Je me souviendrai toujours du jour où j’ai décidé une première fois de ne plus voir Papa et Maman. Je devais me rendre à Caen afin d’y passer un examen médical lié à mes fuites urinaires. Il s’agissait de trouver le protocole idéal afin de les stopper. Nous avions donc rendez-vous avec l’Urologue qui me suivait depuis assez récemment. Lorsque je demeurais encore à Siouville, Maman m’y avait suivi. Cette fois, comme j’étais de retour chez moi, Dominique et moi devions nous y rendre en Taxi-ambulance. Mais Maman avait demandé à ce qu’elle puisse nous accompagner. Evidemment, j’avais accepté. Il n’y avait aucune raison pour qu’elle ne puisse pas se joindre à nous. Dominique, autant que moi, en étions d’ailleurs heureux. Ainsi, nous aurions la possibilité de restaurer un semblant de dialogue entre nous. Nous pourrions tenter de tourner la page sur les difficultés de communications qui existaient de part et d’autre. Maman est donc arrivée à notre appartement aux alentours de 12h00. Le Taxi-ambulance devait venir nous y chercher vers 12h30. Cela nous laissait donc quelques minutes pour discuter. J’avoue que j’espérais que Maman profiterait de cette occasion pour nous féliciter de nous être Pacsés. A ma grande surprise, elle nous a dit d’emblée que ce PACS était inopportun. Elle a nous a fait comprendre que, ni Papa, ni elle, n’en étaient heureux. Puis, elle a terminé en expliquant que, malgré cet acte officiel, mi Papa, ni elle, ne nous considéraient unis légalement. Comme d’habitude, je n’ai pas osé m’affirmer devant elle. J’ai été blessée par les mots qu’elle venait de prononcer. Je me suis tu. Mais Dominique a commencé à s’irriter de son attitude. Tout comme moi, son visage s’est fermé. Quand nous en avons reparlé tous les deux plus tard, il m’a confirmé que les mêmes pensées nous avaient traversé tout deux à cet instant précis : Papa et Maman me considéreraient toute leur vie comme une enfant de dix ans. J’aurai beau tout faire afin de leur montrer que j’étais devenu une adulte autonome et responsable, unie à mon compagnon, rien n’y ferais. Tout cela était effacé de la Réalité, telle que Papa et Maman la concevaient. Maman ne s’est pas rendu compte que ses paroles suscitaient l’amertume et la colère de Dominique ; pire, qu’ils le blessaient profondément. Dominique est quelqu’un qui montre rarement son courroux. Et il est encore plus rare qu’il le laisse exploser. Malgré tout, Maman a enchainé en s’en prenant ensuite à mes vêtements. Elle a dit que ceux que je portais ne convenaient pas. Pour elle, leurs couleurs n’étaient pas assorties, qu’ils dépareillaient. Ca a été, pour Dominique, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il lui a immédiatement rétorqué que, de toute façon, il fallait toujours qu’elle trouve quelque chose à redire : un jour, c’était ma manière de me vêtir, un autre jour, c’était mes dents qui étaient mal lavées, que j’avais grossi, etc. Il lui a expliqué que j’avais le droit de m’habiller comme j’en avais envie. Si je souhaitais m’habiller en punk, il n’y voyait pas d’inconvénient, du moment que ce que je portais me plaisait. Il a souligné que personne, ni lui, ni elle, n’avait à intervenir dans mes choix vestimentaires. Maman s’est alors énervée : elle lui a dit qu’il avait tort. Si ses ami(e)s, à elle, me croisaient dans cette tenue, elle aurait honte. Dominique a déclaré que, pour lui, l’opinion de ces personnes n’avait aucune importance. Il se moquait de ce qu’elles pensaient, et qu’elles avaient certainement d’autres « chats à fouetter » que de ses préoccuper de mes choix vestimentaires. Maman a été vexée, outrée, que Dominique ait la hardiesse de la remettre à sa place. Elle a répondu qu’elle n’était pas venue chez nous pour se faire insulter. Elle a pris son sac à main. Elle s’est emparée du téléphone pour tenter d’appeler Papa afin qu’il vienne tout de suite la chercher. Trop énervée, elle n’est pas parvenue à composer le numéro. Elle a ouvert la porte d’entrée en disant que, dans ses conditions, elle allait retourner chez elle à pied. Puis, elle nous a quittés en la claquant violemment derrière elle. Cet événement a marqué la fin officielle de mes relations avec elle et Papa. Car, évidemment, j’étais entièrement d’accord avec Dominique. Bien que je n’aie pas osé affronter Maman pour lui marteler ces propos, ils imprégnaient mon esprit en permanence.
Le dossier de mise sous tutelle a donc suivi son cheminement. A l’approche de mon passage devant le Juge, Dominique et moi avons utilisé un ultime recours : nous adresser à un avocat. Quelques semaines avant la date fatidique, nous en avons contacté un. Il nous a reçus à son étude de Cherbourg. Il nous a écouté – moi, surtout, puisque cette affaire me concernait directement. Il nous a affirmé qu’il allait défendre au mieux mes intérêts. Nous lui avons fourni toutes les pièces nécessaires et utiles à l’examen de ma situation. Et nous avons dû débourser une somme assez conséquente pour nos revenus. Durant toute cette période, Dominique et moi avons été très inquiets. Personnellement, je ne voulais plus avoir aucun contact avec Papa et Maman. Leur entêtement à tout vouloir décider à ma place m’avait trop blessé. Le fait qu’ils soient restés sourds à mes lettres, et qu’ils s’acharnent à croire que celles-ci étaient de la main de Dominique, m’avait trop anéanti. Dominique, de son coté, a été la proie de plusieurs crises d’angoisse. Paradoxalement, ne plus être en contact avec eux m’a fait énormément de bien. Je n’étais plus l’objet de leurs pressions continuelles. Je n’étais plus sujette à leurs jugements, à leurs à -priori. Ils ne mettaient plus leur nez dans ma vie personnelle ou dans ma vie de couple. J’ai donc appris à avoir davantage confiance en moi, même si j’avais encore énormément de progrès à faire. C’était la première fois de mon existence, peut-être, que je me sentais libérée de leur regard. J’ai eu l’impression d’abandonner un poids que je portais depuis trop longtemps sur les épaules. Je me suis senti à ce point plus léger que l’infirmière-psychiatre qui me suivait depuis des mois s’en est rendu compte. Elle s’est aperçu que j’allais un peu mieux. Et, satisfaite, elle a un peu espacé nos rendez-vous. Puis, le jour tant attendu et redouté est enfin arrivé. Tout le monde était présent : Papa, Maman, Barbara, Matthieu – car mon frère et ma sœur avaient également été convoqués par le Juge, Sandrine – qui est ma meilleure amie depuis plus de vingt ans -, le couple de voisins nous ayant conduit au Tribunal, mon Avocat, Dominique et moi. Une fois de plus, dans la salle d’attente, l’atmosphère était pesante, pour ne pas dire à couper au couteau. Pas un mot n’a été échangé entre les deux assemblées : Papa, Maman, Matthieu, sa compagne de l’époque, et Barbara d’un coté ; Sandrine, nos voisins, mon Avocat, Dominique, et moi de l’autre. A l’heure prévue, le Juge nous a demandé d’entrer dans son bureau. Papa, Maman, Matthieu, Barbara, mon Avocat, et moi nous y sommes installés. Le Juge a estimé qu’il devait nous rencontrer seuls tout d’abord. Dominique nous y rejoindrait ensuite. Très vite, celui-ci a questionné Papa et Maman sur les motivations de leur demande de mise sous tutelle. Ceux-ci ont expliqué leur raisonnement : le Médecin ayant effectué le test Neuropsychologique avait estimé cette démarche nécessaire. Et comme ils étaient les seuls habilités à l’entreprendre, ils avaient suivi son conseil. Ils ont aussi souligné qu’ils s’inquiétaient pour moi. Ils étaient convaincus que, le jour où ils ne seraient plus là pour me prendre en charge, personne ne serait capable de défendre mes intérêts. Et ils étaient certains que je mon état de santé altérait mon aptitude à prendre des décisions seule. Le Juge a paru bien ennuyé. Il a décrit à Papa et à Maman les différentes possibilités qui s’offraient à lui. Il les a détaillés, de la tutelle pleine et entière à la curatelle simple. Il leur a décrit leurs fonctions, leurs avantages et leurs inconvénients, dans quels cas il les imposait. Il voulait qu’ils comprennent parfaitement ce qu’ils s’apprêtaient à enclencher. Papa et Maman ont alors dit qu’ils souhaitaient que soit mise en place la mesure la plus contraignante. Ils ont souligné qu’ils désiraient ainsi me protéger de moi même et des autres. Ils voulaient sauvegarder mes droits, après qu’ils aient disparu. Ils ont insisté sur le fait que j’avais besoin d’aide dans beaucoup d’actes de la vie courante. Ils ont évoqué le fait qu’ils s’inquiétaient pour moi et ma santé. Pour eux, j’avais besoin de quelqu’un pour entreprendre, si nécessaire, les démarches médicales auprès des Médecins. Dans la foulée, Maman a acquiescée sans que je n’aie le temps de réagir. J’étais, je l’avoue, impressionnée, de me retrouver devant un Juge, encadrée par Maman d’un coté, et par mon Avocat de l’autre. Je n’ai pas osé prononcer le moindre mot. Tout le long de l’audience, je n’ai fait qu’écouter ce que Papa, Maman, ou le Juge, disaient. Et à aucun moment, je n’ai eu le courage de contrarier leurs propos. Sans Dominique, je me sentais isolée et incapable de réagir. Ensuite, le Juge a réfléchi silencieusement pendant un moment. Lorsqu’il a repris la parole, il a expliqué qu’aucune des mesures à sa disposition ne correspondait à ce qu’ils attendaient de lui. Il a d’ailleurs été surpris qu’un Docteur leur suggère de faire une demande de tutelle me concernant. Celle-ci lui semblait en effet inappropriée, puisque mon cas relevait davantage du corps médical que de la justice. D’après lui, il était évident qu’un protocole médical était actuellement en cours. Ma Sclérose en Plaques étaient parfaitement suivie et traitée. Il a dit que, selon lui, mes facultés de compréhension et de décision étaient intactes. Je n’étais pas inapte à juger ou décider. Et il avait déjà croisé des personnes bien plus gravement malades que moi pour lesquelles toute intervention judiciaire était inutile. Il a alors demandé à Dominique de nous rejoindre afin qu’il apporte son avis en tant que compagnon. Dominique lui a livré le fond de sa pensée. Il a osé dire que son opinion était entièrement différente de celle de Papa et de Maman. Cela a évidemment profondément irrité ces derniers. Et cela s’est immédiatement vu, puisque leur visage se sont immédiatement fermé lorsqu’il entré dans la pièce. Dominique a expliqué que cette demande était inutile et insultante. Il a dit que j’étais humiliée par elle. C’était vrai, mais que je n’avais pas osé avouer verbalement devant Papa et Maman. Il a décrit de quelle manière ma maladie était prise en charge par le Docteur LeBiez ou l’Urologue de Caen. Le protocole médical du Docteur LeBiez et de ses confrères était en permanence observé et étudié. Il a souligné qu’une Aide Ménagère venait chez nous trois fois par semaine afin de prendre en charge les taches du quotidien que nous étions dans l’impossibilité de mener à bien. Puis, il a dit que, lui même était handicapé et atteint d’une maladie invalidante. Pourtant, sa mère n’avait jamais eu l’idée de lui imposer une tutelle. Au contraire, elle l’a toujours encouragé à se débrouiller seul face aux difficultés de l’existence. Evidemment, il n’était pas infaillible et faisait parfois des erreurs. Or, apprendre de celles-ci avait été, selon elle, le meilleur moyen de devenir un adulte accompli, autonome et responsable. Dominique a terminé en disant qu’il m’épaulait tous les jours dans les actes de notre vie journalière. Il a aussi dit qu’en tenant compte que je n’étais pas seule, cette mesure allait à l’encontre de mes intérêts. Elle n’était entreprise que parce que Papa et Maman étaient terrorisés par cette maladie. Ils se sentaient démunis et impuissants. Ils essayaient par ce moyen de soulager leurs propres angoisses, mais que rien ne justifiait leur demande puisque tout était déjà mis en place pour mon bien être. Pour conclure, le Juge s’est tourné vers mon Avocat. Il lui a demandé son point de vue. Celui-ci a pris un instant la parole et a dit que, d’après les pièces qu’il avait en sa possession – et dont il avait fourni le double au Juge -, une mise sous tutelle était injustifiée. Administrativement, tout était en ordre. Nos comptes - les miens autant que ceux de Dominique – étaient parfaitement tenus. Il n’en n’avait rarement vus d’aussi correctement organisés. Notre couple savait se gérer seul et n’avait besoin d’aucune aide à ce niveau. C’est à cet instant précis, qu’une fois de plus, Papa a laissé éclaté sa colère et sa rancœur. Il s’est écrié que Dominique était incapable de s’occuper de moi correctement. Ce dernier aurait dû réagir plus rapidement dès les premiers symptômes de ma maladie. Selon lui, cela aurait permis de stopper son évolution, puis, la Poussée Inflammatoire qui en a résulté. Il s’est encore emporté, exigeant qu’une tutelle doive être mise en place. Il est revenu sur les lettres que lui et Maman avaient reçues. Plein de rage, il a expliqué qu’elles les l’avaient profondément blessé. Il a déclaré que Dominique m’avait délibérément éloigné d’eux en m’interdisant de voir ma famille. Avant que la situation ne s’envenime, le Juge a demandé à Papa de se calmer. Conseil qu’il a suivi au bout de quelques secondes. Un silence de mort s’est aussitôt installé. Mais le mal était fait : le Juge a souligné qu’il n’était pas nommé afin de régler nos différends familiaux. Seul mon bien être le préoccupait, rien d’autre. Il a rapidement demandé à Barbara et à Matthieu leur avis. Barbara a expliqué qu’elle suivrait la décision du Juge, quelle qu’elle soit. Matthieu, de son coté, ulcéré par une lettre que je lui avais envoyé plusieurs semaines auparavant pour lui détailler ma position concernant cette tutelle, s’est à son tour emporté. Et il a clamé haut et fort qu’il s’alignait totalement sur la volonté de Papa et de Maman. Le Juge s’est de nouveau tu. Il a pesé le pour et le contre. J’ai même cru qu’il n’allait rien décider du tout. Puis, lorsqu’il s’est remis à parler, il a dit que, finalement, il allait mettre en place une curatelle simple ; c'est-à -dire, la mesure la moins contraignante et la plus favorable possible. Il l’a justifié en expliquant qu’elle était la plus appropriée au vu du conflit qui existait entre certains membres de notre famille. Il la lèverait certainement le jour où cette mésentente serait définitivement enterrée. En attendant donc, il accédait à minima à la requête de Papa et Maman. En ce qui me concerne, je suis intimement persuadée que la violence verbale de Papa a été le moteur de sa décision. Il a voulu me soustraire aux tentatives répétées de Papa et de Maman d’intrusions dans ma vie personnelle. Il a voulu leur faire voir que les mois et les années qui allaient s’écouler leur démontreraient qu’ils n’avaient rien à craindre pour moi. Papa, Maman, Matthieu et Barbara se sont aussitôt levés. Ils ont quitté le bureau du Juge sans prononcer un seul mot. Lorsque nous sommes, à notre tour sorti de la pièce, Dominique et moi, nous avons tout de même perçu les vociférations de Papa dans l’escalier. Je l’entends encore hurler qu’il ne comprenait pas pourquoi le Docteur lui avait suggéré d’effectuer cette démarche si celle-ci ne devait pas aller à son terme. Il a vociféré contre Dominique pour m’avoir défendu en fonction de ses propres intérêts. Et, avant que sa voix se perde dans le brouhaha ambiant, il a repris ses admonestations vis-à -vis des lettres que lui et Maman avaient reçues. Nous avons à notre tout quitté le bâtiment. Nous avons aperçu Papa et Maman s’éloignant en direction de l’endroit où leur voiture était garée. Dominique s’est alors approché d’eux. Il leur a dit qu’il ne leur en voulait pas pour leur réaction. Il comprenait leur inquiétude pour moi. Il a aussi dit que ce n’était pas parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec lui sur notre manière de gérer notre existence, qu’ils ne pouvaient pas se respecter. Ils pouvaient dépasser leur mésentente et essayer de reconstruire leur relation sur de nouvelles bases. Papa et Maman se sont de nouveau emportés. Ils ont vociféré qu’ils ne lui pardonneraient jamais. Ils ont vociféré qu’ils ne désiraient plus jamais entendre parler de lui. Avant de me rejoindre, Dominique leur a affirmé que la porte de l’appartement leur était ouverte malgré tout. Ils pouvaient venir m’y voir lorsqu’ils en avaient envie. Mais Maman lui a répondu qu’ils n’y remettraient pas les pieds. Et chacun est reparti dans une direction différente. Le contact entre Papa et Maman d’un coté, et Dominique et moi de l’autre, a, de fait, été, une fois encore, rompu. De toute manière, je savais que si j’essayais de communiquer à nouveau avec eux, je me ferai réprimander comme l’enfant de dix ans que j’étais toujours à leurs yeux. De plus, ils ne me laisseraient pas m’exprimer et monopoliseraient la conversation afin de tenter de me faire plier à leurs points de vue. Ce n’était pas la peine de m’attirer leurs foudres davantage encore.
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