Cauchemars
Claude ouvre lentement les paupières. Le soleil s’immisce doucement à travers les stores vénitiens. Elle s’étire et se lève pour prendre la direction de la salle de bains. Son pyjama jeté négligemment sur la chaise, elle entre dans la cabine de douche. L’eau tiède qui ruisselle sur son corps lui permet de sortir de sa torpeur. Mais ce rituel matinal lui rappelle aussi toute sa singularité physique. En effet, sa poitrine volumineuse que lui envieraient certaines, ne l’empêche pas de posséder des attributs masculins. Chaque matin, elle se désole de sa condition, la condamnant au célibat. Une opération ? Une mutilation plutôt ! L’eau douce giclant du pommeau se mêle à celle, salée, de ses larmes. Une voix résonne … lointaine. Claude tend l’oreille.
« Chérie ! Réveille-toi ! »
Les yeux ouverts, elle fait face à un homme blond, penché sur elle, l’air inquiet.
« Ça va ? Tu pleurais dans ton sommeil. Un cauchemar ? - Oui, horrible. Merci de m’avoir réveillée. Je t’aime. - Moi aussi. »
Il l’embrasse d’un baiser furtif sur la bouche avant de sortir de la chambre. Sous les couvertures, Claude tâte son entrejambes … il est sans relief. Elle pousse un soupir de soulagement et sèche sa dernière larme avant qu’elle ne termine sa course sur l’oreiller déjà trempé.
En passant dans le couloir, elle prend le courrier avant de rejoindre la cuisine. Une enveloppe brune lui est adressée et porte le cachet « Confidentiel ». Claude l’arrache grossièrement et découvre une lettre signée par un certain Docteur Mirot. À sa lecture, elle devient blême. Il lui faut relire trois fois le passage « infertilité irrémédiable des ovules ». Son compagnon entre dans la pièce, une baguette de pain sous le bras. La voyant bouche bée, il l’interroge :
« Qu’y a-t-il ? - Lis ça Bruno ! »
Il parcourt rapidement le contenu du courrier. Claude est tremblante, au bord de l’évanouissement. Bruno la soutient jusqu’à une chaise. Il tente de la rasséréner :
« Ce n’est rien. On peut adopter - Je voulais tellement vivre une grossesse, porter MON enfant. »
Claude se met à fondre en larmes, son corps est secoué de soubresauts que Bruno, malgré son étreinte, ne parvient pas à calmer.
« Maman ! Debout, debout ! »
Claude s’assied dans le lit d’un mouvement mécanique, tel un diable sortant de sa boîte. Une petite fille brune à la tignasse bouclée, âgée de cinq ans, lui sourit.
« Pourquoi tu pleures Maman ? - Oh, j’ai fait un horrible cauchemar ma puce. Ce n’est rien. Va en bas prendre ton petit déjeuner avec Papa. Je vous rejoins. - D’accord. »
Un sentiment de joie envahit Claude. Elle a vraiment une vie parfaite : un mari aimant et une magnifique enfant. Ce cauchemar lui a laissé des sueurs froides dans le dos. Une bonne douche effacera tout cela. En se déshabillant, elle observe la cicatrice qui parcourt son pubis, dernière trace d’un passé douloureux.
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