empara de moi, je me dis que je ne reverrais jamais plus le ciel de la même façon. Je me dis aussi, que sur le chemin de la mort, je n’aurais pas même la consolation d’aller retrouver des êtres chers ;mes parents devaient être maintenant plus jeunes que moi ! J’éclatai en sanglots. (A SUIVRE)
|