Voilà ! Je me retrouve devant cette maison qui a abrité toute mon enfance, une modeste maison de rangée dans un quartier populaire de ma ville natale. Mon cœur se met à danser dans ma poitrine lorsque je tourne la clé usée dans la serrure dépolie. La porte ne rechigne aucunement à me laisser l’accès. Me reconnaîtrait-elle ?
Lentement, je pénètre dans le couloir éclairé par les derniers rayons du soleil estival. Une porte vitrée mène dans la salle de séjour où règne l’obscurité. J’avance à l’aveugle jusqu’aux fenêtres. L’ouverture des lourdes persiennes amène un peu de lumière et me permet de contempler la pièce. Les meubles ont conservé leur place, celle qui leur est dévolue depuis plusieurs décennies. Ceux-ci sont recouverts d’un drap blanc. Je retire le linceul du canapé et des volutes de poussière se mettent à danser dans les faisceaux lumineux. Les couleurs des fleurs qui ornent le fauteuil ont perdu de leur éclat initial qui s’apparentait à celui du printemps. Elles ressemblent maintenant à la toison d’un arbre au bord de l’automne.
Je passe près du buffet en chêne qui a connu de nombreux déménagements. Derrière la vitrine s’étalent des photos jaunies, me rappelant mon enfance en ces lieux. Je souris à la vue de ce visage poupon entouré par une chevelure volontairement courte. Le miroir me renvoie maintenant un faciès aux joues creuses et aux rides d’expression marquées. Mes longs cheveux châtains voient apparaître parmi eux des rebelles aux reflets blancs que j’arrache dès qu’ils se révèlent à ma vue.
Mes pas me mènent vers la cuisine, petite mais fonctionnelle. Que de bons petits plats ont été mitonnés ici pour finir dans mon estomac gourmand ! Un tourniquet d’épices continue à parfumer la pièce. Le coin repas possède toujours les mêmes chaises dont le cannage fatigué menace de se percer sous le poids de mes fesses, celui-ci s’étant considérablement modifié au fil de mon existence. Une porte à la vitre trouble mène dans la salle de bains. Le vieux chauffage d’à -point est toujours posté dans le coin. Un souvenir me revient à l’esprit. Lors d’un jeu avec le chien familial, un malicieux teckel, ce dernier m’avait malencontreusement mordue. Sans rien dire, je me suis rendue au lavabo afin de nettoyer le peu de sang qui s’écoulait de ma main. Puis, un trou noir .... Je me suis éveillée peu après, j’étais pendante au-dessus de ce fameux chauffage, qui était heureusement éteint.
Au bout de l’habitation se trouve un jardin étroit mais long qui mène au garage. Ce dernier m’a vue confectionner des choses étranges à partir de bricoles, telle mon idole de l’époque, un certain Mac Gyver. Les arbres généreux ont envahi ce qui devait rester le domaine de la pelouse. Fleurs et fruits s’entremêlent et offrent des couleurs vives à la vue. Dans le coin, une fontaine de fortune avec une statue de grenouille en pierre qui a cessé de cracher de l’eau.
Je décide de monter à l’étage. Au premier, deux chambres dont l’une servait uniquement de dressing afin d’accueillir les innombrables vêtements de ma mère, acheteuse compulsive. Il y a possibilité d’habiller tout un village africain avec le contenu de cette pièce. Je ne m’attarde pas et file au second étage via un escalier très raide, « fait main » par mon père.
Ma chambre est identique à celle de mes souvenirs. Le petit lit au matelas molasse est posté dans le coin avec une commode en face, ce qui permettait d’y poser une petite télévision. Des placards ont été aménagés dans la soupente. Je les ouvre et y découvre mes jouets d’enfance : des jeux de société auxquels je jouais seule avec un nounours ou une poupée comme adversaire, en veillant à ne pas tricher bien entendu, des jeux de construction légués généreusement par mon cousin et plein d’autres bricoles.
Assise sur le lit, j’ouvre le tiroir de la table de nuit et en retire des feuilles blanches griffonnées au crayon. C’est le début d’un texte écrit à mes dix-sept ans. Je le redécouvre et il me donne envie de lui offrir une suite et, qui sait, peut-être deviendra-t-il le prochain best seller ….
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