Blanche et neige
Il est vingt heures et Blanche rentre enfin chez elle. Son minuscule loft est situé dans les combles d’une ancienne demeure de maître. Le bâtiment a perdu tout son lustre d’antan. Les gargouilles postées aux quatre coins des gouttières n’ont plus que des moignons en guise d’ailes. L’escalier en chêne pleure de ne plus connaître la douceur de la cire d’abeille depuis de nombreuses décennies. Dès que la locataire passe la porte, sa chatte Vampirella vient se frotter à ses bas-collants roses raccommodés. Elle a prénommé son animal ainsi car lorsqu’elle miaule, elle montre ostensiblement ses belles canines blanches et pointues, telle un vampire assoiffé de sang.
La journée a été longue et pénible. Chaque matin, Blanche se lève tôt pour parvenir à l’heure à l’autre bout de la ville pour prendre son poste de caissière de supermarché. Il y a un avantage à bosser dans l’alimentaire, c’est qu’il y a toujours de quoi se mettre sous la dent. À la fermeture, il lui arrive souvent de passer par l’arrière du bâtiment afin de pouvoir fouiller les énormes containers où la nourriture périmée finit son parcours, sans avoir eu le plaisir de passer dans les mains d’une caissière. Plusieurs de ses collègues trouvent cela dégoûtant mais manger un yaourt, quelques jours après la date imprimée sur le couvercle, n’a jamais tué personne … ou du moins pas à sa connaissance. Et puis cela améliore considérablement le quotidien fait de pâtes et de jambon à bon marché.
La jeune trentenaire est donc repartie ce soir avec un sac rempli de denrées diverses. Elle a même dégoté une boîte de saumon pour Vampirella. Aujourd’hui, il a commencé à neiger et ses doigts sont bleus lorsqu’elle allume le petit radiateur posé dans l’unique pièce. Tout en se collant à cette seule source de chaleur, Blanche observe les flocons blancs tomber lentement et silencieusement sur les toits des maisons d’en-face, masquant ainsi les cartons censés remplacer les tuiles manquantes.
Blanche prie secrètement pour que la couche neigeuse ne devienne pas trop importante car les poutres fissurées qui maintiennent le toit au-dessus de sa tête risquent de ne pas résister au surpoids.
Après avoir englouti une lasagne qui a fêté son anniversaire il y a deux jours, elle enfile sa robe de nuit en polaire trop large et enfile son pull rouge tricoté par sa grand-mère pour ses seize ans. Bardée ainsi de couches de vêtements, elle part se pelotonner sous la couette, très vite rejointe par la chatte à l’haleine de saumon, qui se pourlèche les babines.
Rapidement, le sommeil gagne Blanche et un rêve se met à hanter son esprit. Elle y est habillée avec une magnifique robe blanche en dentelles. Assise sur un banc au milieu d’un parc fleuri, elle tient un bouquet de mariée aux couleurs roses et orangées. Subitement, le temps change et le ciel s’assombrit. Autour d’elle, les fleurs des parterres se fanent, comme celles de son bouquet. Une neige drue se met à tomber et une musique résonne dans la tête de Blanche (https://www.youtube.com/watch?v=YTPPfLceC5A)
« Mais qui ne viendra pas pour moi ? » se demande-t-elle.
Un prénom lui est susurré au creux de l’oreille par le vent qui se lève : « Peter ». La neige continue sa descente incessante et recouvre entièrement le corps de Blanche devenu immobile. Elle est comme paralysée. Son visage est enseveli et l’air commence à lui manquer. Il lui faut lutter pour respirer.
C’est alors que ses sensations changent. Elle n’est plus assise mais allongée. Elle ouvre les yeux et découvre de la neige tourbillonnant au milieu d’un épais brouillard qui a envahi la pièce. Le toit se serait-il envolé, effondré, laissant Blanche sans protection contre le froid ? Mais il ne fait pas froid, au contraire ! La chaleur est étouffante et l’air irrespirable. Et cette neige qui tombe … une autre chanson lui vient à l’esprit (https://www.youtube.com/watch?v=Z5istpySHrc) Sa tête est un véritable jukebox. Mais, comme dans son rêve, elle étouffe.
Soudain, un bruit de verre brisé, une silhouette qui s’approche rapidement d’elle et la soulève sans effort. Elle s’agrippe au cou de cet inconnu qui l’amène rapidement hors de cet enfer, jusque dans la rue où Blanche constate que des flammes sortent de la fenêtre du premier étage. Rapidement, elle est déposée sur un brancard d’ambulance et un masque est posé sur son visage. C’est alors qu’elle a enfin le loisir de découvrir les traits de son sauveur : un homme d’âge mûr, une barbe de quelques jours et des cheveux grisonnants. Il lui parle d’une voix douce.
« Vous êtes hors de danger maintenant. Votre voisin a voulu se réchauffer et l’immeuble a pris feu. - Il neigeait … à l’intérieur. - Non, c’est la mousse que nous utilisons. »
C’est alors qu’à l’extérieur, une voix appelle :
« Peter, viens nous aider ! »
Le pompier adresse un clin d’œil à Blanche avant de sortir de l’ambulance en remontant le col de sa veste jaune car la neige tombe … tombe …. (https://www.youtube.com/watch?v=588tyIbIXSU)
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