Béryl est épuisée, elle se lève fatiguée et se couche éreintée. Elle se demande quand tout cela va s’améliorer. Sa relation avec Azéline est aussi éprouvante. Après une séance d’écriture, son cerveau est en ébullition, elle a la migraine et a du mal à garder les yeux ouverts. Florent en avait assez de vivre avec une guimauve, il a sans doute eu peur qu’elle reste comme ça toute sa vie.
Béryl aussi a peur, le neurologue et son médecin sont rassurants, mais elle sait aussi que ça va être très long pour récupérer toutes ses capacités. Est-ce qu’elle les récupérera toutes ? Elle s’est déjà faite opérée d’une hernie discale quelques années auparavant et elle doit faire attention à certains mouvements. Le sport est un vrai médicament pour ce genre de problème, mais pour l’instant pas de sport possible, même quelques mouvements de gym sont exclus. Elle aimerait pourtant pouvoir se défouler pour éviter de penser à Florent et évacuer sa colère, mais même cela n’est pas possible.
Elle se sent emprisonnée dans son corps qui répond mal. Par contre cette capacité à communiquer avec les morts est nouvelle. Serait-il possible qu’elle puisse communiquer avec d’autres personnes décédées ? Elle frissonne en y pensant, se voir entourée de fantômes comme dans le film Sixième Sens, ça n’est pas très réjouissant. Il est vrai que sa relation avec Azéline est plutôt agréable, c’est une amie qui lui apprend beaucoup de choses, elles sont presque devenues jumelles, est-ce qu’une autre relation similaire pourrait exister ? Marie-Madeleine n’a visiblement pas cette capacité, est-ce qu’elle doit en parler à ses médecins ? Ils vont la prendre pour une folle, comme ça ce sera complet : à moitié impotente et folle !
« Comment vas-tu mon amie ? Tu as l’air fatiguée alors que tu viens de te lever. »
Azéline vient d’apparaitre dans la chambre, elle apparait et disparaît sans que Béryl puisse voir d’où elle vient. C’est le propre des fantômes, être là , s’évanouir, traverser les murs… Béryl se demande si un jour elle sera un fantôme elle aussi.
« Je ne fais rien de mes journées et pourtant je me sens épuisée, c’est très énervant, Béryl sort de ce corps et va t’amuser !!! J’ai l’impression de peser une tonne, ma tête est au bord de l’explosion. » Azéline a l’air vraiment désolée,
« Tu devrais peut-être arrêter d’écrire aujourd’hui, veux-tu que nous sortions ? Je te montrerai mon école. »,
Béryl est très étonnée :
« Tu peux sortir ? Je pensais que les fantômes ne pouvaient pas sortir de leur maison ! »
Azéline regarde son amie d’un air mi-étonné, mi-contrarié,
« Tu crois que je suis un fantôme ? »
Elle réfléchit :
« J’en suis probablement un, tu es la première personne de ce monde à qui je parle, les autres ne m’entendent pas, je n’avais même jamais pensé à leur parler, je ne vis pas ici, tu apparais dans mon monde, je te vois, je t’entends, je peux te parler, mais c’est toi qui me sembles être une revenante ».
Béryl est estomaquée, elle apparaît à Azéline comme un spectre, si ça se trouve c’est elle qui est morte et Azéline est vivante. Avec la théorie de la relativité on peut imaginer qu’elles vivent toutes les deux en même temps mais dans une dimension différente. L’histoire que raconte Béryl à travers les cartes postales est peut-être en train de se passer en ce moment et pas dans le passé comme on a l’habitude de le comprendre.
http://www.youtube.com/watch?v=h6V-VEg6pzI
Elle vivrait dans un univers où la vitesse est différente, plus rapide que dans celui de son amie, ce qui ferait que pour elle le temps serait ralenti et le monde d’Azéline la rattraperait. Scientifiquement cela se tient, mais la plupart des gens ne le comprendrait pas.
Marie-Madeleine est partie très tôt ce matin, sa nièce l’a entendu s’agiter en bas, nourrir les animaux, faire du ménage, lancer la machine à laver. La vieille dame lave tous les jours les draps qu’elle dispose sur les canapés pour les protéger des pattes des chiens. C’est un travail de Titan à recommencer tous les jours : javelliser toute la maison, changer et remplir toutes les gamelles, nettoyer les litières…
Tantine ne supporte pas l’inactivité et elle s’est trouvé un nouveau job pour ça retraite, c’est un travail à plein temps qui coûte cher, mais lui rapporte humainement, ou plutôt « animalement », elle s’occupe de ses bêtes comme elle le ferait avec des enfants. Elle avait d’ailleurs essayé de s’occuper de petits orphelins, mais les petits hommes sont plus exigeants que les animaux, ils se laissent moins faire, ils ont des désirs, des revendications.
Après le petit déjeuner, Marie-Madeleine part chercher des aliments pour sa ménagerie, à quelques kilomètres il y a une coopérative, elle ramènera des sacs énormes de croquettes de toutes les tailles et parfumées à des saveurs qui ne sont appétissantes que sur l’étiquetage. Cette nourriture sent toujours épouvantablement mauvais.
Azéline prend Béryl par le bras,
« allez, on y va, tu vas voir quel chemin je prenais tous les matins pour aller à l’école. Je partais à 6 heures, puisque j’accueillais les enfants à partir de 7 h. »,
Béryl est stupéfaite :
« 6 h du matin ! Mais il faisait nuit ! Et quand il y avait de la neige, tu faisais comment ? »,
Azéline répond
« Parfois je couchais sur place, il y avait une petite pièce au bout du bâtiment ou un lit était installé, je réchauffais la soupe sur le poêle, j’étais contente quand ça arrivait, ça me permettait de m’évader un peu ».
Elle est songeuse, de mauvais souvenirs semblent remonter à la surface. Les deux femmes longent à nouveau la rivière, en direction du village. Béryl ne se verrait pas faire se chemin sous la pluie et de nuit, ça lui paraît complètement irréalisable. Son amie porte une jupe longue,
« comment faisais-tu quand il pleuvait ? Tu devais être trempée ! »,
« Je faisais sécher mes vêtements près du poêle ! Tu sais les élèves aussi venaient de très loin, et en sabots, je n’avais pas le droit de me plaindre. »
Elles traversent le village, l’ancienne école est derrière l’église, elle est complètement en ruine. D’autres maisons l’entourent, tout est à l’abandon, les bâtiments n’ont plus de toits, on devine encore l’emplacement des pièces et des âtres.
« Heureusement que cette école existait, elle ma permis de supporter mon existence, tout n’a été qu’un énorme gâchis. »
Azéline pleure, elle touche un morceau de mur où le tableau noir devait être suspendu,
« les enfants m’aidaient beaucoup, ils étaient toujours de bonne humeur, ça me changeait de l’ambiance de la maison. »
Azéline se tait tout d’un coup, elle est pensive, son visage est sombre, elle fronce les sourcils.
« Tes enfants venaient à cette école avec toi. », demande Béryl.
« Pierre venait, il a fallu attendre un peu plus longtemps pour Jean, mais j’essayais de l’amener parfois. Les journées étaient trop longues pour lui. »
Azéline a visiblement envie de changer de sujet,
« J’avais une classe unique, 40 élèves de 6 à 13 ans, la plupart commençait l’école à 8 ans et arrêtait à 11 ans, certaines partaient pour collège, mais c’était assez rare, il fallait aller à Pontivy en pension, beaucoup de familles ne voulaient pas se séparer de leur enfant qui devait aider aux champs, le collège était pour les riches et celles là étaient inscrites à l’école des curés. Quelques gamines sont parties à l’école primaire supérieure pour passer le Brevet. Deux élèves seulement ont été autorisées à aller au collège pendant ma carrière, les gens pensaient qu’une fille trop instruite ne ferait pas une bonne épouse, ils n’avaient peut-être pas tort finalement…».
L’institutrice se déplace dans un coin de la pièce,
« tu vois ici il y avait le poêle à bois et je faisais une soupe le matin pour réchauffer les enfants. Pour certains c’étaient le seul vrai repas de la journée. Il y avait beaucoup de familles nombreuses et le pain manquait. Le midi, les élèves sortaient un casse croûte, à 15 h tout le monde partait, il valait mieux ne pas rentrer trop tard à cause de la nuit et de la route à faire à pied. »
Azéline se déplace dans sa classe imaginaire dont il ne reste que des ruines, elle s’approche du mur opposé au tableau,
« mon armoire à trésors était là , c’est fou ce que j’ai pu amasser d’objets, d’images et de textes dans ce meuble, j’avais aussi pas mal de livres que je prêtais aux enfants ».
Les deux femmes sortent par un trou dans le mur qui devait être une fenêtre, elles arrivent dans un lieu qui devait être un petit jardin,
« Mon potager ! On faisait pousser quelques légumes pour la soupe ! Certains élèves m’aidaient, c’était leur récompense d’aider leur institutrice. »
Elles font le tour du bâtiment, au dessus de l’entrée de l’école la cloche existe toujours, Azéline lève la tête, il n’y a plus de corde pour la faire sonner mais elle semble veiller sur ce passé qui n’est pas si lointain.
« Allez, rentrons il se fait tard ! »,
Béryl emboîte le pas de son amie, qui semble soudain avoir envie de se sauver de cet endroit chargé de trop de souvenirs. Le chemin du retour se fait en silence, Béryl est fatiguée et elle a du mal à suivre le rythme de l’institutrice, celle-ci devait marcher très vite quand elle rentrait de l’école. Marie-Madeleine est rentrée, Béryl est partie pendant au moins trois heures et sa tante est morte d’inquiétude :
« Jésus Marie Joseph, où étais-tu partie ? Je me suis fait un sang d’encre, il ne faut pas sortir seule comme ça, et si tu tombais sur un chemin ? j’allais appeler les gendarmes ! ».
La jeune femme est désolée, elle regarde dans la direction de son amie, mais elle a disparu. Elle ne peut pas dire à Tantine qu’elle n’était pas seule, elle la prendrait pour une folle. Marie-Madeleine regarde sa nièce avec effarement,
« ton expression est bizarre, qu’est-ce qui t’arrive, tes yeux étaient perdus dans le vague, tu vas pleurer ? Tu ne te sens pas bien ? »,
Béryl regarde sa tante, elle se sent toute à fait normale.
« Tu sais j’ai déjà remarqué plusieurs fois que tu avais l’air perdu, on dirait que tu perds conscience, je vais prendre rendez-vous avec mon médecin, il y a quelque chose qui ne va pas ».
Béryl n’a aucune envie d’aller voir le docteur de sa tante qu’elle ne connaît pas, mais Tantine est déjà en train de composer le numéro de téléphone,
« Allo Soizic ? Bonjour, je voudrais un rendez-vous avec Jean-Marie pour ma nièce, demain 14h ? Très bien on y sera, au revoir ma belle. Et voilà ! Il faut que tu vois un vrai spécialiste, Jean-Marie a de l’expérience, il va savoir ce que tu as ».
Inutile d’expliquer à la vieille dame que Béryl a déjà consulté des médecins très compétents, elle ne la laissera tranquille que quand elle aura vu SON docteur. Béryl se demande si quand elle parle avec Azéline elle ne change pas elle aussi de dimension, elle ferait en quelque sorte un voyage dans le temps, c’est cela qui lui donne une expression que sa tante qualifie de « bizarre ». Son corps serait présent en 2012, mais son esprit rejoindrait son amie au 20 ème siècle. Tout cela est une question de vitesse et de distance paraît-il… Page FB arielleffe
|