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Nouvelles : La Plume Mystérieuse- 1/3
Publié par EXEM le 19-11-2013 20:20:00 ( 1271 lectures ) Articles du même auteur



Il me regardait de ses yeux perçants, et moi dans la stupeur que me causait le vin, si je l’avais remarqué, je ne lui faisais guère cas. Ivre et malheureux, les coudes appuyés sur la table, je regardais, stupide, les cercles lumineux et humides qu’avaient laissés sur le bois, les verres que j’avais vidés.
J’étais à cette époque lointaine, un étudiant sans nom, sans âge et sans gloire, et je passais mes nuits, après mes jours, à boire. Mon bateau dérivait sans maître ni capitaine, vers des terres glacées que l’on ne touche qu’après s’être couvert du manteau des années. Mon port n’était pas loin, un petit mastroquet, juste au coin de la rue où donnait la maison dans laquelle une veuve me louait une chambre. Je n’avais qu’à descendre, de janvier à décembre, pour atteindre le quai, un long comptoir de zinc derrière lequel René, le garçon du café, me servait mon poison… Je croyais alors, avec le venin qui me venait du vin, pouvoir détruire les images et les maux que je fuyais en vain.
J’étais donc, ce jour-là, un plus saoul qu’un autre, car je m’étais assis dans un coin de la salle pour vider un godet, et j’en avais tant bus que j’appris à compter sur mes doigts les empreintes des verres que j’avais renversés du coude, sur la table. C’est alors que le mystérieux étranger qui me fixait, s’approcha de moi.
C’était un homme d’une maigreur pâle, et sous les sombres vêtements qu’il portait, ressemblait à la Mort décrite dans les contes fantastiques bien connus. Ce mérite m’attira. Ne sachant pas sourire, je lui fis un coup d’œil et un signe de tête qui tous deux se voulaient être un signe d’accueil. Son visage était à demi caché par le large bord de son chapeau, mais la moitié visible, observée comme il faut, me laissa deviner que sa peau fine et jaune, était trouée d’orbites aussi rondes que creuses, où de petits yeux noirs semblaient s’être cachés, et, dans ces cavités, en ces sombres creusets, profondément nichés, on ne pouvait au plus, qu’en deviner par chance, l’invisible présence.
Malgré l’alcool que j’avais absorbé, et qui de ses effluves, m’avait presque assommé, ce dernier détail me surprit plus que suffisamment pour me rendre l’esprit. Hélas, cela ne me servit aucunement après que j’eus entendu la voix qui me glaça le sang. C’était pourtant une voix chaude . Mais, lorsqu’elle atteignait mon tympan, elle y laissait un froid pareil à celui que produit l’évaporation de l’éther sur la peau.
« Il y a plusieurs jours que je vous observe, me dit-il. Le moment est venu que je vous mette en garde .... »
Ses paroles vinrent se mêler aux vapeurs du vin cru que j’avais ingéré, et dans un geste lent, sans pouvoir l’empêcher, je chassai le brouillard formé autour de moi, y chassant en même temps, les mots et les ‘Pourquoi ?’. Dès lors, j’étais plus sobre, mais je n’y voyais goutte dans ce nouvel état où me plongeait le doute.
« Ne vous inquiétez pas, me dit l’inconnu, je veux vous aider. Cessez de boire. »
J’avais commencé à reprendre mes esprits, et ceux-ci aussitôt trouvèrent dans les mots qui avaient été prononcés, deux sens qui se contredisaient. Si l’aide que me proposait cet homme, aide généreusement offerte mais que néanmoins je n’avais pas sollicitée, se résumait à me conseiller l’abstinence, cela revenait à ajouter la torture à mon sort où déjà la mort me guettait, sans toutefois se hâter de me tendre la main. Si j’avais perdu le droit d’être heureux, je me croyais toujours posséder celui de prendre un verre au bistrot . Cet homme, selon l’impression que je m’étais vaguement formée de sa personne, avait plus besoin, lui-même, de vider un gobelet, que ceux auxquels il conseillait de s’en passer. Je jugeai cependant inutile de le lui souligner, et je m’en tins à observer le silence où mon abrutissement m’avait plongé. Toutefois, contrairement à mon habitude, cette habitude de l’ivrogne, force née de la faiblesse pour fondre le « peut-être » en une certitude, et qui m’eût fait sous l’emprise de cet instant, signifier à René de m’apporter à boire, je demeurai immobile, incapable d’ignorer les yeux que je ne pouvais voir au fond de l’âme du mystérieux inconnu qui m’était si bien connu .… Cet être, ce « Ne pas être », cette sombre créature venue se coller à moi comme la pieuvre gluante s’accrochant à Gilliatt le pêcheur, allait, je venais d’en acquérir la conviction, transformer ma vie… En se plaçant entre la coupe et mes lèvres, il avait rompu le fil invisible dont se servait le Sort pour tisser ma noire destinée.
Je ressentais en moi, une sorte dualité qui faisait que mon âme était suspendue dans deux états, ou du moins présentait deux aspects différents et identiques. Je la sentais, aléatoirement, survoler le bistrot avec ses larges ailes, ou plonger dans le vide où fondait la lumière dans le cri des fantômes.
Le temps passait vite et ceux qui, comme moi, étaient venus pour boire, un par un, franchissaient la porte grande ouverte, et tombaient lentement, tombaient au ralenti, de toute leur hauteur, dans l’espace où manquait l’effet de pesanteur. Je les connaissais tous, ces buveurs au comptoir, et ceux qui étaient ivres, morts aux tables voisines. Mais je ne les voyais plus comme ils étaient avant. Dans leur comportement je notais un étrange détail, sans doute un phénomène comme l’optique parfois nous permet d’observer. Je les connaissais tous, ces frères et ces sœurs qui venaient au bistrot rire dans le vin rouge, ou pleurer dans l’absinthe. Je les voyais souvent, lorsque j’étais conscient, tenter éperdument -comme je le faisais, de noyer leur angoisse, oublier la terreur, cette douleur de l’âme qui fait si mal au cœur. Ils avaient tous le même visage qui ressemblait au mien, cette face lugubre où les traits y dessinent les tourments invisibles aux griffes assassines. Chaque verre en son fond, contenait le reflet d’une histoire, un roman, ou un conte de fée, mais toujours une vie faite de déceptions, de malheurs et de soif. Chaque goutte d’alcool absorbée d’un seul coup, était au même instant suivie par une larme, car si l’on buvait bien au bistrot « Chez René », on y pleurait aussi jusqu’à se fendre l’âme. La cause des torrents de bière et de sanglots était, comme on disait : que l’on n’aimait pas l’eau . Mais la source, elle, était cachée dans la désespérance ; elle était simple, humaine, unique, et se nommait Souffrance .
C’est alors que le mystérieux personnage qui n’avait pas quitté ma table, fit brusquement un geste, et la large manche de son vieux manteau noir, fendit l’air en silence, comme l’aile du cauchemar passant au-dessus du dormeur. Ensuite, j’entendis résonner la voix laissant tomber ces mots, comme tombe une faux.
« Je crois que j’ai ce qu’il vous faut .... »
Sur la table, sous mes yeux, une longue boîte noire reposait là, comme un cercueil. Puisque j’avais acquis déjà la conviction que l’homme faisait partie de ma destinée, il ne me vint pas à l’esprit de lui poser de questions. J’étais pourtant curieux de savoir ce que cet objet pouvait bien faire là . Je notai avec une anxiété émoussée par l’alcool, que cette boîte était faite d’un cuir dont on pouvait à la vue, en juger de la souplesse ainsi que la douce qualité du grain. Je sentis sur ma peau, cette autre peau, plus lisse, et dont la fraîche élasticité me caressait comme la pulpe vivante d’une bouche délicate… Il me sembla recevoir un baiser . Je ne pus m’empêcher de laisser échapper un petit cri que l’inconnu prit pour un trop plein de surprise, alors que loin de là, mon angoisse était telle que l’étrange certitude d’un présage mortel venait de m’envahir.
« Vous vous demandez, n’est-ce pas, monsieur de Balsain, ce que contient l’étui ?
- Vous connaissez mon nom ?
- Et votre prénom. Henri . Ne vous étonnez pas. Les langues en ce lieu de beuverie sont si déliées que l’eussé-je voulu, que j’eusse appris aussi le patronyme de vos ancêtres, avec points sur les ‘ i’, les ‘ pleins’ et les ‘ déliés’ »
La justesse de son propos me frappa, et je fus presque déçu que ce ne fût pas à une faculté plus mystérieuse qu’il eût dû le pouvoir de deviner mon identité, laquelle depuis longtemps s’était noyée dans l’oubli. Comme je ne possédais aucun des avantages qu’il présentait contre moi et que j’aurais toutefois également aimé savoir à qui je m’adressais, je lui demandai à brûle pourpoint comment il s’appelait.
« Docteur A. A. Coppennddorff, me répondit-il, sans hésitation. »
Ne désirant pas paraître trop curieux, je ne cherchai pas à savoir ce que les ses initiales indiquaient. Je me contentai de m’en tenir à des relations strictement basées sur l’origine plutôt que sur l’originalité. Cependant, je m’aventurai à lui demander en quoi, était-il docteur.
« Docteur en rien . me dit-il. »
Devinant, cette fois-ci, justement, ma surprise, toussotant, il laissa glisser d’une voix prise, la raison de ce titre qui, s’il lui allait bien, ne pouvait à mes yeux signifier plus que « rien » .
« Mon diplôme inspire aux autres le respect que je mérite. Et il ne peut leur faire de mal. Il est plus inoffensif que ceux que l’on obtient dans les universités. Alors ? En quoi cela gêne –t-il ? »
Je ne trouvais rien à dire contre cet argument, mon esprit étant occupé par la présence de l’objet qui semblait se mouvoir imperceptiblement, comme le fait un mort qui vient de rendre l’âme, et qui tout encore chaud, frissonne une dernière fois..
Coppenddorff, prenant mon mutisme pour de la concentration, sans plus d’explication sur la nature de son doctorat, se mit à faire des gestes agiles, ses mains tournoyant autour du boîtier comme des papillons géants de forêts oubliées ; il remuait aussi les doigts à la façon des magiciens, des doigts si longs que dans mon état d’ébriété précédent, je les eusse sûrement pris pour les pattes chauves d’une araignée dantesque. Enfin, comme on exhume un cadavre, il souleva le couvercle sous mes yeux qui ne s’en crurent pas eux-mêmes…
Jamais dans mon imagination, n’avais-je rêvé, ni dans mes rêves, imaginé une création, une créature . pareille à celle que caressait mon regard. Elle était allongée sur son drap de satin, pensive et languissante, au centre de l’écrin. Sa beauté redéfinissait le sens, et l’essence même du mot de beauté. Pour le lui appliquer, il eût fallu le prononcer de mille voix différentes chacune d’elles, inspirée par ce qu’il y a de plus parfait sur terre, et déclamée par le poète le plus proche de Dieu . Sa longue chevelure soyeuse, était calmement immobile tout le long de son corps si fin que sa blancheur se noyait sous les couleurs de ses cheveux d’or bleu et vert. Au-dessus de sa taille, sa tête reposant sur son lit, laissait voir ses lèvres minces et bien taillées dans sa chair. Cet Ange, cette splendeur ne pouvait être née que du corps d’un Oiseau de Paradis . En la voyant, j’eus envie de la prendre par la taille, mais je me retins ne voulant laisser voir au Docteur A.A. Coppenddorff que je venais en l’instant de perdre mon âme et qu’il pouvait s’en rendre maître. Qu’avais-je d’autre, en effet, à lui offrir que mon âme en échange de celle que je convoitais désormais ? Mon âme . C’était là toute ma fortune, et elle ne manquerait pas de devenir mon infortune si la passion soudaine que je ressentais n’était pas assouvie. Le docteur, encore plongé dans ses gestes et mimiques, parut satisfait de ma réaction.
« Je vois, me dit-il, que appréciez la beauté de cette plume rare . »
Plume . Ce mot me frappa. Je dus faire un effort pour me convaincre que l’objet de mon désir était une plume, objet inanimé auquel j’avais attribué une existence en l’observant à travers le filtre qui l’entourait, fait de charme, de grâce et d’harmonie. C’était (j’en acceptais maintenant l’inévitable évidence) une plume, mais tout homme doué de sensibilité eût pu jurer qu’elle n’était pas faite pour écrire mais pour… inspirer. Peut-être : penser .
La tête me tournait encore. Après le vin, cette rencontre m’avait enivré à un point où malgré la réalité que je savais cruelle, j’en étais arrivé à rêver de nouveau. J’aspirais subitement à libérer ma vie du flacon dont la lie, comme un rouge linceul, l’enveloppait dans l’oubli, et je voulais partir, m’envoler sur l’aile de cette plume apparue au fond de mon enfer pour emporter mon âme vers les cimes de l’au-delà.
Soudain, Coppenddorff, avec soin, prit la vieille musette qu’il portait dans son dos, et l’ouvrit comme on ouvre, d’un enfant, le berceau. Avec des gestes maternels, il fit apparaitre une petite bouteille, et quelques vieilles feuilles corrompues mais toujours vierges.
« Tenez . Lança-t-il. Essayez . Voici de l’encre et du papier. Écrivez . Vous verrez comme elle est habile .
- Mais . Qu’écrirais-je ? Je ne suis plus écrivain . Je ne suis qu’un ivrogne… Je suis perdu . Et l’ignorance du monde m’a permis – je lui en sais gré- de me retrouver dans cet égarement . Dans ma condition, mes doigts ne se meuvent que pour trembler, et mon esprit ne pense que pour constater, hélas, que je suis… le néant . Vous êtes docteur en rien, et moi, je ne suis rien . De cette plume, docteur, je ne puis en admirer que la beauté, et non pas l’habileté. L’intérêt que vous avez pu constater en moi n’est dû qu’au débordement de mes godets, et, je dois vous l’avouer aussi, à l’insistance que vous avez mise à interrompre ma solitude.
- Essayez . vous dis-je. »
J’allais encore une fois refuser de me prêter à ce jeu, et lui indiquer franchement que s’il s’agissait là d’un essai destiné à me prouver la valeur de la Plume Mystérieuse, et de me convaincre ainsi de la nécessité d’en faire l’achat, je me trouvais hélas, dans une situation financière qui ne me permettait pas de payer ce chef d’œuvre le prix qu’il méritait.
Je n’eus pas l’occasion de lui offrir ce discours, en fait, à peine avais-je ouvert la bouche qu’une forte rumeur se propagea dans le bistrot et ne tarda pas à envahir la salle où je me trouvais. Avant même que je pusse deviner ce qui se passait, je me trouvais pris au centre d’un incident qui allait – comme il m’arriva de le constater plus tard - servir de point de départ à l’aventure fantastique dont je devins innocemment le héros.
(ASUIVRE)

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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
Loriane
Posté le: 20-11-2013 16:15  Mis à jour: 20-11-2013 16:15
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9505
 Re: La Plume Mystérieuse
Exem,
je regrette mais n'ai pas réussi à tout lire aujourd'hui.
en fait ton récit est beaucoup trop long pour une page sur écran.
Divise ton texte en chapitre pour ne pas décourager tes lecteurs.
Je reviendrai dessus ce week-end.

Citation :
je ne lui faisais guère cas.

Faire cas est un verbe transitif, donc qui se conjugue avec un complément . "Faire cas de" ou "en faire cas".

fofotes :
et j’en avais tant bus que j’appris à compter et j’en avais tant bu que j’appris à compter
Merci
EXEM
Posté le: 20-11-2013 16:33  Mis à jour: 20-11-2013 16:33
Plume d'Or
Inscrit le: 23-10-2013
De:
Contributions: 1480
 Re: La Plume Mystérieuse
Merci Loriane, je viens de couper le texte en 3 parties, ne laissant que la première. Vous avez absolument raison.
Je vais voir pour le reste. Merci
exem
arielleffe
Posté le: 23-11-2013 17:45  Mis à jour: 23-11-2013 17:45
Plume d'Or
Inscrit le: 06-08-2013
De: Le Havre
Contributions: 805
 Re: La Plume Mystérieuse
J'ai hâte de savoir la suite. Qu'est-ce que cette "plume mystérieuse" ? L'addiction à l'alcool est bien décrite. Le personnage est-il victime d'une hallucination ? La mort est présente aussi, suspens ...
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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