La lettre

« Monsieur,
Je viens vous voir car je n’en peux plus. Il me faut vous parler de vos collaborateurs. Tout d’abord, il y a Catherine, à l’accueil. Elle passe sa journée à se faire les ongles, se maquiller ou à tapoter sur son smartphone. Bon, je sais, elle présente bien, c’est une qualité indéniable à ce poste. Apparemment, elle présente aussi bien devant que derrière, si j’en crois les regards concupiscents que vous lui jetez lorsqu’elle se baisse pour ramasser son sac à main ou les objets qu’elle semble prendre un malin plaisir à laisser tomber lorsque vous vous approchez d’elle.

Ensuite, il y a Jérôme de la compta. Je vous invite à vous pencher un peu sur les achats effectués cette année. Vous constaterez qu’il y en a pas mal qui transitent par son service sans être distribués aux autres. Allez faire un tour sur ebay et voyez tout ce que « Monsieur 123 » propose à la vente. Je pense que vous serez surpris !

Au secrétariat, ce n’est pas mieux. D’abord, il y a Clémentine. Elle est incapable d’écrire une phrase sans faute ! Je suis obligée de corriger tous ses courriers. Sa collègue, chargée de la timbreuse et du tri, elle doit avoir deux mains gauches et être « Alzheimer » précoce. À 35 ans, c’est triste ! En effet, elle continue à me donner du courrier qui ne m’est pas destiné. Malgré qu’elle soit tout de même là depuis plus d’un an, elle ne connaît toujours pas nos noms ! En plus, elle met les enveloppes à l’envers dans la timbreuse et cachète le courrier de travers ou de manière erronée. La semaine dernière, elle m’a remis une lettre avec la date du 30 février !

Et n’oublions pas Renée de la com’ ! Vous avez remarqué qu’elle a toujours une stagiaire pour faire le sale boulot. Elle, elle reste fourrée dans son ordinateur, histoire de faire « genre ». Ainsi, tout le monde pense qu’elle travaille mais en réalité, elle écume les sites de rencontres, sans succès d’ailleurs.

Oh, je ne peux pas passer à côté d’Evelyne des ressources humaines. Savez-vous à quoi elle passe ses journées ? Et bien, elle tricote ! Bon, OK, on était tous contents d’avoir un pull en laine lorsque la chaudière a lâché l’hiver dernier. Mais bon …

Bref, toutes ces personnes n’ont de la compétence que le préfixe de ce mot !

Cessez de me jeter ce regard incrédule, Monsieur. Je comprends que vous ayez voulu offrir un poste aux membres de votre famille. Mais là, c’en est trop. J’en ai ras-le-bol ! Voici ma lettre de démission. »

« Voilà tout ce que je vais lui dire demain ! » A cette pensée, la jeune femme sourit. Elle reste immobile, le stylo en suspend, devant la lettre qu’elle a commencé à rédiger :

« Monsieur le Directeur,
Concerne : démission …. »

Après une longue réflexion, elle s’empare de la feuille, en fait une boule avant de la lancer dans la poubelle en disant : « Ah, Papa. Tu as encore besoin de moi, avec cette équipe de bras cassés ! ».