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Nouvelles confirmées : La brute .
Publié par Bacchus le 25-01-2014 21:42:47 ( 1232 lectures ) Articles du même auteur



Août 1960.
Une chaleur implacable s'appesantie sur le train, immobilisé dans la campagne, quelque part entre Paris et Marseille. Cela fait environ une demie heure qu'il s'est arrêté là, sans que ses passagers aient été informés de la raison de cet arrêt non prévu.
Les passagers, justement, n'ont aucune raison d'être pressés d'arriver à Marseille : ils font partie d'un convoyage vers la caserne Ste Marthe. Là, ils ne resteront que quelques jours, le temps de les équiper pour une autre destination: L' Algérie, où ils devront renforcer les effectifs déjà en place, pour le ' maintien d'une paix ' qu'ils ne sont pas tous persuadés de réussir à maintenir.
En attendant, ils sont en train ( ! ) de fondre de chaleur et d'épuisement, dans des wagons surchargés en effectifs et bagages. Ils sont pris pour ce qu'ils sont : de la viande en transit.
Tout autre train ayant la priorité sur eux, ils ne comptent plus le nombre d'arrêts intempestifs qu'ils ont subit depuis la veille, au départ de la Gare de Lyon, à 22h55.
L'agent convoyeur de la SNCF qui , paternellement, veille à ce que tout se passe bien dans son convoi, a particulièrement pris soin à ce que, à chaque arrêt normal dans une station, un stock de caisses de bière soit en attente sur le quai. L'échange des caisses vides et pleines se faisant régulièrement grâce à la diligence de quelques troufions volontaires qui gagnent ainsi le droit d'être acheteurs, en priorité.
La bière tiède, les bouteilles personnelles sorties des valises, la chaleur, le laisser- aller de jeunes gens pas encore habitués à s'assumer seuls, faisaient de chaque compartiment des nids sales et encombrés où régnaient des odeurs de sueur, de corps pas lavés depuis trop longtemps, le tout dans une fausse gaieté nerveuse de petits gars qui ont les chocottes, chacun croyant être le seul à tromper les autres.
Dans un de ces wagons, dans un compartiment central, trois biffins sont accoudés à la vitre baissée, humant un air surchauffé aux arômes d'huile , mélangés à celle de la fumée de la loco qui vrombit par saccades en tête de train, et qu'ils peuvent apercevoir, dans le coude du virage où elle se trouve.
Ils s'arrangent, depuis le départ, pour rester ensemble en se promettant régulièrement de tout faire pour ne pas être séparés : Ils sont ' pays ' ! Et même s'ils ne s'étaient jamais vu avant la veille, ce lien de terroir avait pris une importance extraordinaire. L'évocation du moindre lieu les font jubiler et venir une larme à l'oeil.
Pour l'instant, ils ont trouvé une façon de s'occuper l'esprit et d'échanger de gros éclats de rire, au détriment d'un jeune gars qui, en contrebas du ballast, est en train de débroussailler un enchevêtrement de ronces qui bordent un herbage.
Blond, haut de taille, il s'affaire, sans s'accorder de pose, avec une machette ayant l'air particulièrement bien effilée, si on en juge les brassées de branchages qui volent autour de lui.
Il est torse nu, bronzé comme seuls les travailleurs des campagnes peuvent l'être. Particulièrement musclé, il arbore ce que certaines dames admirent par dessus tout: : des abdominaux en tablettes de chocolat. J'en connais même quelques unes qui vont relire ce passage plusieurs fois pour mieux imaginer la musculature du jeune homme..
En l'occurrence, on ne peux pas dire que ce soit le détail qui amuse nos trois compères. Non. Eux se complaisent à trouver à l'athlète un discutable air niais, ce qui les fait rire beaucoup. La jalousie ne doit pas être bien loin.... Toutefois, par prudence, ils prennent bien garde à ce que leurs paroles ne s'envolent pas à portée d'oreille du travailleur.
C'est juste à l'instant où le train, après quelques secousses, commence très lentement à bouger, que le plus téméraire des trois se met à interpeller le grand costaud.Opération sans gloire, mais ils auront bien le temps de s'en fabriquer, de la gloire :
- " Hé toi ! l'homme de Cro-Magnon ! reste pas au soleil, tu vas fondre ! "
J'imagine que, tout comme moi, vous appréciez en connaisseurs la puissante charge d'humour et de drôlerie créative d'une telle boutade...
Il se fait que notre paysan n'a pas ce sens de l'humour. Il se fige brusquement, relève la tête et plante ses yeux dans ceux de celui qui l'a interpellé. Un instant, son front se plisse, en proie à une profonde réflexion. Il a vite fait de prendre sa décision.
En quelques bonds nerveux, il escalade le ballast et se met à courir parallèlement au train qui commence à prendre de la vitesse. Il tient haut levée sa machette qui lance des flashes de lumière, dans les reflets du soleil.
Au tout dernier instant, il parvient à attraper la petite rampe métallique de la dernière porte du dernier wagon et saute prestement sur le marche-pieds . Il pousse la porte du wagon et s'introduit dans le train.

Tous les militaires entassés dans le couloir regardent avec étonnement ce grand balèze qui se tient maintenant au fond du wagon, un air furieux sur le visage, portant sur son épaule droite la machette qu'il n'a pas l'air décidé à ranger à sa ceinture. D'ailleurs, petit à petit, l'étonnement fait place à de la crainte et la plupart des troufions choisissent de se réfugier dans les compartiments dont ils tirent les portes, vivement.
L'homme semble avoir pris une décision. Il se rue sur la porte du premier compartiment, près de lui, et, du seuil, il reste un bref instant à scruter, l'un après l'autre, les visages des militaires qui y sont installés.
Il est certain qu'après avoir dévisagé comme il l'avait fait, celui qui l'avait insulté, il ne manquera pas de le reconnaître dès qu'il se trouvera face à lui.
Sans prendre la peine de refermer la porte qu'il vient d'ouvrir, il se jette sur la porte suivante, l'ouvre, et, de la même façon, dévisage les nouveaux militaires qui se trouvent là.
D'une manière aussi brutale et déterminée, il remonte tout le wagon en faisant son inspection, sans adresser un mot à qui que ce soit, le visage froid et empreint d'une colère qu'il ne cherche pas à dissimuler.
Il passe en courant le sas en accordéon lui permettant d'atteindre le wagon suivant et effectue la même inspection que dans le précédent.
Après son passage, les militaires, interloqués, se sont mis à commenter l'événement en cherchant à comprendre ce qui se passait .

.........Wagon après wagon, il arrive à celui qui, au plus profond de lui-même, lui semble être celui qui dans son esprit, est celui dans lequel se trouvait l'homme qu'il cherche. Le compartiment du milieu semble lui envoyer des fluides, des signaux lui confirmant qu'il brûle, qu'il se trouve tout près de celui qu'il cherche. Il redouble de vigilance en détaillant les visages, mais non...Celui qu'il cherche n'est pas là.
De wagon en wagon, de compartiment en compartiment, après avoir ouvert également celui du convoyeur qui au milieu de ses caisses vides, ronfle bruyamment, sans doute à cause de son droit de préhension sur son chargement, le jeune homme, plus excité que jamais, recommence, dans le sens inverse,la même inspection, avec plus de minutie, plus de temps passé dans chaque compartiment
Vous seriez en droit de vous demander pourquoi personne n'a encore eu l'idée de tirer la poignée d'alarme se trouvant dans chaque compartiment ?
C'est très simple : si ce système de sécurité avait été laissé en fonctionnement depuis le départ du train, celui-ci serait toujours en gare de Lyon....
Seul le convoyeur avait le pouvoir d'intervenir sur un arrêt d'urgence du train, et le convoyeur dort, alors que toutes les poignées d'alarme pendent tristement, depuis longtemps, dans chaque compartiment.
Le trajet de retour lui prend beaucoup plus de temps, et le fameux compartiment, dont il est certain de recevoir des ondes, se trouve de nouveau à sa hauteur..
Il n'y pénètre pas, mais reste dans le couloir, tendu , à observer ses occupants qui semblent avoir un comportement bien étrange.
C'est alors que le train, une fois encore, manifeste son intention de faire un nouvel arrêt...c' est, une nouvelle fois, sans aucune délicatesse ni ménagement.
Un violent freinage envoie quelques voyageurs s'écraser le nez sur les vitres où il est si ' pericoloso di sporgersi '. Au même instant, le compartiment intéressant notre offensé subit quelques bouleversements: les bagages se trouvant dans le filet faisant face au sens de la marche, sont projetés sur le sol et, parmi eux, le militaire faisant l'objet d'une recherche aussi acharnée.
- " Aaargh ! " Un rugissement sauvage s'échappe de la gorge de l'homme, plus en colère que jamais.
D'un bond magistral, il investit le compartiment et saute, d'un seul élan, à cheval sur le ventre de sa victime, à terre.
Alors, des choses terribles semblent sur le point de se préparer.
Le paysan empoigne, de sa main gauche, la cravate du militaire qui semble soudainement verdir sous l'effet de la peur, et sa main droite, tenant la machette, s'élève au-dessus du visage plein d'effroi.
C'est alors qu'une toute petite voix, fluette comme celle d'un tout jeune enfant , s'élève dans le silence figé , alors que les derniers grincements, marquant l'arrêt du train, se meurent. :
- " C'est bien toi qui m'a dit que j'étais un homme de Cro-Magnon, hein ? "
Le militaire, mort de peur, ne peut prononcer un mot. l' homme lève sa machette plus haut et dit, de sa voix de crécelle :
- " Pour la dernière fois, je te le demande : c'est-ti bien toi qui m'a dit que j'étais un homme de Cro-Magnon ? "
Et la machette se met à trembler dans la main de l'homme...
Fou de terreur, le militaire, en bégayant, réussi à murmurer :
- " Pardon ! pardon ! oui, c'est bien moi, mais je regrette ! hou la ! je regrette ! Pardon ! "
Brusquement, la machette dressée file comme un éclair argenté vers la gorge du malheureux et sectionne, avant que quiconque puisse réagir, la cravate kaki du militaire, à ras du noeud.
L'homme semble un peu apaisé, juste un peu, et contemple alors la section de cravate qu'il tient dans sa main gauche.
Il se penche alors vers le visage de sa victime et, la bouche à la hauteur du nez de celle-ci, il se met à scander, avec sa voix de fausset :
- " Je-ne-suis-pas- un-homme-de-Cro-Magnon ! C'EST CELUI QUI DIT QUI L'EST ! "
Il se redresse d'un bond, se dirige vers la porte qu'il ouvre violemment, se tourne de nouveau vers l' homme à terre et s'écrie de nouveau ;
- " C'EST CELUI QUI DIT QUI L'EST ! "
Il court alors vers le bout du wagon, ouvre la porte de sortie et, se retournant une dernière fois, il crie de nouveau, semblant enfin libéré d'un terrible poids qui lui pesait sur la poitrine :
- " T'as bien entendu, le soldat ? " il soulève le morceau de cravate, comme un trophée. " - C' EST CELUI QUI DIT QUI L' EST ! '
Il saute alors sur le ballast et disparaît comme un fantôme .....



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Auteur Commentaire en débat
couscous
Posté le: 26-01-2014 08:38  Mis à jour: 26-01-2014 08:38
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: La brute .
Tiens, Brimach s'est recyclé ! Il en avait marre d'écumer les musées pour exhiber ses tablettes de chocolat.

Chez nous on dit "C'est ch'ti qui dit qui est", mais cela signifie philosophiquement et fondamentalement par le truchement des logiques ancestrales de la langue .... la même chose !

Merci pour le voyage en train. J'ai soif maintenant. A la tienne !

Couscous
Boutentrin
Posté le: 27-01-2014 13:43  Mis à jour: 27-01-2014 13:43
Débutant
Inscrit le: 01-11-2013
De: Corse
Contributions: 16
 Re: La brute .
J'ai passé un bon moment de lecture. Et je tiens à vous remercier.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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