Le bonheur est simple: L'air est un peu frais mais le ciel est tout bleu, un bleu pâle et délavé par le blanc des neiges qui dominent les montagnes cernant la vallée de la Gravona. D'ailleurs, l'odeur de cette neige flotte dans l'air que je respire, calmement et lentement. Sur la petite esplanade ombragée qui borde ma rivière, là où, durant l'été, les voitures de touristes se serrent, en sinuant entre les détritus que les touristes précédents ont laissé et qui recevront les leurs au moment de leur départ, sur cette petite esplanade, je suis seul. Le vent, la pluie et quelques maniaques de la propreté ont déjà fait disparaître les traces du dernier été.Il ne reste, entre les petites pistes de terre battue par les passages de véhicules, que de larges bandes d'herbes d'un vert tendre, pas rancunières. J'ai pris cette habitude depuis bien des années. Toujours, en revenant de mes courses hebdomadaires, et ce, quel que soit le temps, je quitte la nationale pour me glisser sur cette esplanade que mon esprit s'est appropriée. Je me gare tout près du petit ravin dominant la petite plage où j'ai passé la plus grande partie de mes journées d'été, je sors ma chaise-longue qui ne quitte jamais le coffre de ma voiture et je l'installe tout au bord du ravin. Personne ne m'attend encore, personne ne sait où je suis. Je m'installe sur ma chaise-longue en poussant un grand soupir de bien-être...et je prends tout mon temps pour regarder autour de moi. Le grand silence du maquis pèsent sur les cistes, les bouquets de pins et les arbousiers qui commencent, déjà à voir leurs fruits rougir. C'est étonnant; Le bruit de la rivière qui cascade, en bas, ne trouble en rien le silence du maquis. Ce sont comme deux bruits dissociés qui se complètent et qui s'accordent. La branche de l'acacia, brisée il y a environ un mois par le couple d' italiens qui avait installé son camping-car sous son ombrage, traîne à demi sur le sol, et son bois est devenu sec et noirci. Je l'arracherai pour effacer cette blessure..plus tard...quand l'envie m'en prendra... Sur ma droite, à l'entrée du petit chemin descendant vers une caverne de verdure, tout au bord de l'eau, trois grosses pierres , noires de cendres, abritent encore les arsins d'un barbecue récent. Probablement les traces de quelque routard ayant squatté l'endroit. Tiens ! il me vient un grand sourire attendri. Des traces de pneus sont toujours visibles, bien marqués par une boue qui a durci et qui semble pérenniser un petit moment historique, pour moi seul. Ce sont les traces du tout premier démarrage de mon grand petit-fils ! Je l'ai amené là , il y a peu de temps, pour lui donner sa première leçon de conduite. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne maîtrisait pas très bien la technique de l'embrayage. L'esprit vagabonde.Cela me rappelle que c'était en face de moi, de l'autre côté de la rivière, sur le tronçon de l'ancienne nationale, que je lui avais appris à faire du vélo et que j'avais passé des heures à rouler au pas, derrière lui, pour protéger ses arrières, justement; Et puis puisque l'esprit vagabonde, qu'il continue. C'est sur le petit chemin de terre qui se trouve derrière moi que j'ai tenté de faire pédaler mon plus jeune petit-fils. Rien à faire. Il doit trouver cela ringard, à l'époque du progrès tout azimut, d'avoir à pédaler pour se déplacer. J'ai essayé de lui ficher la honte, mais il avait un petit haussement d'épaules méprisant qui m'aurait presque gêné de savoir faire du vélo. On ne doit pas lésiner sur les petits plaisirs, n'est-ce pas ? Je sors ma boite de bière du sac congélation des mes courses, ainsi qu'un paquet de chips 'campagnard'. Croyez-le ou non, mais ce sera ma seule bière de la semaine, et là , croyez-le bien, qu'est-ce qu'elle est bonne ! Il ne me coûte pas cher, ce petit moment de bonheur solitaire. Un petit break qui n'a de valeur que dans la mesure où je ne vois la nécessité de le faire savoir. Connaissant les miens, ils se feraient un devoir de venir me tenir compagnie.. Pour que je ne sois pas seul !
|