Jeannette fait son entrée. C'est une belle fille de trente-cinq ans. Pleine de santé et de force.
LES MÊMES, Jeannette
Jeannette : 'Jour Maurice ! ' Jour Ali ! Déjà là ? Ali : Oui mademoiselle. Maurice : (A voix basse) Il a mal dormi cette nuit. (Plus haut) J'vous sers un café crème ? (Elle hoche la tête pour acquiescer) Vous en faites une tête, mam'zelle Jeannette. Ça va pas fort ? Jeannette : Je suis soucieuse. Maurice : Vous avez des ennuis ? Jeannette : Oui et non. Maurice : Oui ou non ? Jeannette : Oui et non. Oui, parce que ces ennuis sont sublimes, et non, parce que je ne sais pas si j'en serais digne. Ali : Alors là , mademoiselle, je peux vous dire qu'on est toujours digne de ses ennuis. Maurice : Et moi, j'ajoute que les ennuis ne sont jamais sublimes. Maintenant je vous conseille d'oublier tout. De boire votre petit " crème " et de redevenir comme avant : joyeuse et insouciante telle la blanche tourterelle. Jeannette : Impossible. J'ai pris ma décision. Maurice : C'est-à -dire ? Jeannette : J'ai décidé de devenir mère. Maurice : Ah ! C'est ça ? C'est faisable. Vous en avez déjà la rondeur et avec un bon régime vous arriverez à avoir celle de monsieur Pinson. Jeannette : Je n'y ai pas encore travaillé. Maurice : C'est vrai. Il vous faudra les voix pour devenir maire. Jeannette : Mais dites donc ! J'ai mes voies naturelles comme toutes les femmes ! Et meilleures même ! Maurice : Je dis pas le contraire. Ali : Je suis très heureux pour vous, mademoiselle. Si je peux vous aider… Jeannette : Nous verrons ça plus tard. En ce moment je ne me sens pas très bien. J'ai mal aux pieds. J'ai faim et j'ai envie de vomir. Ali : Les pieds c'est normal mais le reste me paraît bizarre. Maurice : Pas moi. Quand je rentre chez moi j'ai faim mais dès que j'embrasse ma femme j'ai un mauvais goût dans la bouche. Allez savoir ! Mais dites-moi, mam'zelle Jeannette ! Une fille Maire dans Mar-sur-Mer ça va être rare. Maurice : Mais il y en a partout dans le pays. Je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas l'être ici. Êtes-vous devenus chauvins ? Vous pensez qu'une fille ne peut pas se débrouiller toute seule ? Ali : Non ! Pas moi ! Je n'veux pas qu'à cause d'un arabe vous soyez malheureuse… Après on dira que tous les arabes causent des ennuis. Jeannette : Ne craignez rien, Ali. Maurice : Enfin vous ne nous avez pas dit pourquoi vous voulez subitement devenir Maire. Jeannette : Pour la joie. Maurice : La joie. Oui. Mais il n'y a pas que ça. Cela va vous causer du travail, des tourments, des nuits sans sommeil des… je sais pas, moi… ! Jeannette : Je n'ai pas peur. Maurice : Enfin, ne croyez-vous pas que M. Pinson risque d'être jaloux ? Jeannette : Jaloux ?! Pourquoi le serait-il ? Je lui aurais donné la primeur mais il est trop vieux et trop bête. Ali : (A voix basse) Vous avez raison. Maurice : C'est vrai qu'il commence à se faire vieux mais il est toujours, du moins, jusqu'aux élections, un maire. Jeannette : Et moi, je serai, tout de suite après les élections, une mère. Quel mal y a-t-il ? Il parle d'ouailles quand moi je parle d'enfant de la Patrie. Ali : Un beau discours, ma parole ! Maurice : C'est de la folie. Jeannette : Ali ! Voulez-vous être mon partenaire ? Mon adjoint ? Mon cheval de bataille ? Ali : Mais ! je… Jeannette : « Je… » quoi ? Je vous plais. Vous me plaisez. On peut faire route ensemble. Vivre un grand moment. Maurice : J' t'ai dit que t'avais la barre avec cette fille ! Allez ! Laisse-toi faire. Je vote pour toi. Ali : Je suis un arabe. Jeannette : Vous êtes un homme. Ali : Vous voulez un cheval. Jeannette : On peut pas tout avoir dans la vie. Ali : Je suis pauvre. Jeannette : Je serai pleine à craquer. Ali : Je n'ai pas de carte de travail… Jeannette : Pas besoin de travail ! Que du plaisir. Ali : Alors comme ça, ça va ! Je marche avec vous, mademoiselle. Maurice : Bravo. Allez ! Ça s'arrose. Qu'est-ce que je vous sers ? Ali : Merci. La prochaine fois. Il faut maint'nant que j'aille à la boutique voir ce qui s' passe ! Jeannette : Et moi, je dois aller me préparer. Me préparer pour ce grand événement. Je veux par cet acte historique, défendre les droits de la femme, de toutes les femmes. Elles n'auront plus désormais à marcher la tête basse. Elle n'auront plus désormais à dépendre d'un homme, d'un ami, d'un amant pour donner à manger à leur enfant. (Elle s'enflamme et déclame avec emphase au public) Acceptez-moi dans votre cœur ! Laissez-moi devenir la Fille Mère de Mar-sur-Mer et vous aurez réussi où notre Président de la République a échoué. Ma devise est la suivante : " Une fille mère vaut mieux qu'un fils de son père. "
Ali et Maurice applaudissent tandis que devant la porte du café des badauds se joignent à leur liesse. Ensuite Ali et Jeannette sortent. Apparaît M. Pinson, le maire de Mar-sur-Mer. Il fait face à la foule qui remplit la salle face au comptoir.
(A SUIVRE)
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