LE SOMMET En Afrique, la liberté d’expression peut nuire gravement à la santé.
I- Comme ils venaient juste de recouvrer leur indépendance, vingt deux pays parlant la même langue et pratiquant la même religion, voulaient se lancer dans le cortège des tendances et former, eux aussi, un bloc économique ; un marché commun qui rivaliserait avec les autres marchés existants de par le monde. Mais bien que ces pays aient beaucoup de points communs au niveau linguistique, culturel, traditionnel et religieux, de nombreux problèmes surgirent le jour même où l’idée de s’unir, leur effleura l’esprit. En effet, bien qu’il paraisse homogène, le bloc envisagé présentait déjà des fissures menaçantes, et risquait de s’écrouler avant même sa construction, puisque sur les vingt deux pays candidats, on pouvait compter au moins vingt deux régimes politiques différents, se répartissant en monarchies, principautés et républiques. Héritage colonial. Avant de restituer les vingt deux pays aux autochtones, les colonisateurs avaient habilement intronisés des chefs d’États qui pérenniseraient l’occupation tout en veillant sur les intérêts des métropoles. Les nouveaux dirigeants furent donc triés sur le volet parmi les plus dévoués et les moins intelligents. Ceux-là mêmes qui collaboraient sérieusement avec l’occupant. Là où les populations avaient montré une certaine résistance à l’hégémonie étrangère, le colonisateur choisit de jeunes chefs guerriers. Il les façonna et les forma avant de leur passer les rênes du pouvoir. Pour les pays dociles, il prit les chefs des tribus dominantes ; généralement des hommes vieux et analphabètes. Des tessons brisés, cassés, piteusement archaïques. De vrais fossiles. Aussi, cette mosaïque de régimes, cette jungle fut-elle très vulnérable puisque, sans faire de bruit, l’ours soviétique s’y infiltra facilement. Il commença à courtiser les jeunes chefs militaires tout en les mettant en garde contre d’éventuels opposants à leur régime qui pourraient constituer une réelle menace. A cette mise en garde, les tigres en papiers eurent peur. Très peur. Ils se voyaient déjà à la merci de leurs adversaires. Ils n’arrivaient plus à dormir à cause des cauchemars qui hantaient leurs esprits. Heureusement, L’ours soviétique les rassura en leur proposant des armes et des munitions. Pour faire preuve de sa générosité, il leur proposa même des formateurs et des techniciens contre quelques « privilèges », selon ses dires Les chefs de tribus, habitués aux grandes espaces et à la chasse au faucon, virent de mauvais œil cet arsenal. Réputés par leur mauvaise foi, ils n’avaient jamais cru, ni compris les raisons de ce surarmement. Méfiants, ils firent, tout simplement, appel au condor américain, célèbre par son regard perçant et ses attaques foudroyantes. Les opposants ne se manifestèrent jamais, mais ce n’était pas là une raison pour ne pas continuer à se doter d’armes les plus sophistiquées et les plus meurtrières. Ne serait-ce que pour les montrer lors des défilés militaires qui se déroulaient le jour de la fête nationale. Cette atmosphère de psychose poussa les chefs des vingt deux pays récemment « indépendants » à brader leurs richesses minières aux deux super puissances. Leur seul souci : garder le pouvoir. Pour cela, toute décision ne pouvait être prise que par la bénédiction des soviétiques ou des Américains, ou des deux à la fois. C’est donc pour cette raison, que le jour où un chef d’État parla à ses vingt et un homologues de « son rêve de bâtir un marché commun», le jour où ces derniers trouvèrent que ce « rêve » était amusant, ils se précipitèrent chacun vers son protecteur pour l’informer de cette aventure qui ne pourrait être que « plaisante ». Soviétiques et Américains se concertèrent et conclurent qu’il s’agissait vraiment d’un « rêve », « d’un beau rêve mais qui ne doit en aucune manière se réaliser », qu’il ne fallait, en tout cas, pas frustrer leurs jeunes proies. Ils déléguèrent même leurs ministres des affaires étrangères pour féliciter les rois, les princes et les présidents. « -Amusez-vous bien ! », leur dirent-ils. Cette phrase fut prise pour un ordre. Les superpuissances avaient raison. Le premier sommet devait se tenir sous le signe de l’amusement. Tout le monde se mit à la recherche des moyens et des outils qui permettraient de bien se défouler. Le premier sommet est un événement ! Un événement heureux !
( A suivre )
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