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« Mais qu’est-ce qu’y fait là ? »
Voici la phrase qui la réveille. Elle ouvre de grands yeux et se trouve face au visage contrarié de son hôte, qui fronce ses sourcils broussailleux. Le temps de reprendre ses esprits et elle comprend qu’il fait référence au livre qui traîne par terre après avoir glissé de ses mains. Elle le ramasse prestement, le referme et le tend à Robert.
« Désolée. Je me suis permis de l’emprunter cette nuit. Je ne parvenais pas à dormir. - On demande d’abord ! Z’avez failli l’abîmer ! »
Lucie jette un coup d’œil au livre à la couverture en lambeaux et aux pages cornées, en se demandant ce que celui-ci risquait de plus, à part les flammes !
Le propriétaire du précieux ouvrage monte le remettre dans sa bibliothèque. Pour tenter de se faire pardonner, Lucie prépare la table du petit déjeuner et avale trois biscottes avec de la confiture sans rechigner. Elle propose ensuite de donner un petit coup de chiffon sur les poussières et de balai sur le sol au carrelage délavé par les années et les pas traînants de Robert. En fin de matinée, la tempête semble enfin se calmer. Dehors, on n’aperçoit plus qu’une vaste étendue blanche. Il n’est plus possible de distinguer les routes des champs.
« Je vais pouvoir sortir pour appeler une dépanneuse. De quel côté sont vos plus proches voisins ? - Avant de partir, y faut prendre des forces. Mes voisins … vers l’est, à cinq kilomètres. Vais préparer le repas. - Je descends chercher les ingrédients. »
Lucie entend un « non ! » de protestation mais n’en a cure. Elle dévale l’escalier et se retrouve face à deux énormes congélateurs. Du premier, elle sort des carottes. Elle ouvre ensuite le second et découvre divers morceaux de viande découpés. Elle fouille, à la recherche d’un bout qui lui plaise. Déplaçant tout, elle finit par tomber sur une pièce avec une forme étrange qu’elle retire et observe de plus près. Soudain, elle pousse un cri d’effroi en comprenant qu’il s’agit d’un pied humain. Celui-ci est jeté au loin et Lucie se précipite en panique vers le rez-de-chaussée. Dans son empressement, elle fonce droit devant elle et se cogne au ventre proéminant de Robert. Elle lève la tête vers le géant et découvre l’expression diabolique de son regard. Il tient une hache dans la main et s’adresse à elle :
« J’aurais bien voulu qu’tu prennes un peu plus de poids. Mais vais manquer de viande pour l’hiver ! »
Là , tout défile rapidement dans la tête de Lucie : les coupures de journaux, la phrase dans le carnet et cet appétit ! Elle se rend compte qu’il l’a forcée à devenir cannibale à son insu. Elle est alors prise d’un terrible haut-le-cœur. Son instinct lui dicte de filer en vitesse de cet endroit malsain mais Robert lui attrape le bras. La jeune femme crie :
« Attaque Clérembert, attaque ! »
Le chien reste stoïque, semblant attendre sa récompense, un nouvel os … peut-être le fémur de Lucie ! Robert se met à éclater d’un rire tonitruant.
« Tu crois vraiment qu’y va m’attaquer ? »
Lucie attrape un vase à portée de main et le brise sur le crâne de son agresseur qui lâche prise. Elle se rue sur la porte la plus proche, celle qui mène au jardin. Dans sa précipitation, elle fait basculer une poubelle métallique qui se vide de son contenu : des déchets ménagers et …. la tête d’une jeune femme défigurée et à moitié putréfiée. Lucie hurle de terreur. Elle observe autour d’elle, cherchant une issue à ce jardin entouré de murs. Un tas de bûches est adossé à l’un d’eux, constituant ainsi une sorte d’escalier. Elle se précipite et entame l’ascension du tas de bois. Arrivée au sommet, elle voit Robert s’approcher, l’air menaçant.
« Pars pas encore. T’as pas mangé ! »
Lucie agrippe le haut du mur, grimpe et s’apprête à sauter de l’autre côté lorsque le cannibale lui lance sa hache le plus fort possible. Celle-ci se plante dans le bras droit de Lucie qui hurle avant de se laisser tomber de l’autre côté de l’enceinte. Allongée dans la neige fraîche, elle sait pertinemment qu’elle doit bouger même si la douleur lui dicte un tout autre comportement. En grimaçant, elle se relève, la main gauche sur la blessure qui saigne abondamment et colore la neige de rouge.
Elle devine la présence d’une route face à elle et part dans la direction de celle-ci. Elle lance des regards inquiets tout autour, en avançant dans la poudreuse. Tout à coup, elle entend des pas et se retourne. A quelques mètres, elle aperçoit Robert passer le coin de la maison et s’avancer vers elle, un couteau dans la main.
Lucie presse le pas sur la route de campagne toute blanche. Les gouttes de sang se sèment derrière elle, comme les cailloux du Petit Poucet. Difficile de distancer son agresseur. Rassemblant ses dernières forces, Lucie se met à courir. Ses pieds gelés s’enfoncent dans la couche de neige d’une vingtaine de centimètres.
Enfin, une habitation se profile à l’horizon, lointaine mais promesse d’une délivrance. Elle se met à courir aussi vite que ses jambes flageolantes le lui permettent. Hors d’haleine, elle stoppe et regarde furtivement derrière elle. Robert s’est arrêté lui aussi, appuyé contre un arbre, le dos courbé, il semble exténué. Lucie espère donc qu’il abandonne sa proie et elle en profite pour prendre de l’avance. Elle-même commence à voir de petites étoiles devant les yeux.
Arrivée devant la porte d’une villa chic, Lucie sonne avec insistance. Un chien vient aboyer à travers la boîte aux lettres mais personne ne vient lui ouvrir. Elle jette un œil indiscret à travers la fenêtre : aucun signe de vie humaine. Elle ne peut pas traîner ici et décide de reprendre sa quête d’une âme prête à lui porter secours. Un regard en direction de la maison de Robert : personne. Aurait-il renoncé à faire d’elle son prochain dîner ou espère-t-il la retrouver plus tard, congelée, après des heures de marche, prête à intégrer directement son congélateur.
Lucie est transie de froid et la manche droite de son pull est trempée de sang jusqu’au poignet. Elle sent que ses forces s’amenuisent mais elle n’a d’autre choix que de continuer sur la seule route qui s’offre à elle. Après de longues minutes de marche, elle voit poindre quelque chose au loin. Impossible de déterminer de quoi il s’agit exactement car sa vue se brouille à cause du froid et de la fatigue. Tous ses membres sont engourdis et menacent de ne plus répondre à la nécessité d’avancer encore et encore. Son seul espoir est cette chose ou cette personne qui s’approche inexorablement d’elle.
Elle n’en peut plus, ses jambes se dérobent sous elle et Lucie tombe à genoux. La tête courbée, elle ressemble à une pénitente. Mais quel péché a-t-elle pu commettre pour mériter une telle fin ? Elle s’écroule et a juste le temps de voir les roues d’une voiture s’arrêter à quelques mètres d’elle avant de sombrer dans l’inconscience.
à suivre ...
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