Je me flatte souvent d'avoir bonne mémoire,
Disant : Ce que j'ai vu, je ne l'oublie jamais,
Et ma bonne mémoire, bien souvent, me permet
D'interpeller celui qui passe sans me voir.

Oui mais...Je dois vieillir...Cela me joue des tours.
Il me faudrait choisir qui je peux reconnaître
Et savoir, à propos, refermer ma fenêtre,
En feignant d'ignorer qui passe aux alentours.

C'était un triste jour. Le décès d'un ami
M'amena, réticent, dans un dépositoire
Pour le dernier regard à celui qu'on vient voir,
Avant de refermer le tiroir de sa vie.

Tiens ! Mais ce croque-mort, dans son costume sombre,
Où donc l'ai-je connu.. Il y a bien longtemps..
La Marine ! Voilà ! J'étais sur, mais pourtant,
Je ne parvenais pas à le sortir de l'ombre.

Alors, quand j'eu trouvé le moment opportun,
Je l'ai interpellé et me suis fait connaître :
'Bacchus ! Tu te souviens ?'- 'Oui, me dit-il, peut-être.'
Et ses yeux me fuyaient, semblant chercher quelqu'un.

Bon sang, que faisait-il... Mon cerveau s'activait.
'Rappelle-moi, veux-tu ?Tu avais quel service ?
Attends ! ça me revient : Tu étais à l'office,
Poste sous-officiers. Ah, souvent j'y passais.. '

Il était mal à l'aise et cherchait une issue,
Ne semblant pas heureux que je le reconnaisse,
Que je remette à jour un peu de sa jeunesse.
Il a, dès qu'il l'a pu, filé à mon insu.

Le souvenir, soudain, sortit de mes fichiers.
Il aurait du resté perdu dans ses dédales.
J'avais fait resurgir un bien ancien scandale :
C'était la Madelon de nos sous-officiers.